Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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ne pouvons que constater ses résultats sans avoir découvert, jusqu'à présent, ses formules. Nous reconnaissons bien qu'il existe un module, des tonalités différentes, des règles mathématiques, mais nous n'en possédons pas la clef, et Vitruve ne peut guère nous aider en ceci, car lui-même ne semble pas avoir été initié aux formules de l'architecture grecque des beaux temps, et ce qu'il dit au sujet des ordres n'est pas d'accord avec les exemples laissés par ses maîtres. Laissons donc ce problème à résoudre, ne voyons que l'apparence. Si nous considérons seulement les deux architectures mères des arts du moyen âge, c'est-à-dire l'architecture grecque et l'architecture romaine, nous trouvons dans la première un art complet, tout d'une pièce, conséquent, formulé, dans lequel l'apparence est d'accord avec le principe; dans la seconde, une structure indépendante souvent de l'apparence, le besoin et l'art, l'objet et sa décoration. Le besoin étant manifesté dans l'architecture romaine, étant impérieux même habituellement, et le besoin se rapportant à l'homme, l'harmonie pure de l'art grec est détruite; l'échelle apparaît déjà dans les édifices romains; elle devient impérieuse dans l'architecture du moyen âge. De même que, dans la société antique, l'individu n'est rien, qu'il est le jouet du destin, qu'il est perdu dans la chose publique, aussi ne peut-il exercer une influence sur la forme ou les proportions des monuments qu'il élève. Un temple est un temple; il est grand, si la cité peut le faire grand; il est petit, si sa destination ou la pénurie des ressources exige qu'il soit petit; s'il est grand, il y a une grande porte; s'il est petit, il n'a qu'une petite porte. Les impossibilités résultant de la nature des matériaux mettent seules une limite aux dimensions du grand monument, comme l'obligation de passer sous une porte empêche seule qu'elle ne s'abaisse au-dessous de la taille humaine; mais il ne venait certainement pas à l'esprit d'un Grec de mettre en rapport son édifice avec lui-homme, comme il ne supposait pas que son moi pût modifier les arrêts du destin. Les rapports harmoniques qui existent entre les membres d'un ordre grec sont si bien commandés par l'art et non par l'objet, que, par exemple, un portique de colonnes doriques devant toujours s'élever sur un socle composé d'assises en retraite les unes sur les autres comme des degrés, la hauteur de ces degrés devant être dans un rapport harmonique avec le diamètre des colonnes, si le diamètre de ces colonnes est tel que chacun des degrés ait la hauteur d'une marche ordinaire, c'est tant mieux pour les jambes de ceux qui veulent entrer sous le portique. Mais si le diamètre de ces colonnes est beaucoup plus grand, la hauteur harmonique des degrés augmentera en proportion; il deviendra impossible à des jambes humaines de les franchir, et comme, après tout, il faut monter, on pratiquera, à même ces degrés, des marches sur quelques points, comme une concession faite par l'art aux besoins de l'homme, mais faite, on s'en aperçoit, avec regret. Évidemment le Grec considérait les choses d'art plutôt en amant qu'en maître. Chez lui, l'architecture n'obéissait qu'à ses propres lois. Cela est bien beau assurément, mais ne peut exister qu'au milieu d'une société comme la société grecque, chez laquelle le culte, le respect, l'amour et la conservation du beau étaient l'affaire principale. Rendez-nous ces temps favorables, ou mettez vos édifices à l'échelle. D'ailleurs il ne faut pas espérer pouvoir en même temps sacrifier à ces deux principes opposés. Quand, dans une cité, les édifices publics et privés sont tous construits suivant une harmonie propre, tenant à l'architecture elle-même, il s'établit entre ces oeuvres de dimensions très-différentes des rapports qui probablement donnent aux yeux le plaisir que procure à l'ouïe une symphonie bien écrite. L'oeil fait facilement abstraction de la dimension quand les proportions sont les mêmes, et on conçoit très-bien qu'un Grec éprouvât autant de plaisir à voir un petit ordre établi suivant les règles harmoniques qu'un grand; qu'il ne fût pas choqué de voir le petit et le grand à côté l'un de l'autre, pas plus qu'on n'est choqué d'entendre une mélodie chantée par un soprano et une basse-taille. Peut-être même les Grecs établissaient-ils dans les relations entre les dimensions les rapports harmoniques que nous reconnaissons entre des voix chantant à l'octave. Peut-être les monuments destinés à être vus ensemble étaient-ils composés par antiphonies? Nous pouvons bien croire que les Grecs ont été capables de tout en fait d'art, qu'ils éprouvaient par le sens de la vue des jouissances que nous sommes trop grossiers pour jamais connaître.

