L'île de sable. Emile Chevalier

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L'île de sable - Emile Chevalier

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que Cartier, ayant mis à la voile dans ce même port, pour explorer la partie du grand continent américain connue sous le nom de Terres-Neuves, avait découvert le Saint-Laurent, et, au retour de leurs différents voyages, les compagnons de l'immortel navigateur avaient raconté tant de merveilles sur ce magnifique pays du Canada, que chacun voulait contempler ceux qui étaient destinée à le civiliser. Aussi toutes les voies sur leur passage étaient-elles encombrées. Mais c'était particulièrement, sur les quais que la foule se pressait en essaims tumultueux.

      Là, entre la Manche et les murs de Saint-Malo, se déroulait une vaste esplanade. A son extrémité orientale, vis-à-vis de la mer, on avait élevé un autel champêtre, ombragé par des rameaux de châtaignier. En avant se bouclait une ceinture de soldats, fort affairés à contenir les flots de la cohue grossissante.

      Dans la baie, faisant face à l'autel, se balançaient deux navires de quatre-vingts ou cent tonneaux environ. Au bout de leurs mâts pavoisés et enrubannés, flottait la bannière de France et Navarre, blanche, constellée de fleurs de lis d'or. Le plus gros de ces navires portait en outre l'oriflamme de la maison de la Roche-Gommard au champ, de sable semé de trèfles d'or, au lion du même armé et lampassé de gueules. Tous deux semblaient près de lever l'ancre. Le pont, les haubans, les porte-haubans, les hunes et les vergues étaient garnis de matelots.

      Cependant le cortége, commandé par le marquis de la Roche, descendait lentement vers la plage, ondulant à travers les groupes bigarrés comme un serpent à travers les touffes d'herbe d'une prairie.

      Au nombre des bannis, il y en avait un qui concentrait particulièrement les regards. L'opposition qui régnait entre lui et son compagnon de chaîne contribuait puissamment à faire ressortir la noblesse de son maintien et la mâle beauté de son visage. Ce jeune homme n'était autre que celui qui avait expérimenté la vigueur de son poignet sur le thorax de l'Allemand.

      – Mais, sainte Thérèse, qu'il est donc gentil, murmura une piquante Bretonne; n'est-ce pas honteux, Marthe, d'enlever un si brave gars pour le conduire au fin fond de la mer?

      – Ah! dame, oui, il est bien joli à côté de ce vilain ours poilu qu'on dirait échappé de l'enfer.

      – Quasiment comme si on avait amarré un ange à un démon.

      – Arrière, les fillettes! ordonna un cavalier, en écartant la multitude avec sa lance.

      Cet incident, comme une goutte d'eau tombée sur un charbon ardent, refroidit heureusement l'ardeur des deux bachelettes, qui déjà s'enflammaient à la vue du beau déporté.

      Quand la colonne déboucha sur l'esplanade que nous avons décrite, une salve d'artillerie salua son arrivée. Les prisonniers pénétrèrent en se découvrant dans l'enceinte qui leur avait été ménagée et se mirent à genoux. Tous les spectateurs imitèrent cet exemple.

      Peu après parut une procession de moines, précédant un dais sous lequel s'avançait pieusement l'évêque de Rennes, mandé pour bénir le départ des aventuriers. Le prélat monta les marches de l'autel et dit la messe qui fut entendue avec un profond recueillement. Jamais cérémonie ne fut plus majestueuse ni plus imposante.

      Lorsque, en présence de cette multitude muette, de cette mer endormie dont les limites se fondaient dans l'azur de la voûte céleste, le vieillard à cheveux blancs, à la voix sympathique et solennelle, implora l'assistance divine pour le succès de l'entreprise, les auditeurs se sentirent émus jusqu'aux larmes.

      Les routiers eux-mêmes courbèrent la tête, comme autrefois Clovis à l'injonction de saint Rémi.

      Guillaume de la Roche, le locman, plusieurs marins communièrent et reçurent l'hostie consacrée de la main du vénérable prélat.

