Bric-à-brac. Alexandre Dumas
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Alexandre Dumas
Bric-à-brac
Publié par Good Press, 2021
EAN 4064066076382
Table des matières
DEUX INFANTICIDES
COMMENT J'AI FAIT JOUER À MARSEILLE LE DRAME DES FORESTIERS
LE LOTUS BLANC ET LA ROSE MOUSSEUSE
DEUX INFANTICIDES POÈTES, PEINTRES ET MUSICIENS DÉSIR ET POSSESSION UNE MÈRE LE CURÉ DE BOULOGNE UN FAIT PERSONNEL COMMENT J'AI FAIT JOUER À MARSEILLE LE DRAME DES FORESTIERS HEURES DE PRISON JACQUES FOSSE LE CHÂTEAU DE PIERREFONDS LE LOTUS BLANC ET LA ROSE MOUSSEUSE
DEUX INFANTICIDES
On s'est énormément occupé, depuis quelque temps, d'un animal de ma connaissance, pensionnaire du Jardin des Plantes, et qui a conquis sa célébrité à la suite de deux des plus grands crimes que puissent commettre le bipède et le quadrupède, l'homme et le pachyderme,—à la suite de deux infanticides.
Vous avez déjà compris que je voulais parler de l'hippopotame.
Toutes les fois que quelque grand criminel attire sur lui la curiosité publique, à l'instant même, on se met à la recherche de ses antécédents; on remonte à sa jeunesse, à son enfance; on jette des lueurs sur sa famille, sur le lieu de sa naissance, enfin sur tout ce qui tient à son origine.
Eh bien, sur ce point, j'ose dire que je suis le seul en France qui puisse satisfaire convenablement votre curiosité.
Si vous avez lu, dans mes Causeries, l'article intitulé: les Petits Cadeaux de mon ami Delaporte [Footnote: Tome II, p. 41], vous vous rappellerez que j'ai déjà raconté comment notre excellent consul à Tunis, dans son désir de compléter les échantillons zoologiques du Jardin des Plantes, était parvenu à se procurer successivement vingt singes, cinq antilopes, trois girafes, deux lions, et, enfin, un petit hippopotame, qui, parvenu à l'âge adulte, est devenu le père de celui dont nous déplorons aujourd'hui la fin prématurée.
Mais n'anticipons pas, et reprenons l'histoire où nous l'avons laissée.
Le petit hippopotame offert par Delaporte au Jardin des Plantes avait été pris, il vous en souvient, sous le ventre même de sa mère.
Aussi fallut-il lui trouver un biberon.
Une peau de chèvre fit l'affaire; une des pattes de l'animal, coupée au genou et débarrassée de son poil, simula le pis maternel. Le lait de quatre chèvres fut versé dans la peau, et le nourrisson eut un biberon.
On avait quelque chose comme quatre ou cinq cents lieues à faire avant que d'arriver au Caire. La nécessité où l'on était de tenir toujours l'hippopotame dans l'eau douce forçait les pêcheurs à suivre le cours du fleuve; c'était, d'ailleurs, le procédé le plus facile. Un firman du pacha autorisait les pêcheurs à mettre sur leur route en réquisition autant de chèvres et de vaches que besoin serait.
Pendant les premiers jours, il fallut au jeune hippopotame le lait de dix chèvres ou de quatre vaches. Au fur et à mesure qu'il grandissait, le nombre de ses nourrices augmentait. À Philae, il lui fallut le lait de vingt chèvres ou de huit vaches; en arrivant au Caire, celui de trente chèvres ou de douze vaches.
Au reste, il se portait à merveille, et jamais nourrisson n'avait fait plus d'honneur à ses nourrices.
Seulement, comme nous l'avons dit, les pêcheurs étaient pleins d'inquiétude; le pacha leur avait demandé une femelle, et, au bout de quatre ans, au lieu d'une femelle, ils lui apportaient un mâle.
Le premier moment fut terrible! Abbas-Pacha déclara que ses émissaires étaient quatre misérables qu'il ferait périr sous le bâton. Ces menaces-là, en Egypte, ont toujours un côté sérieux; aussi les malheureux pécheurs députèrent-ils un des leurs à Delaporte.
Delaporte les rassura: il répondait de tout.
En effet, il alla trouver Abbas-Pacha; et, comme s'il ignorait l'arrivée du malencontreux animal à Boulacq, il annonça au pacha qu'il venait de recevoir des nouvelles du gouvernement français, lequel, éprouvant le besoin d'avoir au Jardin des Plantes un hippopotame mâle, faisait demander au consul s'il n'y aurait pas moyen de se procurer au Caire un animal de ce sexe et de cette espèce.
Vous comprenez…
Abbas-Pacha trouvait le placement de son hippopotame, et était en même temps agréable à un gouvernement allié.
Il n'y avait pas moyen de faire donner la bastonnade à des gens qui avaient été au-devant des désirs du consul d'une des grandes puissances européennes.
D'ailleurs, la question était presque résolue: en vertu de l'entente cordiale qui existait entre les deux gouvernements, il était évident qu'à un moment donné, ou la France prêterait son hippopotame mâle à l'Angleterre, ou l'Angleterre prêterait son hippopotame femelle à la France.
Delaporte remercia Abbas-Pacha en son nom et au nom de Geoffroy Saint-Hilaire, donna une magnifique prime aux quatre pêcheurs, et s'occupa du transport en France de sa ménagerie.
D'abord, il crut la chose facile: il pensait avoir l'Albatros à sa disposition; mais l'Albatros reçut l'ordre de faire voile pour je ne sais plus quel port de l'Archipel.
Force fut à Delaporte de traiter avec un bateau à vapeur des
Messageries impériales.