Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon

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      Henri IV en Gascogne (1553-1589)

      INTRODUCTION

      Il est des hommes si universellement aimés, qu'on voudrait tout connaître d'eux, au risque d'arriver à la désillusion. Cette remarque, faite depuis longtemps, n'a jamais été plus justifiée que par la curiosité, mêlée d'enthousiasme et de vénération, qui s'est constamment attachée aux moindres détails comme aux actes solennels de la vie de Henri IV. Ses batailles et ses négociations, ses lettres et ses propos, ce qu'il a fait et ce qu'il a projeté, tout son personnage et toute sa personne, enfin, seront toujours, comme ils l'ont toujours été, un des nobles régals de l'esprit humain.

      Ce n'est pas nous qui réagirons contre ce culte passionné. Des mille volumes d'inégal renom que trois siècles ont consacrés à la gloire de Henri IV, il en est peu où nous n'ayons cherché une raison de multiplier par elle-même, en quelque sorte, notre admiration pour le roi qui reçut tous les dons en partage et les mit au service de son pays, pour l'homme qui eut la grandeur héroïque et l'invincible charme. Mais, au milieu de cette bibliothèque sans cesse accrue par la piété des générations, nous avons vainement cherché le livre dont voici l'ébauche.

      Henri de Bourbon, roi de France, se révèle à tous dans plusieurs écrits de notre temps, composés d'après ceux du XVIe et du XVIIe siècle, rectifiés et complétés par des correspondances heureusement exhumées, surtout par le recueil des Lettres royales. De 1589 à 1610, «Henri IV» revit tout entier dans les ouvrages auxquels nous faisons allusion, et il est probable qu'une nouvelle édition de l'Histoire de Poirson, qui bénéficierait des travaux parus depuis la première, serait, pour cette vaste période, le livre définitif.

      Mais, en attendant un nouveau Poirson, nous sommes condamnés à poursuivre le «roi de Navarre» parmi d'épais in-folio non lisibles pour tous, d'énormes compilations où se perdent parfois ses traces, des Mémoires qui souvent racontent et jugent en sens divers, des lettres, caractéristiques et précieuses, mais dont le commentaire est un travail et la seule lecture, une étude1.

      Ce fut de ces impressions personnelles que naquirent en nous, d'abord le regret de ne pas connaître un livre qui les épargnât au public, et ensuite la pensée d'essayer de l'écrire. Mais, à travers les lignes encore confuses du plan, nous eûmes tout à coup la claire vision d'un fait considérable, peut-être soupçonné auparavant, non indiqué toutefois, et que certainement pas un des historiens ni des biographes de Henri IV n'a mis en lumière. Le voici, tel qu'il ressort, à nos yeux, de l'histoire des années antérieures à l'avènement de ce prince au trône de France.

      Quelque digne de l'admiration universelle que soit l'œuvre de Henri IV depuis 1589 jusqu'à sa mort, il n'en est presque rien de grand, presque rien d'heureux pour la France, que le roi de Navarre n'eût déjà manifestement voulu, projeté et entrepris. Avant de succéder à Henri III, il avait donné la mesure de son génie et laissé lire jusqu'au fond de son cœur. Capitaine, il portait en lui les secrets de la victoire, depuis Cahors et Coutras; politique, il arrivait au trône avec la connaissance approfondie des hommes, des idées et des besoins de son temps; pasteur de peuples, il avait fait entendre, le premier, au milieu des guerres civiles, ces mots sacrés de paix, de tolérance, de pitié, oubliés dans la fièvre des compétitions et la barbarie des luttes. Henri de Bourbon était «Henri IV» avant que le flot des événements l'eût transporté de «Gascogne» en «France», comme on disait au XVIe siècle. Quand il y fut, l'homme et l'œuvre s'accomplirent.

      Cette vérité, qui explique l'apparente incorrection de notre titre, ne sera contestée, nous l'espérons, par aucun des lecteurs de Henri IV en Gascogne.

      LIVRE PREMIER

      (1553-1575)

      CHAPITRE PREMIER

      Le royaume de Navarre depuis les Carlovingiens jusqu'aux Valois. – Son démembrement par Ferdinand le Catholique. – Les Etats de la Maison d'Albret. – Les prétendants de Jeanne d'Albret. – Ses fiançailles, à Châtellerault, avec le duc de Clèves. – Marguerite, reine de Navarre, et la Réforme. – Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, épouse Jeanne d'Albret. – Leurs deux premiers enfants. – Mort de la reine Marguerite. – Henri d'Albret et sa fille. – Naissance de Henri de Bourbon, prince de Navarre. – Ses huit nourrices. – Le baptême catholique de Henri. – Le calvinisme en 1553.

