Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin
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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III
PRÉFACE
Ce troisième volume complète la publication des libelles contenus dans les anciennes éditions, en quatre ou en cinq volumes, de l'Histoire amoureuse des Gaules1.
En dehors de ce Recueil, il est encore quelques pièces du même genre et du même intérêt historique, qui ont été jusqu'ici publiées isolément: nous les réunirons à cette collection dans une quatrième et dernière partie, à laquelle nous joindrons un travail d'ensemble et une table alphabétique des noms propres.
Nous espérons ainsi rendre à ces documents leur véritable caractère. Le public contemporain de ces ouvrages les a lus avec cette sorte de plaisir que la malignité attache toujours aux médisances; mais ce seroit aujourd'hui un singulier anachronisme que de feuilleter comme des romans des récits où l'historien seul, par ses vivifiantes études, peut chercher l'intérêt qu'on y trouvoit au temps où ils parurent. Aux noms propres qui figurent à la fois ici et dans les Saint-Simon ou les Dangeau, qu'on substitue des noms vulgaires, et ni l'homme d'études n'en commencera la lecture, ni le public léger ne l'achèvera, s'il l'entreprend trompé par une réputation usurpée.
Voilà pourquoi, dans ce volume comme dans le précédent, nous nous sommes si scrupuleusement attaché à distinguer le scandale de l'histoire: nous sommes donc toujours resté dans le système d'annotations que nous avions déjà suivi. En un mot, nous avons évité le travail facile d'un commentaire plus piquant et plus léger que nous offroient tout fait les sottisiers contemporains, le Recueil de Maurepas, et tant d'autres; c'est dans les ouvrages réputés plus sérieux et dans des sources justement accréditées que nous avons cherché le contrôle sévère des allégations produites.
LE PASSE-TEMPS ROYAL OU LES AMOURS DE Mlle DE FONTANGES
Si l'emploi des armes est glorieux, il faut avouer que les périls en sont grands, et qu'il est pardonnable à un héros de chercher son repos dans les plaisirs après avoir exposé sa vie dans les dangers. Ne soyons donc point surpris de voir un Alexandre faire un même sacrifice à Mars et à l'Amour, et ne blâmons point un Hercule de ce que, se partageant également entre ces deux Divinités, il n'a point trouvé de plus doux délassements dans ses travaux qu'entre les bras du beau sexe. Si cette passion amoureuse a été le caractère de ces Demi-Dieux, elle le doit être de ceux que la nature a formés sur leur modèle; et, comme il n'y en a point qui nous en représente une copie plus parfaite que notre monarque, nous ne devons pas nous étonner de voir qu'il a leur penchant et leur inclination.
Avant que de parler de la personne qui fait à présent2 ses plaisirs, il est bon d'apprendre comment la place qu'elle occupe est devenue vacante, et par quel accident le sceptre royal a changé de mains. Il faut donc savoir que, madame de M. T. P.3, que nous appellerons dans la suite Astérie, étant une des plus belles et des plus spirituelles du sexe, il ne faut pas être surpris si elle a fait pendant un si long temps l'unique attachement de son prince. En effet, on peut dire qu'elle doit encore plus à son esprit qu'à sa beauté le degré d'élévation où elle s'est vue; elle l'a d'une trempe telle qu'il le faut pour la Cour, et elle sait feindre et dissimuler; et les grandes correspondances qu'elle a toujours eues, et qu'elle entretient encore à présent avec les personnes les plus spirituelles des autres royaumes, en sont des preuves trop évidentes pour être contredites.
C'est avec ce génie merveilleux qu'elle s'est rendue la maîtresse du Roi et qu'elle a si bien su en ménager l'amour, qu'elle l'a possédé sans partage et a donné l'exclusive à celle qui avoit ses premières inclinations. Elle ne s'est donc pas plus tôt vue dans ce haut rang de gloire, qu'elle s'est servie de toutes sortes d'artifices pour s'y maintenir; elle a tout mis en usage, et sans doute elle y auroit réussi si la discorde, qui se mêle presque de toutes choses, n'avoit point troublé, par une aventure que vous apprendrez, une si parfaite intelligence.
