Les terres d'or. Gustave Aimard

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      Gustave Aimard

      LES TERRES D’OR

      CHAPITRE PREMIER. DEUX SOLITAIRES

      Bien loin, bien loin de la civilisation, s’étendent à l’infini, dans les vastes Amériques, des plaines immenses entrecoupées de prairies plus immenses encore.

      C’est, ou plutôt, ce fut le territoire Indien.

      Ces TERRES d’OR, convoitées par d’acharnés aventuriers, sont devenues la proie du premier occupant; elles ont été divisées, morcelées, mises en lambeaux par leurs insatiables hôtes: la solitude a été mise au pillage; chacun a voulu avoir sa part à la curée.

      Arpenteurs, spéculateurs, locataires, fermiers, trafiquants, forestiers, chasseurs, et par-dessus tout chercheurs d’aventures, se sont abattus par légions sur le patrimoine Indien et s’en sont emparés violemment, par droit de conquête.

      Les enfants perdus de la civilisation se sont installés là comme chez eux, et bientôt les noms de Kansas, de Nebraska, sont devenus aussi familiers que ceux de New-York, Londres, ou Paris: les Pawnies, les Ottawas, les Ottoes, les Kickappos, les Puncas, toutes les peuplades aborigènes ont disparu successivement comme des foyers éteints, refoulées par l’incessante et implacable pression des Faces-Pâles.

      Des ogres au désert; des oiseaux de proie; d’insolents usurpateurs; des voleurs sans retenue et sans conscience; les Blancs ont été tout cela et pis encore dans ce malheureux Nouveau-Monde qui aurait bien voulu rester toujours inconnu.

      Le grand et vieux fleuve qui descend des régions mystérieuses et inexplorées des montagnes Rocheuses a dû se plier au joug des envahisseurs: ses flots majestueux, jusqu’alors purs et calmes comme l’azur des cieux, ont écumé sous les coups redoublés de la vapeur, se sont souillés des détritus d’usines, ont charrié des fardeaux, ont été réduits en esclavage.

      En même temps, des fermes, des parcs, des avenues, des villages, des villes, des palais ont surgi comme par enchantement sur les rives du vénérable cours d’eau. La solitude et son paisible silence, le désert et sa paix profonde, ont disparu. Væ victis! tel a été le premier et dernier mot de la civilisation.

      Et pourtant, elle était si grande cette belle nature, sortie des mains du Créateur comme un reflet de son immensité, qu’aux déserts absorbés ont succédé les déserts, et que les plus effrontés chercheurs en ignorent encore les bornes!

      Parmi les plus aventureux pionniers de la Nebraska, se trouvait Thomas Newcome. Quoique venu du Connecticut, il était né Anglais, et s’il avait gagné le Far-West, c’était moins pour chercher la fortune, que pour satisfaire les caprices d’une imagination fantasque, désordonnée, ennemie de toute gêne.

      Son existence tenait du roman; – comme cela arrive beaucoup trop fréquemment pour l’ordre et le bonheur de la société – il avait été le héros d’une mésalliance qui avait fait grand bruit dans le monde Londonien. A une époque où il était jardinier dans les propriétés d’une noble famille, il avait su se faire adorer par la fille de la maison, l’avait enlevée, et avait fui avec elle en Amérique.

      La malheureuse et imprudente victime de cette passion s’était aperçue trop tard de son funeste aveuglement; il lui avait fallu dévorer dans l’humiliation et les larmes le pain amer de la pauvreté, assaisonné de remords et d’affronts, – car son séducteur n’était qu’un cœur faux, un esprit misérable, tout à fait indigne du sacrifice consommé en sa faveur.

      Enchaînée à ce misérable époux, Mistress Newcome avait perdu non-seulement amis et famille, mais encore sa fortune et ses espérances, car elle avait été déshéritée. Thomas n’avait convoité en elle que la richesse; quand il la vit pauvre il la prit en horreur. La malheureuse femme traîna pendant quelques années une existence désespérée; puis elle mourut, laissant une fille unique à laquelle elle léguait sa beauté, son esprit fin, distingué, impressionnable, et, par dessus tout, les noirs chagrins qui l’avaient tuée.

