Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le comte de Monte Cristo - Alexandre Dumas страница 13
Fernand ferma les yeux: un nuage de feu brûla ses paupières; il s’appuya à la table pour ne pas défaillir, et, malgré tous ses efforts, ne put retenir un gémissement sourd qui se perdit dans le bruit des rires et des félicitations de l’assemblée.
«C’est bien agir, cela, hein, dit le père Dantès. Cela s’appelle-t-il perdre son temps, à votre avis? Arrivé d’hier au matin, marié aujourd’hui à trois heures! Parlez-moi des marins pour aller rondement en besogne.
– Mais les autres formalités, objecta timidement Danglars: le contrat, les écritures?…
– Le contrat, dit Dantès en riant, le contrat est tout fait: Mercédès n’a rien, ni moi non plus! Nous nous marions sous le régime de la communauté, et voilà! Ça n’a pas été long à écrire et ce ne sera pas cher à payer.»
Cette plaisanterie excita une nouvelle explosion de joie et de bravos.
«Ainsi, ce que nous prenions pour un repas de fiançailles, dit Danglars, est tout bonnement un repas de noces.
– Non pas, dit Dantès; vous n’y perdrez rien, soyez tranquilles. Demain matin, je pars pour Paris. Quatre jours pour aller, quatre jours pour revenir, un jour pour faire en conscience la commission dont je suis chargé, et le 1er mars je suis de retour; au 2 mars donc le véritable repas de noces.»
Cette perspective d’un nouveau festin redoubla l’hilarité au point que le père Dantès, qui au commencement du dîner se plaignait du silence, faisait maintenant, au milieu de la conversation générale, de vains efforts pour placer son vœu de prospérité en faveur des futurs époux.
Dantès devina la pensée de son père et y répondit par un sourire plein d’amour. Mercédès commença de regarder l’heure au coucou de la salle et fit un petit signe à Edmond.
Il y avait autour de la table cette hilarité bruyante et cette liberté individuelle qui accompagnent, chez les gens de condition inférieure, la fin des repas. Ceux qui étaient mécontents de leur place s’étaient levés de table et avaient été chercher d’autres voisins. Tout le monde commençait à parler à la fois, et personne ne s’occupait de répondre à ce que son interlocuteur lui disait, mais seulement à ses propres pensées.
La pâleur de Fernand était presque passée sur les joues de Danglars; quant à Fernand lui-même, il ne vivait plus et semblait un damné dans le lac de feu. Un des premiers, il s’était levé et se promenait de long en large dans la salle, essayant d’isoler son oreille du bruit des chansons et du choc des verres.
Caderousse s’approcha de lui au moment où Danglars, qu’il semblait fuir, venait de le rejoindre dans un angle de la salle.
«En vérité, dit Caderousse, à qui les bonnes façons de Dantès et surtout le bon vin du père Pamphile avaient enlevé tous les restes de la haine dont le bonheur inattendu de Dantès avait jeté les germes dans son âme, en vérité, Dantès est un gentil garçon; et quand je le vois assis près de sa fiancée, je me dis que ç’eût été dommage de lui faire la mauvaise plaisanterie que vous complotiez hier.
– Aussi, dit Danglars, tu as vu que la chose n’a pas eu de suite; ce pauvre M. Fernand était si bouleversé qu’il m’avait fait de la peine d’abord; mais du moment qu’il en a pris son parti, au point de s’être fait le premier garçon de noces de son rival, il n’y a plus rien à dire.»
Caderousse regarda Fernand, il était livide.
«Le sacrifice est d’autant plus grand, continua Danglars, qu’en vérité la fille est belle. Peste! l’heureux coquin que mon futur capitaine; je voudrais m’appeler Dantès douze heures seulement.
– Partons-nous? demanda la douce voix de Mercédès; voici deux heures qui sonnent, et l’on nous attend à deux heures un quart.
– Oui, oui, partons! dit Dantès en se levant vivement.
– Partons!» répétèrent en chœur tous les convives.
Au même instant, Danglars, qui ne perdait pas de vue Fernand assis sur le rebord de la fenêtre, le vit ouvrir des yeux hagards, se lever comme par un mouvement convulsif, et retomber assis sur l’appui de cette croisée; presque au même instant un bruit sourd retentit dans l’escalier; le retentissement d’un pas pesant, une rumeur confuse de voix mêlées à un cliquetis d’armes couvrirent les exclamations des convives, si bruyantes qu’elles fussent, et attirèrent l’attention générale, qui se manifesta à l’instant même par un silence inquiet. Le bruit s’approcha: trois coups retentirent dans le panneau de la porte; chacun regarda son voisin d’un air étonné.
«Au nom de la loi!» cria une voix vibrante, à laquelle aucune voix ne répondit.
Aussitôt la porte s’ouvrit, et un commissaire, ceint de son écharpe, entra dans la salle, suivi de quatre soldats armés, conduits par un caporal.
L’inquiétude fit place à la terreur.
«Qu’y a-t-il? demanda l’armateur en s’avançant au-devant du commissaire qu’il connaissait; bien certainement, monsieur, il y a méprise.
– S’il y a méprise, monsieur Morrel, répondit le commissaire croyez que la méprise sera promptement réparée; en attendant, je suis porteur d’un mandat d’arrêt; et quoique ce soit avec regret que je remplisse ma mission, il ne faut pas moins que je la remplisse: lequel de vous, messieurs, est Edmond Dantès?»
Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme qui, fort ému, mais conservant sa dignité, fit un pas en avant et dit:
«C’est moi, monsieur, que me voulez-vous?
– Edmond Dantès, reprit le commissaire, au nom de la loi, je vous arrête!
– Vous m’arrêtez! dit Edmond avec une légère pâleur, mais pourquoi m’arrêtez-vous?
– Je l’ignore, monsieur, mais votre premier interrogatoire vous l’apprendra.»
M. Morrel comprit qu’il n’y avait rien à faire contre l’inflexibilité de la situation: un commissaire ceint de son écharpe n’est plus un homme, c’est la statue de la loi, froide, sourde, muette.
Le vieillard, au contraire, se précipita vers l’officier; il y a des choses que le cœur d’un père ou d’une mère ne comprendra jamais.
Il pria et supplia: larmes et prières ne pouvaient rien; cependant son désespoir était si grand, que le commissaire en fut touché.
«Monsieur, dit-il, tranquillisez-vous; peut-être votre fils a-t-il négligé quelque formalité de douane ou de santé, et, selon toute probabilité, lorsqu’on aura reçu de lui les renseignements qu’on désire en tirer, il sera remis en liberté.
– Ah çà! qu’est-ce que cela signifie? demanda en fronçant le sourcil Caderousse à Danglars, qui jouait la surprise.
– Le sais-je, moi? dit Danglars; je suis comme toi: je vois ce qui se passe, je n’y comprends rien, et je reste confondu.»
Caderousse chercha des yeux Fernand: il avait disparu. Toute la scène de la veille se représenta alors à son esprit avec une effrayante lucidité. On