Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules
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Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange
CHAPITRE PREMIER
Charlotte de Bourbon, que ses parents, le duc et la duchesse de Montpensier, ont destinée à la vie monastique, est confinée par eux, dès son bas âge, dans l'abbaye de Jouarre, dont ils veulent qu'elle ait, un jour, la direction. – Aversion de Charlotte pour le régime du cloître. – Menaces et violences employées à son égard. – Scène sacrilège du 17 mars 1559, dans laquelle le rôle d'abbesse de Jouarre lui est imposé. – Sa protestation, par acte authentique, contre la contrainte qu'elle a subie, et témoignages des religieuses de Jouarre à l'appui de sa protestation. – La duchesse de Montpensier se repent de la dureté de ses procédés envers Charlotte. – Mort de la duchesse, en 1561. – Maintenue à Jouarre par l'opiniâtreté de son père, Charlotte n'exerce, des fonctions d'abbesse, que celles qui se concilient avec les enseignements du pur Évangile, qu'elle a été amenée à connaître par ses relations avec quelques-unes des hautes personnalités du protestantisme, telles, notamment, que sa sœur, la duchesse de Bouillon, et Jeanne d'Albret, reine de Navarre. – Le duc de Montpensier épouse, en secondes noces, Catherine de Lorraine. – Désormais maîtresse de ses actions, Charlotte de Bourbon confie à la duchesse de Bouillon et à la reine de Navarre sa résolution de quitter l'abbaye de Jouarre. – L'une et l'autre l'approuvent et lui assurent une retraite auprès de l'électeur palatin, Frédéric III, et de l'électrice. – En février 1572, Charlotte de Bourbon sort pour toujours de l'abbaye de Jouarre et se rend à Heydelberg, où elle est favorablement accueillie. – Lettre de Frédéric III au duc de Montpensier.
Nulle femme, par sa piété, par ses vertus, par le charme de ses exquises qualités, n'a porté plus haut que Charlotte de Bourbon le nom de la grande famille dont elle était issue.
Retracer la vie de cette noble femme, c'est mettre sur la voie du respect qu'elle commande et de la sympathie qu'elle doit inspirer à toute âme éprise de la grandeur morale et de l'intime alliance d'un cœur aimant à un esprit distingué.
Quelque courte qu'ait été cette belle vie, elle demeure féconde en précieux enseignements, qui, dégagés de tous commentaires, ressortiront naturellement du simple exposé des actions de l'excellente princesse et de la fidèle reproduction de son langage, toujours empreint de sincérité.
Dans l'isolement immérité, qui fut le triste lot de son enfance et de sa première jeunesse s'accomplit peu à peu, en elle, sous le regard de Dieu, un travail intérieur qui, épurant et éclairant son âme au contact des vérités éternelles, la fortifia contre de douloureuses épreuves, les lui fit surmonter, et, en réponse à ses légitimes aspirations, la mit enfin, comme femme et comme croyante, en possession d'une liberté d'agir, dont elle consacra dignement l'exercice à l'accomplissement des plus saints devoirs.
En ces quelques mots se résume la vie de la princesse. Etudions-en maintenant en détail les diverses phases.
Alliée, de longue date, à la maison royale de France1, la famille de Bourbon se divisait, vers le milieu du XVIe siècle, en deux branches, dont la principale était représentée par Antoine de Bourbon, d'abord duc de Vendôme, puis roi de Navarre; par Charles, cardinal de Bourbon, et par Louis Ier de Bourbon, prince de Condé. La branche secondaire avait pour seuls représentants Louis II de Bourbon, duc de Montpensier, et Charles de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon.
Louis II de Bourbon épousa, en 1538, Jacqueline de Long-Vic, fille de Jean de Long-Vic, seigneur de Givry, baron de Lagny et de Mirebeau en Bourgogne, et de Jeanne d'Orléans.
De l'union de Louis II avec Jacqueline naquirent un fils et cinq filles.
Sous l'empire des habitudes et des préjugés nobiliaires de l'époque, ce fils, François de Bourbon, portant le titre de prince dauphin d'Auvergne, fut pour ses parents, au point de vue de son avenir, l'objet d'une sollicitude particulière.
Des cinq filles, deux, par de hautes alliances qu'il leur fut donné de contracter, échappèrent à la vie du cloître, qui, de gré ou de force, devint le partage des trois autres.