      La jeune Alice habitait avec son père une clôterie sur les rives du Missouri. Leur habitation, grossièrement construite en troncs d’arbres, était installée sur la bordure des bois, et occupait à peu près le centre du domaine.

      Ce Settlement, bien délimité sur trois côtés par des ruisseaux d’une certaine importance, n’avait, sur le quatrième côté, que des confins extrêmement indécis.

      Dans ces contrées exubérantes d’espace la terre se mesure et se distribue largement: les grands spéculateurs, – un autre nom moins honorable serait peut-être plus juste, – qui revendent à la toise les territoires achetés à la lieue carrée, s’inquiètent peu d’attribuer à deux ou trois acquéreurs le même lambeau de terre: dans ces marchés troubles, auxquels personne ne comprend rien, qui commencent par une goutte d’encre et finissent par des ruisseaux de sang, il n’y a rien de sûr, rien de déterminé; la seule chose certaine, c’est qu’ils sont traités de coquins à scélérats, et que leur unique sanction repose sur le droit du plus fort.

      Il s’y trouve toujours un côté douteux. Or, le quatrième côté du Settlement de Newcome était plus que douteux: à force d’être disputé entre voisins, il était sur le point de n’appartenir à personne.

      Les prétendants les plus signalés étaient quatre jeunes gens concessionnaires d’un important territoire au milieu duquel était implantée leur rustique habitation.

      Un matin, Newcome avait trouvé toute une rangée de pieux solidement plantés sur ce qu’il regardait comme son bien – du quatrième côté. Il ne fut pas long à les arracher pour les replanter bien loin en arrière, rendant ainsi, avec usure, usurpation pour usurpation. Deux jours après les poteaux étaient réintégrés à leur place première: les jeunes voisins faisaient en même temps sommation d’avoir à respecter leur clôture; Newcome répondait sur le champ par une sommation contraire. Chacun, bien entendu, avait la carabine au dos, le revolver en poche; il devint facile de préciser l’instant où la conversation s’échaufferait et ferait parler la poudre.

      La tremblante Alice ne vivait qu’au milieu des transes, mais elle ne pouvait apporter remède à cet état de choses, car elle était absolument sans influence sur l’esprit de son père. Quoique jeune elle était sérieuse, raisonnable, prudente, et dirigeait la maison paternelle en ménagère accomplie. Sans se décourager, elle plaidait sans cesse pour la paix et la modération; mais elle prêchait littéralement dans le désert; rien ne faisait impression sur l’esprit brutal, emporté, indomptable de son père.

      Un matin qu’il s’était réveillé dans un état d’exaspération extraordinaire, il s’agitait dans la maison, la parcourant à grands pas et adressant à ses voisins toutes sortes d’imprécations.

      Alice, espérant faire diversion à ses pensées hargneuses, se hasarda à lui dire timidement:

      – M. Mallet, du Comptoir d’Échange, est venu vous demander.

      – Qu’est-ce qu’il me veut aussi? ce damné Français de malheur! fut la gracieuse réponse du père.

      – Il ne me l’a pas expliqué: seulement il m’a annoncé qu’il reviendrait dans un jour ou deux.

      Newcome regarda sa fille de travers:

      – En effet! poursuivit-il aigrement, il doit avoir d’importantes affaires par ici, je le suppose! combien de temps est-il resté? Que vous a-t-il dit, ce maroufle?

      La jeune fille pâlit et rougit successivement..mais son émotion était causée plutôt par le ton et les manières choquantes de son père que par le souvenir de son entrevue avec le jeune Français. Les paroles empreintes de soupçon qui venaient de lui être adressées la troublèrent au point de rendre sa réponse hésitante et embarrassée.

      – Je

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