Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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effarouché par ces bariolages, ne trouve pas cela d'un bon effet, mais on lui démontre que les décorateurs du moyen âge ont été scrupuleusement consultés, et ce même public en conclut que les décorateurs du moyen âge étaient des barbares, ce que d'ailleurs on lui accorde bien volontiers.

      Dans la décoration de l'architecture, il faut convenir, il est vrai, que la peinture est la partie la plus difficile peut-être et celle qui demande le plus de calculs et d'expérience. Alors que l'on peignait tous les intérieurs des édifices, les plus riches comme les plus pauvres, on avait nécessairement des données, des règles que l'on suivait par tradition; les artistes les plus ordinaires ne pouvaient ainsi s'égarer. Mais aujourd'hui ces traditions sont absolument perdues, chacun cherche une loi inconnue; il ne faut donc pas s'étonner si la plupart des essais tentés n'ont produit que des résultats peu satisfaisants.

      Le XIIe siècle atteint l'apogée de l'art de la peinture architectonique pendant le moyen âge en France; les vitraux, les vignettes des manuscrits et les fragments de peintures murales de cette époque accusent un art savant, très-avancé, une singulière entente de l'harmonie des tons, la coïncidence de cette harmonie avec les formes de l'architecture. Il n'est pas douteux que cet art s'était développé dans les cloîtres et procédait de l'art grec byzantin. Alors les étoffes les plus belles, les meubles, les ustensiles colorés, un grand nombre de manuscrits même, rapportés d'Orient, étaient renfermés dans les trésors et les bibliothèques des couvents, et servaient de modèles aux moines adonnés aux travaux d'art. Plus tard, vers la fin du XIIe siècle, lorsque l'architecture sortit des monastères et fut pratiquée par l'école laïque, il se fit une révolution dans l'art de la peinture, qui, sans être aussi radicale que celle opérée dans l'architecture, modifia profondément cependant les principes posés par l'école monacale.

      Sans parler longuement de quelques fragments de peinture à peine visibles, de linéaments informes qui apparaissent sur certains monuments avant le XIe siècle, nous constaterons seulement que dès l'époque gallo-romaine, c'est-à-dire vers le IVe siècle, tous les monuments paraissent avoir été peints en dedans et en dehors. Cette peinture était appliquée soit sur la pierre même, soit sur un enduit couvrant des murs de maçonnerie, et elle ne consistait, pour les parties élevées au-dessus du sol, qu'en une sorte de badigeon blanc, ou blanc jaunâtre, sur lequel étaient tracés des dessins très-déliés en noir ou en ocre rouge. Près du sol apparaissaient des tons soutenus, brun rouge, ou même noirs, relevés de quelques filets jaunes, verdâtres ou blancs. Les sculptures elles-mêmes étaient couvertes de ce badigeon d'une faible épaisseur, les ornements se détachant sur des fonds rouges et souvent rehaussés de traits noirs et de touches jaunes 57. Ce genre de décoration peinte paraît avoir été longtemps pratiqué dans les Gaules et jusqu'au moment où Charlemagne fit venir des artistes d'Italie et d'Orient. Cette dernière influence étrangère ne fut pas la seule cependant qui dut conduire à l'art de la peinture monumentale, tel que nous le voyons se développer au XIIe siècle. Les Saxons, les Normands, couvraient d'ornements peints leurs maisons, leurs ustensiles, leurs armes et leurs barques; et il existe dans la bibliothèque du Musée Britannique des vignettes de manuscrits saxons du XIe siècle qui sont, comme dessin, comme finesse d'exécution et comme entente de l'harmonie des tons, d'une beauté surprenante 58. Cet art venait évidemment de l'Inde septentrionale, de ce berceau commun à tous les peuples qui ont su harmoniser les couleurs. La facilité avec laquelle les Normands, à peine établis sur le sol de la Gaule, exercèrent et développèrent même l'art de l'architecture, la façon de vivre déjà raffinée à laquelle les Saxons étaient arrivés en Angleterre au moment de l'invasion de Guillaume le Bâtard, indiquent assez que ces peuples avaient en eux autre chose que des instincts de pillards, et qu'ils provenaient de familles possédant depuis longtemps certaines notions d'art. Mais d'abord il est nécessaire de bien s'entendre sur ce qu'est l'art de la peinture appliqué à l'architecture. De notre temps on a mis une si grande confusion en toutes ces questions d'art, qu'il est bon de poser d'abord les principes. Ce qu'on entend par un peuple de coloristes (pour me servir d'une expression consacrée, si mauvaise qu'elle soit), c'est-à-dire les Vénitiens, les Flamands par exemple, ne sont pas du tout coloristes à la façon des populations du Tibet, des Hindous, des Chinois, des Japonais, des Persans et même des Égyptiens de l'antiquité. Obtenir un effet saisissant dans un tableau, par le moyen de sacrifices habilement faits, d'une exagération de certains tons donnés par la nature, d'une entente très-délicate des demi-teintes, comme peuvent le faire, ou Titien, ou Rembrandt, ou Metzu, et faire un châle du Tibet, ce sont deux opérations très-distinctes de l'esprit. Il n'y a qu'un Titien, il n'y a qu'un Rembrandt et qu'un Metzu, et tous les tisserands de l'Inde arrivent à faire des écharpes de laine qui, sans exception aucune, donnent des assemblages harmoniques de couleur. Pour qu'un Titien ou qu'un Rembrandt se développe, il faut un milieu social extrêmement civilisé de tous points; mais le Tibétain le plus ignorant, vivant dans une cabane de bois, au milieu d'une famille misérable comme lui, tissera un châle dont le riche assemblage de couleurs charmera nos yeux et ne pourra être qu'imparfaitement imité par nos fabriques les mieux dirigées. L'état plus ou moins barbare d'un peuple, à notre point de vue, n'est donc pas un obstacle au développement d'une certaine partie de l'art de la peinture applicable à la décoration monumentale; mais il ne faut pas conclure cependant de ce qu'un peuple est très-civilisé, qu'il ne puisse arriver ou revenir à cet art monumental: témoin les Maures d'Espagne, gens très-civilisés, qui ont produit en fait de peinture appliquée à l'architecture d'excellents modèles; et de ce que l'art du peintre, comme on l'entend depuis le XVIe siècle, arrive à un degré très-élevé de perfection, on ne puisse en même temps posséder une peinture architectonique: témoin les Vénitiens des XVe et XVIe siècles. Une seule conclusion est à tirer des observations précédentes: c'est que l'art du peintre de tableaux et l'art du peintre appliqué à l'architecture procèdent très-différemment; que vouloir mêler ces deux arts, c'est tenter l'impossible. Quelques lignes suffiront pour faire ressortir cette impossibilité. Qu'est-ce qu'un tableau? C'est une scène que l'on fait voir au spectateur à travers un cadre, une fenêtre ouverte. Unité de point de vue, unité de direction de la lumière, unité d'effet. Pour bien voir un tableau, il n'est qu'un point, un seul, placé sur la perpendiculaire élevée du point de l'horizon qu'on nomme point visuel. Pour tout oeil délicat, regarder un tableau en dehors de cette condition unique est une souffrance, comme c'est une torture de se trouver devant une décoration de théâtre au-dessus ou au-dessous de la ligne de l'horizon. Beaucoup de gens subissent cette torture sans s'en douter, nous l'admettons; mais ce n'est pas sur la grossièreté des sens du plus grand nombre que nous pouvons établir les règles de l'art.

