Borgia. Michel Zevaco

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Borgia - Michel  Zevaco

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style="font-size:15px;">      – Je ne sais… ce que j’ai… Depuis un instant… ma main est comme paralysée…

      – En effet, mère, cria Primevère effrayée, votre main est blanche comme de la cire… vos doigts se crispent… Mère ! Qu’avez-vous ?

      – Je sens que mon bras s’engourdit… le froid… jusqu’au coude… Ma tête tourne… Oh ! je devine !

      Cette dernière exclamation, la comtesse la jeta dans un cri déchirant d’angoisse et de terreur. Primevère avait saisi sa mère dans ses bras comme pour la protéger contre un invisible danger.

      – Que faire ? murmurait-elle éperdue.

      – Rien, ma fille… répondit la comtesse. Rien. Tous les soins sont inutiles, car le poison qui coule dans mes veines est un poi-son qui ne pardonne pas…

      – Le poison ? exclama Primevère épouvantée.

      – Le poison des Borgia !…

      La jeune fille demeura stupéfaite, atterrée, se demandant si la raison de sa mère ne s’égarait pas… Mais la comtesse reprit d’une voix déjà haletante :

      – Fouille dans mon sein, car mes mains sont mortes.

      Primevère se hâta d’obéir.

      – Le crucifix !… Prends-le…

      – Le voici, mère…

      – Montre… Je vois ! Ce n’est pas mon crucifix… Il a été changé… Le poison est là… dans la couronne d’épines… Béatrix… prends garde à cette croix…

      – Oh ! Ce n’est pas possible ! bégaya la jeune fille, c’est un rêve atroce.

      – C’est une terrible réalité, Béatrix… Écoute-moi, ma fille… Je vais mourir. Dans une heure, je ne serai plus… Écoute-moi sans m’interrompre… Ce que j’ai à te dire est grave…

      Béatrix s’agenouilla, entoura la taille de sa mère de ses bras, posa la tête sur ses genoux et se prit à sangloter doucement.

      – Béatrix, reprit la comtesse, tu es jeune fille… mais tu as une âme intrépide et forte. Tu es de celles qui peuvent tout en-tendre… Il me faut, pour te dire ces choses, un courage que la mort seule peut m’inspirer… la certitude de ne plus te voir… de n’avoir pas à rougir devant toi…

      – À rougir… Vous… Ma mère ?…

      – Béatrix, je suis une femme coupable ! Écoute, un homme vint… ton père s’éloigna de Monteforte… Que le ciel me pardonne la pensée horrible qui traverse en ce moment mon cerveau !… Quoi qu’il en soit, ton père fut absent huit jours… Un soir, je sen-tis une étrange folie m’envahir… l’homme m’entraîna… je suc-combai…

      Un atroce sanglot déchira la gorge de Primevère. Mais elle ne dit pas un mot.

      – Cet homme, je le revis… à Rome… dans son palais… Si je te fais cet aveu qui m’écrase, Béatrix, c’est que cette liaison eut une suite qu’il faut que tu saches… Je devins mère… Une petite fille naquit…

      En disant ces mots, la comtesse jeta un regard ardent sur Primevère. Mais celle-ci, la tête enfouie dans les genoux de sa mère, ne montra pas son visage.

      – Si je fus une épouse coupable, continua alors la comtesse, je devins mère criminelle… Cette enfant, sur les conseils de l’homme, je l’abandonnai ! Je l’exposai au seuil de la petite église qui est à l’entrée du Ghetto, l’église des Anges… Depuis, tourmen-tée de remords, je l’ai vainement cherchée… Ce fut là mon vrai crime, Béatrix… Tu m’écoutes, ma fille ?

      Primevère fit un signe de la tête.

      – C’est ce crime que j’expie aujourd’hui… non par la mort, comme tu pourrais le croire… mais par les regrets qui étreignent mon cœur… Cette enfant, Béatrix… ta sœur… elle est vivante… je le sens… Ce que je n’ai pu faire… Béatrix… ta mère mourante te supplie de le faire… Cherche ! Trouve… Fais que ta sœur ne soit pas malheureuse en ce monde.

      – Je le ferai, ma mère !… dit Béatrix dans un chuchotement. Cette sœur, je la trouverai… je l’aimerai, ma mère !…

      Et Primevère se relevant approcha du front de sa mère et longuement, tendrement, y déposa un baiser.

      – Ne songez plus au passé, supplia-t-elle.

      La moribonde secoua la tête.

      – Il faut que je… te dise… le nom !…

      – Le nom ?

      – Oui… Tu dois connaître le père de l’enfant… de ta sœur !… C’est l’homme qui ensanglante l’Italie… c’est celui qui m’a fait empoisonner par son fils… C’est Borgia… c’est le pape !…

      Un cri d’horreur échappa à la jeune fille. Elle saisit la main de sa mère et la secoua violemment.

      – Oh ! répétez… Est-ce possible ?

      Mais la comtesse Alma se tenait à jamais immobile et muette. Elle venait d’expirer dans une effrayante secousse… Pri-mevère tomba sur les genoux, glacée, désespérée, en proie à la douleur et à l’épouvante…

      XII. RAPHAËL SANZIO

      Nous conduirons maintenant nos lecteurs dans une grande et belle maison, située sur les flancs du Pincio – l’une des collines de Rome.

      Au premier étage, c’était une vaste pièce où, par une baie immense ouverte sur un balcon, la lumière entrait à flots. C’était l’atelier de Raphaël Sanzio.

      Aidé d’un jeune homme qui avait à peu près son âge, le peintre s’occupait activement à décrocher les toiles qui garnis-saient les murs de cet atelier. Au fur et à mesure que les toiles étaient décrochées, les deux jeunes gens les attachaient à une corde et, par le balcon, les descendaient sur une charrette qui stationnait en bas devant le seuil et sur laquelle un ouvrier les ar-rangeait méthodiquement. Cela ressemblait à un déménagement hâtif et, eût-on dit, aux préparatifs d’une fuite.

      Tout en travaillant à cette besogne, les jeunes gens causaient sans s’interrompre.

      – Ainsi, disait l’ami de Raphaël, c’est à Florence que je te fe-rai parvenir tout cela ?

      – Oui, mon cher Machiavel… à Florence… Là, j’espère trou-ver aide et protection, grâce à l’influence de mon vénéré maître Le Pérugin…

      – Dans quinze jours au plus tard, tous tes trésors seront à Florence, je t’en réponds, Sanzio.

      – Merci, Machiavel. Je sais que je puis compter sur ton ami-tié. Mais pourquoi, au lieu de m’envoyer mes toiles, ne les appor-terais-tu pas toi-même ? Viens me rejoindre, Machiavel… Rome est une ville morte… Florence, au contraire, c’est le cerveau de l’Italie…

      Machiavel secoua la tête.

      – Oui,

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