Yvonne. Delpit Édouard

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Yvonne - Delpit Édouard

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      Yvonne

      I

      Sous les ruissellements du soleil, la campagne semblait se recueillir. Les mûriers penchaient leurs feuilles, les fleurs courbaient la tête. Pas un souffle de vent parmi les trembles, un chant d'oiseau le long des haies, une voix humaine à travers l'espace. Seul, le bruit du Rhône précipitant ses flots. Au loin, dans la fluidité de l'espace, Viviers, son antique cathédrale, ses jardins célèbres; puis des hameaux, des granges, des maisons enfouies sous les arbres comme une odalisque sous ses voiles. Des montagnes aux contours étranges encadraient le paysage, à l'horizon. Sur les bords du fleuve se déroulait un interminable écheveau de terres coupées de collines, arides pâturages où les troupeaux étendus dormaient, avec leurs bergers.

      Un de ces troupeaux était gardé par un enfant d'une douzaine d'années, qui dormait aussi, la tête appuyée sur une pierre. Ses cheveux blonds, son teint blanc, malgré le hâle, dénotaient une origine étrangère au Vivarais. Les bras bien modelés, que laissait voir la manche ouverte, montraient par endroits des plaques bleuâtres, et la figure délicate conservait jusque dans le sommeil une expression de crainte et de souffrance. Sa lassitude était extrême, sans doute, car il n'ouvrit pas les yeux lorsque de légères brises, venues du fleuve, ramenèrent la vie dans la plaine. Le troupeau, livré à lui-même, commença de brouter les mûriers et se dispersa tout à coup devant deux chasseurs de papillons – des enfants, comme l'autre – qui l'effarouchaient de leurs poches de gaze. Quand le dormeur s'éveilla, moutons et chiens avaient disparu. Croyant rêver encore, il examina les alentours déserts. Une frayeur le prit. D'un bond il escalada la colline, les pieds nus insensibles aux morsures des pierres. Si loin que portât son regard, il ne put découvrir la trace des fugitifs. Il redescendit vers le fleuve, continua de courir au bord de l'eau, appelant, épiant, cherchant. Alors, les tempes baignées de sueur, épuisé de fatigue, mourant d'épouvante, il se laissa choir sur la rive. Qu'allait-il faire? Que dirait M. Benoît, le terrible granger, son maître, devant ce désastre d'un troupeau perdu? Jamais il n'oserait rentrer.

      Des pâtres de son âge, qui ramenaient leur bétail, car c'était maintenant presque la tombée du jour, passèrent près de lui, sur le chemin. Il s'enquit d'eux si, par grand bonheur, ils ne lui pouvaient donner quelque indication. Même dans l'innocente enfance il y a déjà de l'homme mauvais: des injures accueillirent sa demande; des mots atroces dits le rire aux dents, ce soufflet d'une tare jetée en plein visage, comme une honte dont on est responsable, n'eût-on rien fait au monde pour la mériter. De ces lèvres d'anges – quels anges! – s'échappaient, incomprises peut-être, à coup sûr sanglantes d'intention, les appellations habituelles: «Rebut d'hospice… Être sans père ni mère…» Il courba la tête. La bande s'excitait en parlant, sa colère montait contre l'audacieux, l'intrus, le paria. Et comme il faisait mine de se défendre, elle se rua sur lui, ramassa des pierres et l'en poursuivit, criant: «A l'enfant trouvé! à l'enfant trouvé!» avec autant de répulsion et d'ardeur qu'elle eût crié au loup. Peut-être la pitié n'est-elle pas un instinct. Le malheureux s'abattit contre la haie où il dormait tout à l'heure. Il était à bout. Qu'on le tuât, ce serait fini, tant mieux!

      Un secours lui vint dans la personne des chasseurs de papillons. A leur vue, les pâtres s'arrêtèrent, chuchotèrent deux noms: «M. Gaston… mademoiselle Blanche…» et déguerpirent. Ce n'était point le compte de «M. Gaston», qui se lança, furieux, sur leurs pas, agitant son roseau garni de gaze et s'époumonant derrière eux:

      – Je le dirai à mon père. Je le dirai.

      Au lieu de l'imiter et de courir sus aux agresseurs, la petite fille s'approcha de leur victime.

      – Ils t'ont blessé avec leurs pierres?

      – Non, mademoiselle.

      – Que leur avais-tu fait?

      – Je les interrogeais sur mon troupeau. Je l'ai perdu. Comme je suis un enfant trouvé, ils ne veulent pas que je leur parle.

