Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas

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Le Chevalier de Maison-Rouge - Alexandre  Dumas

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style="font-size:15px;">      La jeune femme baissa la tête et ne répondit pas.

      – Au reste, madame, continua Maurice, si j’ai surpris quelque secret, il ne faut pas m’en vouloir; je n’y tâchais pas.

      – Me voici arrivée, monsieur, dit l’inconnue.

      On était en face de la vieille rue Saint-Jacques, bordée de hautes maisons noires, percée d’allées obscures, de ruelles occupées par des usines et des tanneries, car à deux pas coule la petite rivière de Bièvre.

      – Ici? dit Maurice. Comment! c’est ici que vous demeurez?

      – Oui.

      – Impossible!

      – C’est cependant ainsi. Adieu, adieu donc, mon brave chevalier; adieu, mon généreux protecteur!

      – Adieu, madame, répondit Maurice avec une légère ironie; mais dites-moi, pour me tranquilliser, que vous ne courez plus aucun danger.

      – Aucun.

      – En ce cas, je me retire.

      Et Maurice fit un froid salut en se reculant de deux pas en arrière.

      L’inconnue demeura un instant immobile à la même place.

      – Je ne voudrais cependant pas prendre congé de vous ainsi, dit-elle. Voyons, monsieur Maurice, votre main.

      Maurice se rapprocha de l’inconnue et lui tendit la main.

      Il sentit alors que la jeune femme lui glissait une bague au doigt.

      – Oh! oh! citoyenne, que faites-vous donc là? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une de vos bagues?

      – Oh! monsieur, dit-elle, ce que vous faites là est bien mal.

      – Il me manquait ce vice, n’est-ce pas, madame, d’être ingrat?

      – Voyons, je vous en supplie, monsieur… mon ami. Ne me quittez pas ainsi. Voyons, que demandez-vous? Que vous faut-il?

      – Pour être payé, n’est-ce pas? dit le jeune homme avec amertume.

      – Non, dit l’inconnue avec une expression enchanteresse, mais pour me pardonner le secret que je suis forcée de garder envers vous.

      Maurice, en voyant luire dans l’obscurité ces beaux yeux presque humides de larmes, en sentant frémir cette main tiède entre les siennes, en entendant cette voix qui était presque descendue à l’accent de la prière, passa tout à coup de la colère au sentiment exalté.

      – Ce qu’il me faut? s’écria-t-il. Il faut que je vous revoie.

      – Impossible.

      – Ne fût-ce qu’une seule fois, une heure, une minute, une seconde.

      – Impossible, je vous dis.

      – Comment! demanda Maurice, c’est sérieusement que vous me dites que je ne vous reverrai jamais?

      – Jamais! répondit l’inconnue comme un douloureux écho.

      – Oh! madame, dit Maurice, décidément vous vous jouez de moi.

      Et il releva sa noble tête en secouant ses longs cheveux à la manière d’un homme qui veut échapper à un pouvoir qui l’étreint malgré lui.

      L’inconnue le regardait avec une expression indéfinissable. On voyait qu’elle n’avait pas entièrement échappé au sentiment qu’elle inspirait.

      – Écoutez, dit-elle après un moment de silence qui n’avait été interrompu que par un soupir qu’avait inutilement cherché à étouffer Maurice. Écoutez! me jurez-vous sur l’honneur de tenir vos yeux fermés du moment où je vous le dirai jusqu’à celui où vous aurez compté soixante secondes? Mais là… sur l’honneur.

      – Et, si je le jure, que m’arrivera-t-il?

      – Il arrivera que je vous prouverai ma reconnaissance, comme je vous promets de ne la prouver jamais à personne, fît-on pour moi plus que vous n’avez fait vous-même; ce qui, au reste, serait difficile.

      – Mais enfin puis-je savoir?…

      – Non, fiez-vous à moi, vous verrez…

      – En vérité, madame, je ne sais si vous êtes un ange ou un démon.

      – Jurez-vous?

      – Eh bien, oui, je le jure!

      – Quelque chose qui arrive, vous ne rouvrirez pas les yeux?… Quelque chose qui arrive, comprenez-vous bien, vous sentissiez-vous frappé d’un coup de poignard?

      – Vous m’étourdissez, ma parole d’honneur, avec cette exigence.

      – Eh! jurez donc, monsieur; vous ne risquez pas grand’chose, ce me semble.

      – Eh bien! je jure, quelque chose qui m’arrive, dit Maurice en fermant les yeux.

      Il s’arrêta.

      – Laissez-moi vous voir encore une fois, une seule fois, dit-il, je vous en supplie.

      La jeune femme rabattit son capuchon avec un sourire qui n’était pas exempt de coquetterie; et à la lueur de la lune, qui en ce moment même glissait entre deux nuages, il put revoir pour la seconde fois ces longs cheveux pendants en boucles d’ébène, l’arc parfait d’un double sourcil qu’on eût cru dessiné à l’encre de Chine, deux yeux fendus en amande, veloutés et languissants, un nez de la forme la plus exquise, des lèvres fraîches et brillantes comme du corail.

      – Oh! vous êtes belle, bien belle, trop belle! s’écria Maurice.

      – Fermez les yeux, dit l’inconnue.

      Maurice obéit.

      La jeune femme prit ses deux mains dans les siennes, le tourna comme elle voulut. Soudain une chaleur parfumée sembla s’approcher de son visage, et une bouche effleura sa bouche, laissant entre ses deux lèvres la bague qu’il avait refusée.

      Ce fut une sensation rapide comme la pensée, brûlante comme une flamme. Maurice ressentit une commotion qui ressemblait presque à la douleur, tant elle était inattendue et profonde, tant elle avait pénétré au fond du cœur et en avait fait frémir les fibres secrètes.

      Il fit un brusque mouvement en étendant les bras devant lui.

      – Votre serment! cria une voix déjà éloignée.

      Maurice appuya ses mains crispées sur ses yeux pour résister à la tentation de se parjurer. Il ne compta plus, il ne pensa plus; il resta muet, immobile, chancelant.

      Au bout d’un instant il entendit comme le bruit d’une porte qui se refermait à cinquante ou soixante pas de lui; puis tout bientôt rentra dans le silence.

      Alors il écarta ses doigts, rouvrit les yeux, regarda autour de lui comme un homme qui s’éveille, et peut-être eût-il

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