Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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de la France, parce que ces châteaux ont un caractère particulier, qu'ils diffèrent en beaucoup de points des premières forteresse du moyen âge bâties pendant le même temps sur le sol français, et surtout parce qu'ils nous semblent avoir fait faire un pas considérable à l'art de la fortification.

      Au XIIIe siècle, les châteaux français semblent avoir profité des dispositions de détails prises par les Normands dans leurs châteaux, mais en conservant cependant quelque chose des traditions mérovingiennes et carlovingiennes. Nous en trouvons un exemple remarquable dans le château de Montargis, dont la construction remontait au XIIIe siècle et dont nous donnons le plan (15). Bâti en plaine, il commandait la route de Paris à Orléans qui passait sous les portes défendues A et B. Des fossés S enveloppaient les défenses extérieures. La route était battue de flanc par un front flanqué de tours et communiquait au château par une porte C (VOY. PORTE). Une autre porte D, passant à travers une grosse tour isolée (suivant une méthode qui appartient à la Loire, et que nous voyons surtout pratiquée au XIVe siècle dans la basse Loire et la Bretagne par le connétable Olivier de Clisson), était d'un accès très-difficile. Quant aux dispositions intérieures du château, elles sont d'un grand intérêt et indiquent nettement les moyens défensifs des garnisons des châteaux français. Les tours sont très-saillantes sur les courtines, afin de les bien flanquer; au nord, point saillant, et faible par conséquent, était élevé un gros ouvrage présentant deux murs épais élevés l'un derrière l'autre, éperonnés par un mur de refend flanqué de deux tours d'un diamètre plus fort que les autres. En G était la grand'salle, à deux étages, dans laquelle toute la garnison pouvait être réunie pour recevoir des ordres, et de là se répandre promptement sur tous les points de l'enceinte par un escalier à trois rampes I. La réunion de cet escalier à la grand'salle pouvait être coupée, et la grand'salle servir de retrait si l'enceinte était forcée. La grand'salle est un des traits caractéristiques du château français, ainsi que nous l'avons dit au commencement de cet article. Dans le château normand, la grand'salle est située dans le donjon, ou plutôt le donjon n'est que la grand'salle devenue défense principale. Dans le château français du XIIIe siècle, la grand'salle se distingue du donjon; c'est le lieu de réunion des hommes d'armes du seigneur franc; il y a là un dernier souvenir des moeurs du chef germain et de ses compagnons.

      Le gros donjon F est au centre de la cour, comme dans le château primitif du moyen âge (fig. 1); il est à plusieurs étages, avec une cour circulaire au centre; il était mis en communication avec la grand'salle, au premier étage, au moyen d'une galerie K, pouvant être de même coupée à son extrémité. Ce donjon commandait toute l'enceinte et ses bâtiments; mais, n'ayant pas de sortie sur les dehors comme le donjon normand, il n'offrait pas les mêmes avantages pour la défense, la garnison était casernée dans les bâtiments L du côté où l'enceinte était le plus accessible. En O étaient les écuries, la boulangerie, les magasins; en H la chapelle, et en N un poste à proximité de l'entrée D. Les petits bâtiments qui entouraient le donjon étaient d'une date postérieure à sa construction. La poterne E donnait accès dans de vastes jardins entourés eux-mêmes d'une enceinte 61.

      En France et en Normandie, dès l'époque carlovingienne, les enceintes des châteaux étaient flanquées de tours. Mais sur les bords du Rhin et les provinces voisines de la Germanie, il ne paraît pas que ce moyen de défense ait été usité avant le XIIIe siècle, ce qui ferait supposer que les tours flanquantes étaient une tradition gallo-romaine.

      «Les monuments féodaux du Xe siècle jusqu'aux croisades, dit M. de Krieg 62, ont, sur les deux rives du Rhin, leur type commun. On y trouve d'abord la tour carrée (rarement cylindrique) qui est ou assise sur des soubassements romains, ou copiée religieusement d'après ces modèles, avec leur socle, leur porte d'entrée au-dessus du sol et leur plate-forme. Ces tours ont pris le nom allemand de berch frid, en latin berefredus, en français beffroi... Les enceintes de ces plus anciens châteaux manquent absolument de flanquement extérieur. Elles sont surmontées d'une couronne de merlons...»