      Partant donc de cette condition rigoureuse imposée au tableau, nous ne comprenons pas un tableau, c'est-à-dire une scène représentée suivant les règles de la perspective, de la lumière et de l'effet, placé de telle façon que le spectateur se trouve à 4 ou 5 mètres au-dessous de son horizon, et bien loin du point de vue à droite ou à gauche. Les époques brillantes de l'art n'ont pas admis ces énormités: ou bien les peintres (comme pendant le moyen âge) n'ont tenu compte, dans les sujets peints à toutes hauteurs sur les murs, ni d'un horizon, ni d'un lieu réel, ni de l'effet perspectif, ni d'une lumière unique; ou bien ces peintres (comme ceux du XVIe et du XVIIe siècle) ont résolument abordé la difficulté en traçant les scènes qu'ils voulaient représenter sur les parois ou sous le plafond d'une salle, d'après une perspective unique, supposant que tous les personnages ou objets que l'on montrait au spectateur se trouvaient disposés réellement où on les figurait, et se présentaient par conséquent sous un aspect déterminé par cette place même. Ainsi voit-on, dans des plafonds de cette époque, des personnages par la plante des pieds, certaines figures dont les genoux cachent la poitrine. Naturellement cette façon de tromper l'oeil eut un grand succès. Il est clair cependant que si, dans cette manière de décoration monumentale, l'horizon est supposé placé à 2 mètres du sol, à la hauteur réelle de l'oeil du spectateur, il ne peut y avoir sur toute cette surface horizontale supposée à 2 mètres du pavé, qu'un seul point de vue. Or, du moment qu'on sort de ce point unique, le tracé perspectif de toute la décoration devient faux, toutes les lignes paraissent danser

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<p>57</p>

Nous avons vu beaucoup de traces de ces sortes de peintures sur des fragments de monuments gallo-romains des bas temps; malheureusement ces traces disparaissent promptement au contact de l'air.

<p>58</p>

Voyez, entre autres, le Ms. de la bibl. Coll. Nero. D. IV, Évang. lat. Sax.