Bien qu'Astérie se fût étudiée, pendant sa fortune, à ne se faire aucuns ennemis qui pussent lui nuire, quelques paroles néanmoins qu'elle ne souffrit pas comme elle devoit lui en firent naître de très considérables et du premier rang: elle connut bien les mauvaises conséquences de quelques traits de médisance dont elle avoit fait le rapport au Roi, comme pour lui en demander justice; elle eût bien voulu n'avoir pas été si sensible, mais il n'étoit plus temps: le mal devint sans remède, parce que la punition suivit de si près le crime prétendu, qu'elle se vit hors d'état d'y apporter aucun soulagement. Comme ses ennemis ne pouvoient pas lui nuire davantage qu'en tâchant de la mettre mal avec le Roi, ils firent leur possible de le persuader qu'il y avoit une extrême différence entre l'amour excessif qu'il avoit pour cette créature et le peu de retour qu'elle faisoit paroître dans l'occasion. Cette corde étoit bien délicate à toucher; mais, outre que les personnes qui la manioient avoient l'oreille du Prince, ils s'y prenoient si adroitement que leur dessein ne pouvoit être découvert, ni leur ruse aucunement soupçonnée. Pour faire mieux réussir leur entreprise, elles représentèrent au Roi le peu de déférence qu'Astérie avoit eue en telle et telle rencontre, et ils sembloient faire leur rapport avec tant de désintéressement, que le Roi, tout éclairé qu'il est, eut bien de la peine à ne se pas laisser emporter à ce torrent qui tâchoit de l'entraîner après soi.
Toutes ces paroles n'ayant fait qu'une légère impression sur son esprit, on crut qu'il étoit nécessaire, pour le persuader, de lui faire voir quelque chose de réel qui le désabusât de l'estime qu'il avoit conçue pour Astérie. La mauvaise foi d'une suivante leur en fit naître le moyen. Cette fille, qui étoit de leur cabale, leur mit un billet d'Astérie entre les mains; mais, comme ils ne pouvoient pas en faire un usage conforme à leur inclination s'ils l'avoient laissé dans sa pureté, ils le falsifièrent, et eurent tant de bonheur dans leur mauvais dessein que l'addition de peu de mots causa un équivoque fort désavantageux pour celle qui n'y avoit jamais pensé. Le billet fut donné au Roi comme une chose trouvée par hasard; il en fit la lecture, et ne put connoître la différence de l'écriture, tant elle étoit bien contrefaite; le véritable sens de l'équivoque lui frappa d'abord les yeux, et l'étonnement qu'il lui causa ne lui permit pas de tarder plus longtemps sans en recevoir l'éclaircissement. Il alla donc aussitôt à l'appartement d'Astérie; il la trouva dans son cabinet, faisant la lecture d'un nouveau roman. «Eh quoi! madame, lui dit-il avec un air un peu méprisant, vous arrêtez-vous encore à ces bagatelles? – Il est vrai, reprit-elle, que, dans le fond, il n'y a rien de solide; et j'avoue que ce ne sont que les songes et les visions des autres qui nous donnent de la joie ou nous causent de la tristesse; néanmoins, je suis encore assez foible pour m'y laisser séduire, et je n'ai pu voir l'infidélité d'une amante dont il parle, sans donner des larmes aux déplaisirs de son berger. – Je m'étonne, dit le Roi, comme une chose si ordinaire vous a émue, puisqu'il n'est rien de plus commun que l'inconstance du sexe.» Il continua l'entretien sur ce sujet, et le poussa si loin qu'Astérie, qui ne savoit point où cela tendoit, lui dit: «Hélas! Sire, ce n'est pas une personne faite comme vous qui doive rien craindre, quand même elle auroit affaire à la plus volage de nous autres, et ceux dont le mérite particulier est aussi éclatant que le vôtre sont au-dessus de tous soupçons. – Jusqu'à présent, reprit le Roi, je m'en étois flatté; mais souvent on s'abuse, et ceux qui ne jugent que des apparences sont fort sujets à être trompés.» Ces sortes d'expressions dont le Roi se servoit causèrent un embarras à Astérie qui ne se peut exprimer: elle n'étoit coupable que dans le stratagème de ses ennemis, et, ne pouvant rien se reprocher dans le particulier, elle ne répondit à ces paroles que par des marques d'une tendresse extraordinaire; elle mit en usage tout ce que l'amour le plus passionné lui put inspirer, et les larmes qui accompagnèrent tous ses transports touchèrent le cœur de cet amant irrité. Le Roi est bon et sensible autant qu'il se peut aux déplaisirs de ce qu'il aime; c'est pourquoi il ne put se résoudre à prendre l'éclaircissement qu'il souhaitoit: ce qu'il voyoit le persuadoit du contraire; il se contenta de glisser adroitement le billet dans la poche d'Astérie, puis il se retira.
1
Une pièce nouvelle, inédite jusqu'ici, a même été publiée dans le volume précédent: l'
2
Ce mot «à présent» montre assez que ce récit a été écrit avant la mort de mademoiselle de Fontanges. Comment donc expliquer la négligence des éditeurs modernes? Supprimant le passage par lequel se termine l'édition primitive, et qui s'accorde avec ce début, ils y ont substitué un extrait de
3
Madame de Montespan.