Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau

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Monsieur Lecoq - Emile  Gaboriau

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grand. Ne sentez-vous donc pas que le temps s’est incroyablement radouci. Il est clair que le vent est au sud. Le brouillard s’est dissipé, mais le temps est couvert, il menace… Il pleuvra peut-être avant une heure.

      – Il tombe des gouttes déjà, je viens d’en sentir une…

      Cette phrase fit sur Lecoq l’effet d’un coup de fouet donné à un cheval vigoureux. Il bondit et prit une allure encore plus précipitée, en répétant :

      – Hâtons-nous !… hâtons-nous !…

      Le bonhomme prit le pas de course, mais son esprit était on ne peut plus troublé de la réponse de son jeune compagnon.

      Un grand malheur !… Le vent du sud !… La pluie !… Il ne voyait pas, non il ne pouvait voir le rapport.

      Intrigué outre mesure, vaguement inquiet, il questionna, bien qu’il n’eût guère que juste assez d’haleine pour suffire à la course forcée qu’il fournissait.

      – Parole d’honneur, dit-il, j’ai beau me creuser la tête…

      Le jeune policier eut pitié de son anxiété.

      – Quoi !… interrompit-il, toujours courant, vous ne comprenez pas que de ces nuages noirs que le vent pousse, dépendent le sort de notre enquête, mon succès, votre gratification !…

      – Oh !…

      – Il n’y a pas de oh ! l’ancien, malheureusement. Vingt minutes d’une petite pluie douce et nous aurions perdu notre temps et nos peines. Qu’il pleuve, la neige fond et adieu nos preuves. Ah ! c’est une fatalité ! Marchons, marchons plus vite !… En êtes-vous à savoir qu’une enquête doit apporter autre chose que des paroles !… Quand nous affirmerons au juge d’instruction que nous avons vu des traces de pas, il nous répondra : où ? Et que dire ?… Quand nous jurerons sur nos grands dieux que nous avons reconnu et relevé le pied d’un homme et de deux femmes, on nous dira : faites un peu voir ?… Qui sera penaud alors ?… Le père Absinthe et Lecoq. Sans compter que Gévrol ne se fera pas faute de déclarer que nous mentons pour nous faire valoir et pour l’humilier…

      – Par exemple !…

      – Plus vite, papa, plus vite, vous vous indignerez demain. Pourvu qu’il ne pleuve pas !… Des empreintes si belles, si nettes, reconnaissables, qui seraient la confusion des coupables… Comment les conserver. Par quel procédé les solidifier ?… J’y coulerais de mon sang, s’il devait s’y figer.

      Le père Absinthe se rendait cette justice que sa part de collaboration jusqu’ici était des plus minimes.

      Il avait tenu la lanterne.

      Mais voici que pour acquérir des droits réels et solides à la gratification, une occasion, croyait-il, se présentait.

      Il la saisit…

      – Je sais, déclara-t-il, comment on opère pour mouler et conserver des pas marqués sur la neige.

      À ces mots, le jeune policier s’arrêta net.

      – Vous savez cela, vous ? interrompit-il.

      – Oui, moi, répondit le vieil agent, avec la nuance de fatuité d’un homme qui prend sa revanche. On a inventé le truc pour l’affaire de la Maison-Blanche qui a eu lieu l’hiver, au mois de décembre…

      – Je me la rappelle.

      – Eh bien !… il y avait sur la neige, dans la cour, une grande diablesse d’empreinte qui faisait le bonheur du juge d’instruction. Il disait qu’à elle seule elle était toute la question, et qu’elle vaudrait dix ans de travaux forcés de plus à l’accusé. Naturellement il tenait à la conserver. Où fit venir un grand chimiste de Paris.

      – Passez, passez !…

      – Pour lors, je n’ai pas vu pratiquer la chose de mes yeux, mais l’expert m’a tout raconté en me montrant le bloc qu’on avait obtenu. Même il me disait qu’il m’expliquait cela à cause de ma profession, et pour mon éducation…

      Lecoq trépignait d’impatience.

      – Enfin, dit-il brusquement, comment s’y prenait-il.

      – Attendez… j’y suis. On prend des plaques de gélatine de première qualité, bien transparentes, et on les met tremper dans de l’eau froide. Quand elles sont bien ramollies, on les fait chauffer et fondre au bain-marie, jusqu’à ce qu’elles forment une bouillie ni trop claire ni trop épaisse. On laisse refroidir cette bouillie jusqu’au point où elle ne coule plus que bien juste et on en verse une couche bien mince sur l’empreinte.

      Lecoq était pris de cette irritation si naturelle après une fausse joie, quand on reconnaît qu’on a perdu son temps à écouter un imbécile.

      – Assez !… interrompit-il durement ; votre procédé est celui d’Hugoulin, et on le trouve dans tous les manuels. Il est excellent, mais en quoi peut-il nous servir ?… Avez-vous de la gélatine sur vous ?…

      – Pour cela, non…

      – Ni moi non plus… Autant donc eût valu me conseiller de couler du plomb fondu dans les empreintes pour les fixer…

      Ils reprirent leur course, et cinq minutes plus tard, sans un mot échangé, ils rentraient dans le cabaret de la veuve Chupin.

      Le premier mouvement du bonhomme devait être de s’asseoir, de se reposer, de respirer… Lecoq ne lui en laissa pas le loisir.

      – Haut de pied, papa ! commanda-t-il ; procurez-moi une terrine, un plat, un vase quelconque ; donnez-moi de l’eau ; réunissez tout ce qu’il y a de planches, de caisses, de vieilles boîtes dans cette cambuse.

      Lui-même, pendant que son compagnon obéissait, il s’arma d’un tesson de bouteille et se mit à racler furieusement l’enduit de la cloison qui séparait en deux les pièces du rez-de-chaussée de la Poivrière.

      Son intelligence, déconcertée d’abord par l’imminence d’une catastrophe imprévue, avait repris son équilibre. Il avait réfléchi, il s’était ingénié à chercher un moyen de conjurer l’accident… et il espérait.

      Quand il eut à ses pieds sept ou huit poignées de poussière de plâtre, il en délaya la moitié dans de l’eau, de façon à former une pâte extrêmement peu consistante, et il mit le reste de côté dans une assiette.

      – Maintenant, papa, dit-il, venez m’éclairer.

      Une fois dans le jardin, le jeune policier chercha la plus nette et la plus profonde des empreintes, s’agenouilla devant et commença son expérience, palpitant d’anxiété.

      Il répandit d’abord sur l’empreinte une fine couche de poussière de plâtre sec, et sur cette couche, avec des précautions infinies, il versa petit à petit son délayage, qu’il saupoudrait à mesure de poussière sèche.

      O bonheur !… La tentative réussissait !… Le tout formait un bloc homogène et se moulait. Et après une heure de travail, il possédait une demi-douzaine de clichés, qui manquaient peut-être de netteté, mais fort suffisants encore comme pièces de conviction.

      Lecoq

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