      Quand on veut faire revivre dans un récit, même épisodique, la France du XVIe siècle, il faut avoir présente à l'esprit l'histoire de ce petit royaume de Navarre qui exerça une si grande influence sur nos destinées nationales. De même la figure de Henri IV n'apparaîtrait pas en pleine lumière, si l'on n'avait d'abord entrevu, tout au moins sous forme d'esquisse, la figure de Jeanne d'Albret. Dans les pages qui vont suivre, on verra longtemps la mère auprès du fils, et de cette vie à deux se dégageront quelques-unes des clartés nécessaires auxquelles nous venons de faire allusion. Les autres, celles qui tiennent à l'existence et à la situation du royaume de Navarre, doivent être mises avant tout à la portée du lecteur.

      La Navarre, après d'ardentes luttes contre Pepin, Charlemagne et ses successeurs, s'était définitivement affranchie de la domination des Carlovingiens en l'an 860, où elle forma un royaume indépendant, avec Pampelune pour capitale. En 1224, Thibaut IV, comte de Champagne, neveu de Sanche IV, roi de Navarre, lui succéda par voie d'adoption, et ce fut en 1488, par le mariage de Catherine de Foix, sœur et héritière de François Phœbus, avec Jean d'Albret, que les ancêtres maternels de Henri IV entrèrent en possession de ce royaume, qui ne tarda pas à être démembré. Dix-sept ans après, en 1512, Ferdinand le Catholique, roi de Castille et d'Aragon, voulut faire de Jean d'Albret son allié dans une guerre contre Louis XII, et exigea le passage à main armée sur ses terres. Allié naturel du roi de France, Jean refusa, et Ferdinand, après avoir obtenu du pape Jules II une bulle d'excommunication contre le roi de Navarre, envahit les Etats de ce prince, incapable de lui opposer une sérieuse résistance. Ainsi fut perdue pour la Maison d'Albret toute la Navarre transpyrénéenne, qu'on appelait la Haute-Navarre. Constamment revendiquée par les successeurs de Jean, elle ne fut jamais restituée, et les lettres de Henri de Bourbon, avant son avènement au trône de France, font souvent allusion à cet acte de violence et d'iniquité.

      La Basse-Navarre, sur laquelle Henri d'Albret régnait en 1553, n'était donc qu'une province de l'ancien royaume. Son étendue et celle du Béarn, autre pays souverain, égalaient à peine la superficie d'un de nos grands départements actuels. Outre ces Etats, la Maison d'Albret possédait, à titre de fiefs, ou gouvernait pour la couronne de France, les comtés de Foix, de Bigorre et d'Armagnac, la vicomté d'Albret, dont Nérac était la capitale, la Guienne, qui englobait le Languedoc; et enfin ses droits s'étendaient sur plusieurs autres seigneuries de moindre importance.

      A vrai dire, le royaume de Navarre n'était plus qu'un nom, mais la Maison d'Albret était une puissance réelle, et lorsque, en 1548, elle s'unit à la Maison de Bourbon par le mariage de Jeanne avec Antoine, duc de Vendôme, prince du sang, les esprits pénétrants auraient pu noter cet agrandissement en quelque sorte dynastique. Il n'en fut pas ainsi: les politiques du temps semblent avoir vu dans cette alliance, du côté de la Maison d'Albret, plutôt un pis-aller qu'un progrès. C'est que Jeanne d'Albret, avant de devenir duchesse de Vendôme, avait paru destinée à s'asseoir sur un des premiers trônes du monde: son mariage avec Philippe, fils et héritier présomptif de Charles-Quint, fut considéré quelque temps comme probable, et malgré l'antipathie de François Ier pour le vainqueur de Pavie, il se fût peut-être accompli, si l'on avait pu s'entendre pour la restitution de la Haute-Navarre.

      En 1540, le roi de France, saisissant l'occasion de créer un grave embarras à la Maison d'Autriche, résolut de marier Jeanne, sa nièce, avec le duc de Clèves et de Julliers, qui avait à se plaindre de l'Empereur. Henri d'Albret et Marguerite, par déférence, donnèrent leur consentement, quoique les Etats de Béarn se fussent élevés avec énergie contre ce projet, que la princesse elle-même, à peine âgée de douze

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Appendice: I.