      Le mode grec, que les Romains ne comprirent pas, fut perdu. À la place de ces principes harmoniques, basés sur le module abstrait, le moyen âge émit un autre principe, celui de l'échelle, c'est-à-dire qu'à la place d'un module variable comme la dimension des édifices, il prit une mesure uniforme, et cette mesure uniforme est donnée par la taille de l'homme d'abord, puis par la nature de la matière employée. Ces nouveaux principes (nous disons nouveaux, car nous ne les voyons appliqués nulle part dans l'antiquité) ne font pas que, parce que l'homme est petit, tous les monuments seront petits; ils se bornent, même dans les plus vastes édifices (et le moyen âge ne se fit pas faute d'en élever de cette sorte), à forcer l'architecte à rappeler toujours la dimension de l'homme, à tenir compte toujours de la dimension des matériaux qu'il emploie.

      Dorénavant, une porte ne grandira plus en proportion de l'édifice, car la porte est faite pour l'homme, elle conservera l'échelle de sa destination; un degré sera toujours un degré praticable. La taille de l'homme (nous choisissons, bien entendu, parmi les plus grands) est divisée en six parties, lesquelles sont divisées en douze, car le système duodécimal, qui peut se diviser par moitié, par quarts et par tiers, est d'abord admis comme le plus complet. L'homme est la toise, le sixième de l'homme est le pied, le douzième du pied est le pouce. Armés de cette mesure, les architectes vont y subordonner tous les membres de leurs édifices: c'est donc l'homme qui devient le module, et ce module est invariable. Cela ne veut pas dire que l'architecture du moyen âge, à son origine et à son apogée, soit un simple calcul, une formule numérique; non, ce principe se borne à rappeler toujours la taille humaine. Ainsi, quelle que soit la hauteur d'une pile, la base de cette pile ne dépasse jamais la hauteur d'appui; quelle que soit la hauteur d'une façade, la hauteur des portes n'excédera pas deux toises, deux toises et demie au plus, parce qu'on ne suppose pas que des hommes et ce qu'ils peuvent porter, tels que bannières, dais, bâtons, puissent dépasser cette hauteur. Quelle que soit la hauteur d'un vaisseau, les galeries de service à différents étages seront proportionnées, non à la grandeur de l'édifice, mais à la taille de l'homme. Voilà pour certains membres principaux. Entrons plus avant dans la théorie. On a été chercher fort loin l'origine des colonnes engagées qui, dans les monuments du moyen âge, s'allongent indéfiniment, quel que soit leur diamètre, contrairement au mode grec; il n'était besoin cependant que de recourir au principe de l'échelle admis par les architectes de ces temps pour trouver la raison de cette innovation. On nous a dénié l'influence de l'échelle humaine, en nous disant, par exemple, que les colonnes engagées des piles de la cathédrale de Reims sont bien plus grosses que celles d'une église de village; nous répondons que les colonnes engagées de la cathédrale de Reims ne sont pas dans un rapport proportionnel avec des colonnes engagées d'un édifice quatre fois plus petit. C'est matière de géométrie.

      Prenons un monument franchement gothique, la nef principale de la cathédrale d'Amiens. Cette nef a, d'axe en axe des piles, 14m,50; les colonnes centrales portent 1m,36 de diamètre, et les quatre colonnettes engagées qui cantonnent ces colonnes centrales, 0,405m. Nous demandons que l'on nous indique une nef de la même époque, n'ayant que 7m,25 de largeur d'axe en axe des piles, dont les colonnes centrales n'auraient que 0,68 c. de diamètre et les colonnes engagées 0,20 c., c'est-à-dire étant dans un rapport exact de proportion avec la nef de la cathédrale d'Amiens.

      Voici un monument qui se présente à propos, construit en matériaux très-résistants, tandis que ceux dont se compose la cathédrale d'Amiens ne le sont que médiocrement: c'est la nef de l'église de Semur-en-Auxois, bâtie en même temps que celle de la cathédrale d'Amiens. La nef n'a en largeur qu'un peu moins de la moitié de celle-ci, 6m,29. Or les colonnes centrales ont 1m,08 de diamètre, et les colonnes engagées qui les cantonnent, 0,27 c., au lieu de 0,64 c. et 0,19 c. Ces rapports proportionnels que nous trouvons dans l'architecture antique n'existent donc pas ici; notez que 0,405m font juste 15 pouces, et 0,27 c., 10 pouces, et les colonnettes cantonnantes des piles de l'église de Semur sont les plus grêles que nous connaissions de cette époque; ordinairement ces colonnettes,

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