Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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les surprises, puisque cette poterne s'ouvre dans une première cour qui est isolée, et ne donne dans la cour principale que par une seconde poterne dont la herse et la porte barrée sont gardées par les gens du donjon. Belles salles bien disposées, bien orientées, bien éclairées; appartements privés avec cabinets, dégagements et escaliers particuliers pour le service. Certes, il y a loin du donjon de Coucy, qui n'est qu'une tour où chefs et soldats devaient vivre pêle-mêle, avec ce dernier donjon, qui, encore aujourd'hui, serait une habitation agréable et commode; mais c'est que les moeurs féodales des seigneurs du XVe siècle ne ressemblaient guère à celles des châtelains du commencement du XIIIe.

      Nous complétons la série des plans du donjon de Pierrefonds par une élévation géométrale de ce logis (44) prise du côté de la poterne sur la ligne QZ des plans. En A, on voit la grosse tour du coin; en B, la tour carrée; entre elles, les deux pignons crénelés des salles; en C est la tour de la chapelle, dans laquelle les habitants du donjon pouvaient se rendre directement en passant par la tour carrée et le petit escalier à vis marqué M sur les plans, sans mettre les pieds dehors. On voit la haute courtine de garde, entre la grosse tour de coin et celle de la chapelle, qui masque la cour isolée R. Au milieu de cette courtine est la poterne relevée qui communiquait avec un ouvrage avancé en passant par-dessus la porte D de la rampe extérieure du château. Comme construction, rien ne peut rivaliser avec le donjon de Pierrefonds; la perfection de l'appareil, de la taille, de la pose de toutes les assises réglées et d'une épaisseur uniforme de 0,33 c. (un pied) entre lits, est faite pour surprendre les personnes qui pratiquent l'art de bâtir. Dans ces murs d'une hauteur peu ordinaire et inégaux d'épaisseur, nul tassement, nulle déchirure; tout cela a été élevé par arasements réguliers; des chaînages, on n'en trouve pas trace, et bien qu'on ait fait sauter les deux tours rondes par la mine, que les murs aient été sapés du haut en bas, cependant les parties encore debout semblent avoir été construites hier. Les matériaux sont excellents, bien choisis, et les mortiers d'une parfaite résistance 34. Les traces nombreuses de boiseries, d'attaches de tentures que l'on aperçoit encore sur les parois intérieures du donjon de Pierrefonds, indiquent assez que les appartements du seigneur étaient richement décorés et meublés, et que cette résidence réunissait les avantages d'une place forte de premier ordre à ceux d'une habitation plaisante située dans un charmant pays. L'habitude que nous avons des dispositions symétriques dans les bâtiments depuis le XVIIe siècle fera paraître étranges, peut-être, les irrégularités que l'on remarque dans le plan du donjon de Pierrefonds. Mais, comme nous le faisons observer à l'article CHÂTEAU, l'orientation, la vue, les exigences de la défense, exerçaient une influence majeure sur le tracé de ces plans. Ainsi, par exemple, le biais que l'on remarque dans le mur oriental du logis (biais qui est inaperçu en exécution) est évidemment imposé par le désir d'obtenir des jours sur le dehors d'un côté où la campagne présente de charmants points de vue, de laisser la place nécessaire au flanquement de la tour carrée, ainsi qu'à la poterne intérieure entre cette tour et la chapelle, la disposition du plateau ne permettant pas d'ailleurs de faire saillir davantage la tour contenant cette chapelle. Le plan de la partie destinée aux appartements est donné par les besoins mêmes de cette habitation, chaque pièce n'ayant que la dimension nécessaire. En élévation, les différences de hauteurs des fractions du plan sont de même imposées par les nécessités de la défense ou des distributions.

      Il était peu de châteaux des XIVe et XVe siècles qui possédassent des donjons aussi étendus, aussi beaux et aussi propres à loger un grand seigneur, que celui de Pierrefonds. La plupart des donjons de cette époque, bien que plus agréables à habiter que les donjons des XIIe et XIIIe siècles, ne se composent cependant que d'un corps de logis plus ou moins bien défendu. Nous trouvons un exemple de ces demeures seigneuriales, sur une échelle réduite, dans la même contrée.