      Un observateur eût pu remarquer que non-seulement l'écuyer Jean de Ganay ne prit point part à cette communion, mais encore qu'il n'assista pas à l'office.

      Que servirait de cacher plus longtemps ce que mon lecteur sagace a deviné? Le vicomte de Ganay avait embrassé le culte de la religion réformée. S'il n'osait dévoiler ses doctrines, à cette époque où l'abjuration de Henri IV était retombée comme un anathème sur le parti calviniste entier, Jean demeurait fidèle à la foi de ses convictions et se conformait secrètement aux rites qu'il ne pouvait pratiquer en public.

      Il lui avait été facile de s'esquiver, durant l'encombrement qui accompagna l'entrée des captifs dans l'enceinte réservée.

      La messe finie, on procéda à l'embarquement.

      Les deux navires, le Castor et l'Érable, étaient mouillés à quelques centaines de mètres du rivage. En moins de vingt minutes, les passagers furent transférés à leur bord.

      Un coup de canon donna le signal du départ.

      Sur le Castor se trouvaient Guillaume de la Roche-Gommard gouverneur général du Canada; Jean vicomte de Ganay, son écuyer; Alexis Chedotel, pilote-locman, de l'expédition; Guyonne la poissonnière, et un nombre considérable de futurs colons.

      III. LE CASTOR

      Encore aujourd'hui malgré les perfectionnements prodigieux dont on a enrichi l'art de la navigation, ce n'est pas sans une sorte de crainte indéfinissable que nous entreprenons un voyage par delà les mers. Et cependant les énormes et magnifiques navires à voiles on à vapeur qui sillonnent en tous sens l'Océan offrent presque autant de sûreté et de commodité que nos maisons et nos châteaux. Quels gigantesques progrès la marine a faits depuis quatre siècles! quelle différence entre ces immenses vaisseaux que l'on construit à présent et ceux qui naguère s'aventuraient intrépidement à la recherche de terres inconnues! Quand on songe que ce fut avec trois embarcations, dont deux étaient sans pont et dont la troisième ne jaugeait pas deux cents tonneaux, que Colomb partit de Palos, le 8 août 1492 pour, découvrir l'Amérique le 12 octobre de la même année; quand on songe que ce fut avec deux misérables goélettes de soixante tonneaux que Cartier traversa l'Atlantique pour venir le premier explorer le golfe Saint-Laurent, le Labrador, Terre-Neuve, etc.; quand on songe que ce fut avec deux bateaux à peu près semblables que les successeurs de ces grands hommes ont achevé la reconnaissance et la découverte du Nouveau-Monde, combien on sent croître et s'exalter l'admiration qu'on a toujours éprouvée pour les immortels régénérateurs de l'Amérique!

      Le Castor, qui emportait Guillaume de la Roche et la plupart de nos héros vers l'Acadie était si petit, qu'un contemporain d'alors affirme que, de la lisse de plat-bord, on pouvait tremper la main dans la mer[2].

      La capacité du Castor était évaluée à cent tonneaux.

      Joli navire, d'ailleurs, solide à la vague, fin voilier, et portant fièrement ses mâts, fermes comme l'acier, flexibles comme la baleine.

      Il contenait une cale, un entrepont et deux ponts-coupés.

      La cale renfermait les provisions et les munitions de guerre.

      Dans l'entrepont étaient parqués les proscrits envoyés à la colonie.

      Le pont-coupé de la poupe avait pour hôte le marquis Guillaume de la Roche, le vicomte Jean de Ganay, le pilote locman, Alexis Chedotel et quelques autres.

      Le pont-coupé de la proue était affecté au logement des matelots.

      Lorsqu'on quitta la rade de Saint-Malo, il y avait à bord du Castor quatre-vingt-douze hommes en y comprenant le gouverneur général du Canada et son état-major composé de

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<p>2</p>

Lescarbot dit à ce sujet:

«Et pour montrer la petitesse de sa barque (celle de la Roche) et qu'il fallait céder à la fureur du vent, j'ay, plusieurs fois, ouï dire au sieur de Poutrincourt que du bord d'icelle, il se lavait les mains dans la mer.»