      Des larmes brillaient en ses yeux bleus. Il paraissait si triste; la petite fille se jeta à son cou, dans un besoin de consoler, surprise que personne ne l'aimât, le pauvre, n'admettant point que quelqu'un subît cette grosse injustice de vivre sans tendresse. Il avait l'air affectueux et doux, il était gentil malgré ses haillons et on le traitait en bête sauvage! Elle le questionna de nouveau:

      – Comment t'appelles-tu?

      – Robert.

      – Eh bien, Robert, je serai ton amie.

      Gaston, revenu de sa belliqueuse expédition, n'était pas sans remords: leur espièglerie seule mettait en fuite le troupeau de Robert et risquait de faire lapider l'enfant.

      – Je ne sais où il est, dit-il; c'est nous qui l'avons effrayé pendant que tu dormais. Notre granger va t'aider à le rassembler. Tu seras un peu en retard, voilà tout.

      Le soir, quand Robert retrouva son taudis, il n'y retrouva pas son sommeil accoutumé. Pour le retard, M. Benoît lui labourait l'échine à coups de gaule; à peine en sentait-il les meurtrissures, il songeait à l'étreinte charitable de deux bras d'enfant, aux baisers de lèvres vermeilles sur son visage de conspué. Autrefois, on l'embrassait ainsi, on le berçait ainsi d'un sourire. Les chants célestes lui bourdonnant au cœur, un peu de joie suffisait à les y faire renaître. En arrivant chez M. Benoît, voilà bien des années, il gardait des tendresses, des attaches, des regrets de choses que, depuis, obscurcissait le temps. A force de mauvais traitements et de misères, M. Benoît s'imaginait les avoir tués; une fée venait de les ressusciter. Robert cherchait à grouper ses souvenances lointaines, figures effacées de personnes, paroles sans suite, bribes d'airs harmonieux; il cherchait à revivre l'époque, perdue dans la brume, où il riait. Peut-être que d'y penser lui ferait revoir son pays. Son pays! Ce n'était pas comme le Vivarais, cela ne se ressemblait point. Le Vivarais était beau; mais, là-bas! Il se rappelait une nappe sans limites, bleue avec des moirures vertes, pailletée d'or et d'écume blanche, qui rejoignait le ciel et qui grondait. Il la voyait autrefois, autrefois, quand on l'embrassait.

      A dater de ce jour, l'existence animale, la seule possible chez Benoît, cessa brusquement. Il ne faut aux fleurs, pour éclore, qu'une goutte de pluie et un rayon de soleil. Une amitié rouvrait le trésor d'il ne savait quelles richesses intimes l'emplissant de joies inespérées et du bonheur de vivre. Dans la rosée des aurores, sur le sommet des coteaux, il écoutait les mille voix de la nature saluer le lever du jour. Sous la brûlure des rudes midis, dans le silence accablé de la plaine, il écoutait les harmonies profondes sourdre de l'assoupissement des solitudes. Le soir, oublié de tous, couché au bord du fleuve, il écoutait les cadences argentines sortir du cliquetis des flots. C'était une fête continuelle, peuplée de fantômes involontaires, de visions brillantes, de formes inexplicables, où se détachait le pur éclat de deux yeux châtain clair, très tendres, fouillant les siens. La complicité de l'âme fait les trois quarts de nos bonheurs. Il était heureux, quoique son pain restât aussi noir, M. Benoît aussi brutal, aussi dure sa vie. Il cueillait des fleurs dans la montagne, et, en passant devant la Riveraine, maison de mademoiselle Blanche, les offrait à la petite fille, qui jouait toujours sur la pelouse le soir; elle disait un «merci» gracieux, en demandait d'autres pour le lendemain. Fruits sauvages, insectes bizarres, nids d'oiseaux, pierres curieuses, ce fut un tribut quotidien. Il pouvait donc revenir, et lui, qui ne possédait rien, donner quelque chose! Mademoiselle Blanche battait des mains à chaque offrande.

      L'excès même de sa joie faillit en compromettre la durée, car madame Laffont, sa mère, en prit ombrage. D'abord tolérante, elle se fatigua vite de ce quasi-pèlerinage, où la dévotion risquait de tourner à la camaraderie. Afin de supprimer des rapports inadmissibles entre enfants de conditions si différentes, elle interdit le jardin aux heures où passait Robert. Madame Laffont était de ces femmes excellentes, mais d'un maniement difficile, que la vie au grand air, la nécessité de commander à beaucoup de serviteurs, peut-être aussi certaines dispositions naturelles font d'une brusquerie masculine

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