Borgia. Michel Zevaco
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Le chevalier ramassa les rênes de son cheval et, par une pression des genoux, le mit en garde.
Borgia voulut se retourner et donner l’ordre de charger la multitude. Mais il se vit entouré de ses courtisans. Rinaldo saisit la bride de son cheval et s’écria :
– Au château, monseigneur ! Tout à l’heure nous sortirons en force pour dompter cette rébellion… Maintenant, nous serions écrasés.
Ragastens demeura seul. Il ne se demanda pas pourquoi la foule l’accusait de l’assassinat du duc de Gandie. Il ne vit pas le moine Garconio qui, vêtu en homme du peuple, courait de groupe en groupe. Mais il vit qu’il était cerné de toutes parts.
Et il résolut de vendre chèrement sa vie. La vision de Prime-vère flotta un instant devant ses yeux. Il eut comme un soupir de regret.
– Bah ! murmura-t-il, un peu plus tôt, un peu plus tard… peu importe ! Montrons à ces faquins comment sait mourir le pauvre aventurier qui n’a pour capital que sa dague et son cou-rage !
En même temps, il enfonça ses éperons dans les flancs de Capitan. Celui-ci, peu habitué à semblable traitement, se cabra, pointa et finalement détacha coup sur coup une douzaine de for-midables ruades. En un clin d’œil, un vaste cercle vide s’était formé. Des hurlements de fureur s’élevèrent, mêlés aux gémis-sements de trois ou quatre assaillants dont Capitan venait de fra-casser les mâchoires.
Ragastens répondit aux clameurs par un éclat de rire.
Il avait dédaigné de tirer sa rapière qui, d’ailleurs, contre cette masse compacte lui eût été d’un faible secours. Mais, crâ-nement campé sur sa selle, le buste haut, le rire sonore, il appa-raissait comme un Hercule qui eût entrepris de bousculer à lui tout seul un peuple de Cacus.
Capitan, tenu dans les rênes par la main de fer du chevalier, piétinait rageusement, écumait, soufflait bruyamment ; ses na-seaux grands ouverts semblaient aspirer la bataille. Tout à coup, Ragastens lui rendit la bride… Le cheval bondit, se rua, tourbil-lonnant, battant l’air de ses fers…
– Place, faquins ! Place, truands ! tonna Ragastens.
– Mort à l’assassin ! Mort au Français ! répondit la foule dans une clameur délirante.
Des coups d’arquebuse avaient retenti. Mais pas une balle n’atteignit le cavalier qui, dans un tourbillonnement vertigineux, insaisissable, gagnait du terrain vers la place du Château main-tenant tout proche… Mais, entre cette place et le chevalier, un rang de forcenés dressait une barrière vivante et infranchissable.
Ragastens, pourtant, s’avança… Tout à coup, il vit un homme s’approcher en rampant de son cheval. L’homme avait à la main un large coutelas.
L’homme allait couper les jarrets de Capitan !…
Ragastens se vit perdu.
À cette minute où sa vie ne dépendait plus que d’une inspira-tion d’héroïsme fou qui, seule, pouvait le sauver, le chevalier sen-tit ses forces centuplées. À l’instant précis où l’homme au coute-las bondissait sur Capitan, il se baissa, rapide comme la foudre, et saisissant l’homme par la ceinture, il le souleva, l’enleva, le plaça en travers de sa selle… Cet homme, c’était Garconio ! Mais Ragastens ne le reconnut pas. Il ne le regarda pas… Il poussa droit à la barrière vivante, qui redoublait ses invectives furieuses et s’ébranlait sur lui…
Alors, Ragastens, lâchant la bride de Capitan, empoigna à deux mains l’homme qui rugissait et se démenait… Il le souleva jusque par-dessus sa tête, à bras tendus, se dressa tout droit sur ses étriers et, d’une secousse formidable, d’un effort qui fit cra-quer ses nerfs et ses muscles, il balança un instant le moine, puis, à toute volée, comme une catapulte, le projeta violemment sur ses assaillants !…
En même temps, il ressaisissait la bride et enlevait Capitan dans un élan de tempête. Le cheval, fou de terreur, se ramassa sur ses jarrets, exécuta un bond prodigieux et, sautant par-dessus plusieurs rangs, alla retomber de l’autre côté de la vivante bar-rière et galopa vers la grande porte du château.
IX. LA MAGA
Il y avait à Rome, comme dans la plupart des grandes villes, un quartier spécial qu’on appelait le Ghetto. C’était un enchevê-trement de sombres ruelles au milieu desquelles, parmi des pa-vés disjoints, croupissait l’eau des ruisseaux où les détritus et les ordures achevaient de pourrir.
Toutes les langues du monde connu résonnaient dans cet étrange capharnaüm, comme si les peuples s’y fussent donné rendez-vous après la destruction de la tour de Babel.
Ce quartier, dont les habitants avaient à peine le droit de sortir – et à certaines heures seulement – ce Ghetto dont les chrétiens s’écartaient avec horreur et dégoût, était réservé aux incroyants, aux infidèles.
Là, vivaient des Égyptiens, marchands de sortilèges ; des Bohémiens, diseurs de bonne aventure ; des Juifs, trafiquants de pierres précieuses et d’étoffes ; des Maures fabricants d’armes, de cuirasses et de cottes d’acier.
Le soir même des funérailles de François, donc, comme onze heures sonnaient, un homme pénétra dans l’une de ces ruelles infectes. Il était accompagné de quatre serviteurs, dont l’un marchait en avant, une lanterne à la main, et dont les trois autres suivaient par derrière, armés de pistolets et de poignards.
L’homme ainsi escorté franchit la chaîne qui barrait la ruelle et que le porteur de lanterne avait au préalable détachée. Puis il s’enfonça dans le Ghetto, indiquant parfois d’un mot bref le chemin qu’il fallait prendre au serviteur chargé du soin de l’éclairer.
Le nocturne visiteur s’arrêta enfin devant une maison basse, délabrée, fendillée de lézardes, d’aspect plus répugnant et plus sinistre que ses voisines.
D’un geste, il ordonna à son escorte de l’attendre dans la rue. Puis, sans hésitation, il pénétra dans l’allée, grimpa lente-ment un escalier en bois, très raide, et se trouva devant une porte qu’il ouvrit.
Il entra et referma la porte. Il se trouva alors dans une pièce qu’éclairait la lueur sombre et fumeuse d’une torche de résine. Au fond de cette pièce était assise, sur une natte, ou plutôt ac-croupie, le menton sur les genoux, une femme qui paraissait pro-digieusement vieille tant son visage était sillonné de rides, mais à qui un observateur, après avoir constaté la vie de son regard, n’eût pas donné plus d’une soixantaine d’années.
À l’entrée du visiteur, la femme n’eut pas un geste, pas un mot. Seulement, un imperceptible tressaillement, comme si la vue de cet homme eût avivé en elle une profonde et secrète dou-leur.
– Tu m’attendais, Maga, fit l’homme ; c’est bien…
– Prévenue de votre visite dans la soirée, je me suis préparée à vous répondre. Maintenant je suis prête…
L’homme, alors, dégrafa son manteau et rabattit le capu-chon qui lui couvrait entièrement la tête. Mais son visage demeu-ra invisible. Il était masqué…
Pour plus de précautions, des gants recouvraient ses mains et ses cheveux disparaissaient sous un bonnet qui, par derrière, retombait jusqu’au-dessous de la nuque.