      Le château de Véz relevait du château de Pierrefonds; il est situé non loin de ce domaine, sur les limites de la forêt de Compiègne, près de Morienval, sur un plateau élevé qui domine les vallées de l'Automne et de Vandi. Sa situation militaire est excellente en ce qu'elle complète au sud la ligne de défense des abords de la forêt, protégée par les deux cours d'eau ci-dessus mentionnés, par le château même de Pierrefonds au nord-est, les défilés de la forêt de l'Aigle et de la rivière de l'Aisne au nord, par les plateaux de Champlieu et le bourg de Verberie à l'ouest, par le cours de l'Oise au nord-nord-ouest. Le château de Véz est un poste très-ancien, placé à l'extrémité d'un promontoire entre deux petites vallées. Louis d'Orléans dut le rebâtir presque entièrement lorsqu'il voulut prendre ses sûretés au nord de Paris, pour être en état de résister aux prétentions du duc de Bourgogne, qui, de son côté, se fortifiait au sud du domaine royal. Véz n'est, comparativement à Pierrefonds, qu'un poste défendu par une enceinte et un petit donjon merveilleusement planté, bâti avec le plus grand soin, probablement par l'architecte du château de Pierrefonds 35

      Ce donjon (45) s'élève en A (voy. le plan d'ensemble), à l'angle formé par deux courtines, dont l'une, celle B, domine un escarpement B', et l'autre, C, flanquée extérieurement d'échauguettes, est séparée d'une basse-cour ou baille E par un large fossé. Du côté G, le plateau descend rapidement vers une vallée profonde; aussi les deux courtines HH' sont-elles plus basses que les deux autres BC, et leur chemin de ronde se trouve-t-il au niveau du plateau sur lequel s'élevait un logis K du XIIe siècle presque entièrement rebâti au commencement du XVe. Ce logis, en ruine aujourd'hui, était une charmante construction. La porte du château, défendue par deux tours de petite dimension, est en I. On voit encore quelques restes des défenses de la baille E, mais converties aujourd'hui en murs de terrasses 36. Le donjon est détaillé dans le plan du rez-de-chaussée X. Son entrée est en L, et consistait en une étroite poterne avec pont à bascule 37 donnant sur un large escalier à vis montant de fond. Chaque étage contenait deux pièces, l'une grande et l'autre plus petite, munies de cheminées et de réduits. En P est un puits. On voit en F le fossé et en M l'entrée du château avec ses tours et son pont détourné. La courtine C est défendue par des échauguettes extérieures flanquantes O, tandis que la courtine B, qui n'avait guère à craindre une attaque du dehors, à cause de l'escarpement, était protégée à l'intérieur par des échauguettes flanquantes R. Par les tourelles SS', bâties aux deux extrémités des courtines élevées, on montait sur les chemins de ronde de ces courtines au moyen d'escaliers. En V était une poterne descendant de la plate-forme sur l'escarpement. Quand on examine la situation du plateau, on s'explique parfaitement le plan du donjon d'angle dont les faces extérieures enfilent les abords du château les plus accessibles. Les tourelles d'angle montant de fond forment d'ailleurs un flanquement de second ordre, en prévision d'une attaque rapprochée.

      La fig. 46, qui donne l'élévation perspective du donjon de Véz, prise de l'intérieur de l'enceinte, fait voir la disposition des échauguettes flanquantes R de la courtine B, la poterne avec son petit fossé et son pont à bascule, l'ouverture du puits, la disposition des mâchicoulis-latrines, le long de l'escalier, le sommet de l'escalier terminé par une tourelle servant de guette. Du premier étage du donjon, on communiquait aux chemins de ronde des deux courtines par de petites portes bien défendues. Ainsi la garnison du donjon pouvait, en cas d'attaque, se répandre promptement sur les deux courtines faisant face aux deux fronts qui seuls étaient attaquables. Si l'un de ces fronts, celui C, était pris (c'est le plus faible à cause de la nature du terrain et du percement de la porte), les défenseurs pouvaient encore conserver le second front B, rendu plus fort par les échauguettes intérieures R (voy. les plans); s'ils ne pouvaient garder ce second front, ils rentraient dans le donjon et de là reprenaient l'offensive ou capitulaient à loisir. Dans un poste si bien disposé, une garnison de cinquante hommes arrêtait facilement un corps d'armée pendant

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<p>34</p>

L'Empereur Napoléon III a reconnu l'importance des ruines de Pierrefonds, au point de vue de l'histoire et des arts. Le donjon reprendra son ancien aspect; déjà la partie de la tour carrée qui avait été jetée bas est remontée; nous pourrons voir bientôt le plus beau spécimen de l'architecture féodale du XVe siècle en France renaître sous l'auguste volonté du souverain. Nous n'avons que trop de ruines dans notre pays, et nous en apprécions difficilement la valeur. Le château de Pierrefonds, rétabli en partie, fera connaître cet art à la fois civil et militaire qui, de Charles V à Louis XI, était supérieur à tout ce que l'on faisait alors en Europe.

<p>35</p>

Les profils du donjon de Véz, le mode de construction et certains détails de défense, rappellent exactement la construction, les profils et détails du château de Pierrefonds. Le donjon de Véz date par conséquent de 1400.

<p>36</p>

Ce domaine appartient aujourd'hui à M. Paillet; le donjon seul sert d'habitation.

<p>37</p>

Cette poterne a été remplacée, au XVIe siècle, par une baie au niveau du sol.