Borgia. Michel Zevaco
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Borgia - Michel Zevaco страница 20
Immobile, la sueur au front, la vieille écoutait avec une pro-fonde attention ce récit que, pourtant, elle avait entendu déjà plus d’une fois.
– Cette femme était si méchante qu’on l’appelait la Stryga . Je ne lui connaissais pas d’autre nom, et elle disait que moi-même je n’en avais pas… C’est pourquoi les gens prirent l’habitude de m’appeler la Fornarina… et ce nom m’est resté, si bien que Raphaël lui-même m’appelle ainsi le plus souvent… Oh ! mère, quelle triste époque de ma vie !… J’étais maigre à faire pi-tié… La Stryga me donnait à peine à manger… Quelquefois, je disputais au chien les restes qu’elle lui jetait… Un jour, je crus que ma dernière heure était venue… J’avais vu au four de la Stryga des pains qui me faisaient bien envie… Il y avait si long-temps que je n’en avais mangé ! J’avais faim… j’attendis la nuit… je me glissai vers le fournil… je volai un pain, un tout petit… Au moment où j’allais me sauver dans la niche où je couchais sur un peu de paille, la Stryga se dressa devant moi ! Elle m’avait épiée… elle m’avait vue !… Elle me jeta par terre d’un seul coup… j’étais si faible !… puis elle me piétina… et enfin, se baissant sur moi, elle me mordit si fort que le sang jaillit !… Glacée d’horreur et d’épouvante, je m’évanouis… Lorsque je me réveillai, j’étais ici, dans vos bras, mère Rosa… et vous sanglotiez… tenez… comme vous sanglotez maintenant !… Pourquoi pleurez-vous, mère ?… Ces choses sont passées…
– Mais ce souvenir me brûle comme un fer chaud…
– Bonne mère Rosa ! s’écria la jeune fille. Suis-je assez sotte d’augmenter ainsi vos chagrins, en vous parlant de choses que vous auriez ignorées… si je ne vous les avais racontées… Chassez ces souvenirs, mère… c’est fini…
– Ce qui n’est pas fini, c’est le remords, dit la vieille.
– Le remords ? s’exclama la Fornarina.
– Pussé-je te faire horreur ! Ce serait une juste punition !
– Mère ! balbutia la Fornarina, quel vertige vous saisit ? Re-venez à vous… vos paroles m’épouvantent…
– Et pourtant, il faut que tu saches ! fit la Maga en se tor-dant les bras et s’agenouillant. Maudis-moi, Rosita !… Car ce fut moi ton bourreau…
– Vous maudire alors que vous m’avez sauvée, alors que par vous j’ai connu la douceur de vivre, d’aimer et d’être aimée…
– Écoute… c’est moi qui t’ai livrée à la Stryga !…
– C’est un affreux rêve ! bégaya la Fornarina.
– Non seulement je t’ai livrée à ce démon, mais je lui ai don-né de l’argent pour te haïr, pour te battre, pour te faire souffrir…
– Oh ! mère Rosa ! Vous n’avez pas votre raison… Relevez-vous… je vous en supplie…
– Pas avant que tu saches tout ! Tes douleurs, je les épiais, et je m’en repaissais. Tes larmes rafraîchissaient mon cœur ulcéré. Et cela dura jusqu’à cette nuit où je te vis palpitante, agonisante sous la dent de la Stryga. Alors, une incompréhensible révolution se fit en moi… Je te saisis… je t’emportai… Mais tu ne pouvais oublier… tu n’as pas oublié… Oh ! les heures effroyables que j’ai passées lorsque de ta voix si douce, tu me racontais ta misère passée… C’est que le remords m’étreignait à la gorge… Mainte-nant que tu sais… maudis-moi !
La Fornarina jeta un cri. Elle se baissa, souleva presque la vieille femme, l’enlaça dans ses bras.
– Mère ! fit-elle d’une voix tremblante, mère, je vous aime… et vous… vous n’aimez donc plus votre fille ?…
– Seigneur ! Seigneur ! cria-t-elle. Elle me pardonne !… Elle ne me repousse pas… elle m’appelle encore sa mère !
La vieille Rosa refoula ses larmes, comprima la violente émotion qui l’étouffait, et reprit :
– Maintenant, ma fille, il faut que tu saches tout…
– Mère, dit la Fornarina, il est temps que j’aille au four de Nuncia…
– Aujourd’hui, tu n’iras pas, mon enfant.
– Pourtant, mère, le prix de ma journée, vous fera défaut.
– Rosita !… Je t’ai dit que tu saurais tout, répondit la Maga avec une volubilité fiévreuse. Ton pauvre salaire, enfant ! Tiens, regarde !
Elle entraîna la jeune fille devant le bahut, ouvrit un tiroir. Ce tiroir était rempli de pièces d’or et d’argent. La Fornarina re-garda la vieille avec stupéfaction.
– Ne comprends-tu pas ? s’écria la sorcière. Ne vois-tu pas que si je t’ai laissée te livrer à ces humbles travaux, c’est que je ne voulais pas… qu’on devine… qu’on soupçonne !… Aujourd’hui, ma fille, tu n’iras pas au four, ni demain, ni les jours suivants…
La vieille s’arrêta.
– Oh ! murmura-t-elle… Il est venu !… Il était là… là, sur ce fauteuil…
Puis, revenant à la Fornarina toute frissonnante, elle ajouta :
– Écoute, Rosita ! Tu vas savoir pourquoi tu es une fille sans nom et sans famille…
XI. LE CRUCIFIX DU PAPE
Il était environ dix heures du matin.
Une chaise de poste s’arrêta près de la porte Florentine, non loin d’un bouquet de chênes où elle se mit à l’ombre. Une femme vêtue de noir en descendit et, pénétrant à pied dans Rome, se di-rigea rapidement vers le Vatican. Mais ce ne fut pas du côté de la façade qu’elle se présenta. En arrière, s’étendait un jardin d’une étendue considérable et clôturé de murs. Il n’y avait, pour péné-trer dans cette partie du Vatican, qu’une petite porte basse depuis longtemps hors d’usage.
La femme en noir, le visage couvert d’un voile épais, longea ces murs, parvint à la petite porte, introduisit en tremblant une clef dans la serrure qui, rouillée par le temps, grinça sous l’effort, résista, et enfin céda.
La visiteuse se trouva dans le jardin. Un instant elle s’arrêta, puis, à pas précipités, elle se dirigea vers un élégant pavillon qui disparaissait à moitié dans un massif de lauriers-roses géants.
À l’entrée du pavillon, un vieux domestique revêtu d’une simple livrée noire, se promenait mélancoliquement. Tout à coup, il aperçut l’inconnue et jeta cette exclamation de colère.
– Madame, par où êtes-vous entrée ici ? Dehors… vite !
Sans répondre, la femme tira de son sein un petit crucifix d’or, et le tendit au domestique soudain courbé en deux.
– Veuillez faire… parvenir ce crucifix… où vous savez… dit la dame d’une voix étouffée par l’émotion.