Charlotte de Bourbon, née en 1546 ou 15472, était la quatrième de ces cinq filles. Son sort, à la différence de celui de ses sœurs, dont il sera parlé plus loin, fut, dès sa naissance, fixé par ses parents avec une inflexible rigueur, qui, pendant de longues années, ne cessa de peser sur elle.
Les faits sont, à cet égard, d'une signification précise.
L'opulente abbaye de Jouarre avait alors à sa tête la propre sœur de la duchesse de Montpensier, Louise de Long-Vic. Le duc et la duchesse obtinrent d'elle la promesse de ne se démettre de ses fonctions et de ses prérogatives abbatiales qu'en y substituant directement sa nièce Charlotte, dès que cette dernière aurait atteint l'âge requis pour être apte à lui succéder.
Méconnaissant ses devoirs de père, le duc, en qui la dureté de cœur s'alliait à un grossier despotisme d'idées et d'habitudes, proscrivit promptement du foyer domestique la pauvre enfant et la livra aux mains de sa tante, afin d'être façonnée et assouplie par elle au régime de la vie monastique.
Complice de son mari, en cette circonstance, la duchesse de Montpensier eut la coupable faiblesse de consentir à ce que la débile créature à laquelle elle avait récemment donné le jour demeurât, dès le berceau, privée de la tendresse maternelle qui eût dû l'entourer, et fût vouée à la torpeur d'une existence dont elle ne pourrait, semblait-il, secouer le joug, quelque intolérable qu'il devînt ultérieurement.
Toutefois, le père et la mère, en confinant dans l'enceinte d'un cloître le corps de leur fille, n'avaient pas compté avec les droits inaliénables de son âme. Que pouvaient-ils sur cette partie immatérielle de son être? La froisser, sans doute, l'ulcérer, la torturer même; mais l'arrêter dans son légitime essor, la comprimer, l'asservir? jamais! Quels que fussent, dans l'avenir, les assauts livrés à l'âme de Charlotte, ils devaient, en dépit des prévisions humaines, échouer devant l'irrésistible puissance du protecteur suprême, qui autorise tout enfant délaissé, dont les regards se tournent vers le ciel, à se dire3: «Si mon père et ma mère m'ont abandonné, l'Eternel toutefois me recueillera!» Abritée sous l'égide divine, Charlotte demeurait invincible. Aussi, ne pouvait manquer de venir, pour ses parents, un jour où l'évidence de leur défaite morale les contraindrait à reconnaître, dans l'amertume de la déception et du remords, qu'on ne se joue impunément ni de Dieu4, ni de l'âme humaine, qui relève de lui, par la double grandeur de son origine et de sa destinée.
Plus le jour dont il s'agit se fit attendre, plus il importe, en ce qui concerne Charlotte de Bourbon, de chercher à déterminer les circonstances dans lesquelles elle se trouva placée, avant qu'il advînt.
Et d'abord, comment s'écoula son enfance, dans l'abbaye de Jouarre, sous la direction de sa tante?
Si la réponse à cette question ne peut reposer sur la connaissance acquise de minutieux détails, elle se déduit du moins, jusqu'à un certain point, de divers faits caractéristiques, qui ressortent nettement soit des déclarations de la véridique Charlotte, soit de celles de personnes qui l'entourèrent à cette époque de sa vie. Ces faits sont: l'éveil et le développement de sa conscience; la souffrance de son cœur, privé de l'affection d'une mère et d'un père, qui la laissaient languir dans l'isolement; et, en même temps, l'invariable droiture de sa déférence envers eux, alors que, sourds à ses supplications, et sans pitié pour les angoisses de son âme, ils s'attachaient à lui imposer, par la menace et par la violence, des engagements, des devoirs, des pratiques, une profession extérieure, en un mot, tout l'ensemble de la vie monastique, pour laquelle elle éprouvait une insurmontable aversion. Mais, qu'importaient au duc et à la duchesse cette aversion, la loyauté qui l'avouait, l'énergique revendication
1
Par le mariage de Béatrix de Bourbon avec Robert, l'un des fils du roi saint Louis.
2
Charlotte de Bourbon, ainsi que le prouve un acte émané d'elle le 25 août 1565, lequel sera ci-après reproduit, ignorait à tel point la date précise de sa naissance, qu'elle ne pouvait pas plus se dire, en 1565, âgée de treize ans que de douze.
3
Psaume XXVII, 10.
4
Ep. aux Galates. VI. 7.