Borgia. Michel Zevaco
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Les laquais auxquels s’adressait cette apostrophe se précipi-tèrent vers le chevalier et, avec toutes les marques d’un grand respect, s’emparèrent de Capitan, qu’ils conduisirent dans l’une des vastes écuries du château. Ragastens s’était retourné vers ce-lui qui venait si à propos de le tirer d’embarras.
– Le baron Astorre ! s’écria-t-il non sans surprise.
– Moi-même, répondit le colosse, enchanté de me mettre à votre disposition, pour vous guider à travers cette petite ville touf-fue qu’est le château de Saint-Ange !
– Ma foi, mon cher baron, je vous suis vraiment obligé de l’offre… Mais permettez-moi de m’enquérir de votre santé… Bien que vous ayez le bras en écharpe, j’espère que je n’aurais pas été assez maladroit pour vous endommager sérieusement…
– Vous le voyez, chevalier, je n’ai pas l’air d’un moribond ; par tous les diables, l’épée qui doit m’envoyer ad patres n’est pas encore forgée… Mais venez… je vais vous conduire jusqu’aux ap-partements de monseigneur César qui, en ce moment, est en con-férence avec son illustre Père…
Le baron lui fit monter un somptueux escalier de granit rose, au haut duquel commençait une enfilade de salles décorées avec un luxe plus sobre que celui du Palais-Riant. Ils arrivèrent ainsi à une sorte de vaste salon où grouillait tout un monde de seigneurs chamarrés, de gardes, de courtisans, qui bavardaient sans la moindre retenue.
– Messieurs, dit Astorre de façon à dominer les conversa-tions, permettez-moi de vous présenter M. le chevalier de Ragas-tens, gentilhomme français, venu en Italie pour nous montrer à tous comment on manie une épée et qui a débuté par me donner, à moi l’Invincible Astorre, une leçon dont je me souviendrai long-temps !
Tous les regards convergèrent sur le chevalier. Ragastens tressaillit. Car il lui avait semblé démêler dans la voix d’Astorre quelque intonation ironique et c’étaient des regards moqueurs qui se tournaient vers lui…
César Borgia se trouvait en effet chez le pape, ainsi que le baron Astorre l’avait annoncé à Ragastens.
Alexandre VI était, à cette époque, un vieillard de soixante-dix ans. Sa physionomie « ondoyante et diverse » portait les marques d’une subtile diplomatie.
Alexandre était de taille un peu au-dessus de la moyenne ; il se tenait droit, bien que parfois il feignît de courber la tête comme sous le poids de la pensée. C’était un vieillard d’une ad-mirable verdeur. Ses origines espagnoles se révélaient dans son œil dur et hautain, dans le circonflexe de la bouche fine et serrée, dans les sourcils demeurés touffus et presque noirs.
Au moment où nous pénétrons auprès du pape, il se trouve dans une sorte d’oratoire sévèrement meublé, assis dans un vaste fauteuil à haut dossier sculpté.
Un jeune homme, qui semblait à peine avoir dépassé la ving-tième année, était devant lui, debout, dans une attitude de respect pleine de dignité et le pape achevait un entretien commencé de-puis une demi-heure. Ses yeux pétillants se fixaient sur un ta-bleau qu’on venait d’accrocher à la muraille. Le jeune homme suivait ce regard avec une évidente inquiétude.
– Admirable ! disait le pape. Merveilleux ! Raphaël, mon cher enfant, tu seras un grand peintre…
– Ainsi… Votre Sainteté n’est pas mécontente de cette ma-done ?…
– Admirable, Sanzio ! Je ne trouve pas d’autre terme… Elle est si simple dans cette chaise populaire…
Le jeune homme aux yeux rêveurs écoutait ces éloges avec une noble simplicité. Il allait se retirer, lorsque le pape le retint d’un geste.
– Et cette « Transfiguration », dit-il, avance-t-elle ?
Raphaël Sanzio devint soucieux et poussa un soupir.
– Cette œuvre me désespère, fit-il sourdement.
– Allons, allons ! Du courage per bacco ! Va, mon enfant, tu es libre… Ah ! un mot encore. Où prends-tu tes modèles ? Où trouves-tu ces parfaites beautés que tu peins ?… Quelque grande dame, sans doute…
– Que Votre Sainteté daigne me pardonner, répondit Ra-phaël. Ce n’est pas parmi les grandes dames que je pourrais trouver cette suavité de lignes, cette pure harmonie des contours et ces reflets de profonde noblesse qui viennent des âmes vrai-ment pures…
– Et où donc, per bacco ?…
– Dans le peuple qui sait aimer, qui sait souffrir…
– Ainsi, ta madone ?…
– Est une simple fille du peuple, une humble fornarina .
Le pape demeura songeur et ferma les yeux une minute. Puis, simplement, il ajouta :
– Eh bien, Raphaël, je veux la connaître !… Va, maintenant.
Le jeune homme se retira, étonné, presque inquiet. Quant au pape, les yeux fixés sur la « Vierge à la chaise », il murmurait :
– Oui… connaître cette pure enfant !… Réveiller peut-être quelques étincelles dans les cendres déjà froides de mon vieux cœur !… Aimer encore une fois !… Vivre… Oh ! ne fût-ce qu’une heure !
Alexandre VI se tourna alors à demi vers une porte et dit : « Entre ! »
La porte s’ouvrit aussitôt. César parut.
Une singulière transformation venait de s’opérer dans la physionomie du pape. La tête penchée sur la poitrine, les mains jointes, il paraissait horriblement souffrir. Mais il eût été impos-sible de dire si son mal était corporel ou moral. Sur un geste de lui, César s’assit.
Le duc de Valentinois, cuirassé, botté, la figure rude, le poing appuyé sur le pommeau d’une lourde épée, l’œil en éveil, la bouche plissée par un sourire d’une cynique impudence, formait un violent contraste avec son père. C’était le reître en présence du diplomate…
– Eh bien, mon fils, dit enfin le pape, cette immense douleur nous était donc réservée ?… J’étais donc destiné, sur la fin de ma vie, à voir tomber un de mes enfants sous le poignard d’un misé-rable bravo ? Le plus soumis de mes enfants… le meilleur, peut-être !… Ah ! malheureux père que je suis ! Le ciel réservait ce châtiment cruel à mes péchés, sans doute !
César ne répondit pas un mot. Le pape essuya ses yeux où d’ailleurs il n’y avait pas de larmes.
– Mais, reprit-il, ma vengeance sera éclatante. Sais-tu le châtiment qu’a mérité l’assassin, César ? Le sais-tu ?
César tressaillit et une ombre passa sur son front. Mais il continua à se taire. Alexandre lui saisit la main.
– Je veux que ce soit terrible. L’assassin, quel qu’il soit, du peuple ou de la noblesse, fût-il même quelque puissant seigneur, même un de nos parents, l’assassin subira le supplice dont j’ai dicté tout à l’heure l’ordonnance : il aura les ongles arrachés, la langue coupée, les yeux crevés, et demeurera exposé ainsi au po-teau d’infamie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, on lui arra-chera le cœur et le foie pour les jeter aux chiens, puis le cadavre