      Nous irons plus loin que M. de Krieg, et nous dirons même que les tours employées comme moyen de flanquement des enceintes ne se rencontrent que très-rarement dans les châteaux des bords du Rhin et des Vosges avant le XVe siècle. Le château de Saint-Ulrich, la partie ancienne du château de Hohenkoenigsbourg, le château de Koenigsheim, celui de Spesbourg, bien que bâtis pendant les XIIIe et XIVe siècles, sont totalement dépourvus de tours flanquantes 63. Ce sont des bâtiments formant des angles saillants, des figures géométriques rectilignes à l'extérieur et venant se grouper autour du donjon ou beffroi. La plupart de ces châteaux, élevés sur des points inaccessibles, prennent toute leur force dans la situation de leur assiette et ne sont que médiocrement défendus. Le donjon surmontant les bâtiments permettait de découvrir au loin la présence d'un ennemi, et la garnison, prévenue, pouvait facilement empêcher l'escalade de rampes abruptes, barrer les sentiers et arrêter un corps d'armée nombreux loin du château, sans même être obligée de se renfermer derrière ses murs.

      Cependant des situations analogues n'empêchaient pas les seigneurs français de munir de tours les flancs et angles saillants de leurs châteaux pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles.

      Il se fit, dans la construction des châteaux, au XIIIe siècle, une révolution notable. Jusqu'alors ces résidences ne consistaient, comme nous l'avons vu, que dans des enceintes plus ou moins étendues, simples ou doubles, au milieu desquelles s'élevaient le donjon qui servait de demeure seigneuriale et la salle quelquefois comprise dans le donjon même. Les autres bâtiments n'étaient que des appentis en bois séparés les uns des autres, ayant plutôt l'apparence d'un cantonnement que d'une résidence fixe. La chapelle, les réfectoires, cuisines, magasins et écuries étaient placés dans l'intérieur de l'enceinte et ne se reliaient en aucune façon aux fortifications. Nous avons vu que, dans le plan du château de Montargis (fig. 15), déjà les bâtiments de service sont attenants aux murailles, qu'ils sont bâtis dans un certain ordre et que ce sont des logis fixes. Il semblerait qu'au XIIIe siècle les habitudes des seigneurs et de leurs gens, plus civilisés, demandaient des dispositions moins barbares que celles acceptées jusqu'alors. Nous voyons combien les logis fixes ont peu d'importance encore dans le château Gaillard, résidence souveraine élevée à la fin du XIIe siècle. On a peine à comprendre comment une garnison de quelques centaines d'hommes pouvait vivre dans cet étroit espace, presque exclusivement occupé par les défenses. Les soldats devaient coucher pêle-mêle dans les tours et sous quelques appentis adossés aux murailles.

      En Angleterre, où les documents écrits abondent sur les habitations seigneuriales anciennes, on trouve les preuves de cette révolution apportée par le XIIIe siècle. À cette époque, les résidences royales fortifiées reçoivent de nombreuses adjonctions en bâtiments élevés avec un certain luxe, les châteaux des barons prennent un caractère plus domestique; souvent même le donjon, ainsi que le dit M. Parker dans son Architecture domestique 64, fut abandonné pour une salle et des chambres construites dans l'enceinte intérieure. C'est à cause de ce changement que, dans presque toutes les descriptions de châteaux bâtis du temps de Henri III et d'Edward Ier, les grandes tours ou donjons sont représentés comme étant dans un état délabré et généralement sans couvertures. Ils avaient été abandonnés, comme habitation, à cause de leur peu de commodité, bien que par la force de leur construction ils pussent encore, moyennant quelques réparations, être employés en temps de guerre. Les ordres de restaurations aux «maisons royales» dans divers châteaux sont très-nombreux pendant le XIIIe siècle. Ces ordres ne s'appliquent pas aux châteaux d'Edward (Edwardian castles), édifices généralement bâtis par Edward Ier, et dans lesquels de nombreux appartements destinés à différents usages étaient disposés suivant un plan général, mais bien aux châteaux de date normande, qui dès lors prirent

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<p>61</p>

Ce château n'existe plus; le plan des élévations et détails, d'un grand intérêt, sont donnés par Ducerceau dans ses Maisons royales de France.

<p>62</p>

Notes insérées dans le Bulletin monum. Vol. IX, p. 246 et suiv.

<p>63</p>

Voy. les Notes sur quelques châteaux de l'Alsace, par M. Al. Ramé. Paris, 1855.

<p>64</p>

Some account of Domest. Archit. in Eng. from the conq. to the end of the thirteenth century. Ch. III.