Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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étape.

      – Vous pensez bien, mademoiselle, que je vais quitter le personnage dont je me suis affublé pour la traversée. Je n’aurais pas plus tôt mis le pied à terre à Colon que de sérieux obstacles m’arrêteraient.

      – Alors que comptez-vous faire?

      – Je n’en sais rien encore; mais je suis bien résolu à ne pas attendre ce point pour débarquer.

      À l’escale que fit la Lorraine à la Guadeloupe, rien ne fut encore changé: nos personnages s’observaient.

      Lavarède, pour mieux tromper son monde, se contenta de raconter quelques détails sur les récifs de coraux qui augmentent d’année en année, particulièrement sur le littoral de la Grande Terre. Il avait un souvenir sur Marie-Galante, une anecdote sur la Désirade. Toutes les îles y passaient: Saint-Barthélemy, que la Suède nous a rendue en 1878; Saint-Martin, que nous partageons avec les Hollandais.

      Il faisait remarquer les Grands Mornes, desquels se détache la Soufrière, et son panache de fumée; il indiquait la vallée de la Rivière des Goyaves, et rappelait volontiers un incident du tremblement de terre qui détruisit, en 1843, la Pointe-à-Pitre en une seule minute, – 70 secondes, disent les auteurs très précis.

      En un mot, rien dans son allure, dans sa conversation, ne décelait sa préoccupation. Il ne mit même pas pied à terre.

      Ce fut seulement à la Martinique, où le bateau relâchait pendant près d’une journée, qu’il fit comme la plupart des passagers. Il descendit à Fort-de-France. Quant à Bouvreuil, il resta consigné encore.

      – Est-ce adieu qu’il faut vous dire? interrogea miss Aurett.

      – Non pas, mademoiselle… Ne dois-je point, d’ailleurs, permettre à votre père d’accomplir sa mission?

      – Les difficultés ne vous découragent donc pas?

      – Elles m’excitent, au contraire… Nous sommes ici en terre française, et, ma foi, je vais chercher un moyen de continuer mon tour du monde, sans sortir des clauses qui me sont imposées.

      C’était très simple à dire, mais moins simple à exécuter. Il connaissait la colonie, l’ayant habitée pendant l’un de ses voyages. Il se dirigea vers la place de la Savane, se donnant plutôt un but de promenade machinale, afin de laisser aller sa pensée.

      Et il songeait:

      – Voyons… que faire? Si je continue la traversée sur la Lorraine, nous allons trouver les escales du Vénézuela et de la Colombie avant d’arriver à l’isthme. De ces côtés, les routes sont à peu près nulles; même les messageries se font à dos de mulet… Je perdrai donc par là un temps précieux. Et puis, comment m’y prendre pour vivre! Si, sans quitter l’île, je poussais jusqu’à Saint-Pierre, je trouverais là un navire pour l’Amérique du Nord… À Saint-Thomas, je rencontrerais ceux qui font le service des Antilles et du Mexique… Cela m’avancerait toujours… Oui, mais comment m’y prendre pour solder mon passage? Allons, ce n’est vraiment pas commode. Dans quelques heures, la Lorraine reprend la mer; il faut que d’ici là…

      Comme il faisait le tour de la statue élevée à l’impératrice Joséphine, il aperçut quelqu’un qui le regardait.

      – Lavarède?… Est-ce bien toi?

      – Moi-même.

      Et il dévisagea le nouveau venu, qu’il reconnut presque aussitôt. C’était un camarade de collège.

      – Que diable fais-tu ici? demanda Armand.

      – Je vais te le dire, mais je te ferai ensuite la même question. Je suis attaché à la personne du gouverneur depuis peu.

      – Donc, te voilà créole.

      – Non pas… immigrant, puisque je ne suis pas natif de la colonie. À toi, maintenant.

      – Je suis de passage seulement, et je viens respirer l’air de la ville pendant l’escale de notre transatlantique.

      Une absinthe au lait de noix de coco fut vite offerte, et la conversation s’engagea. Armand demanda des nouvelles de quelques amis de jeunesse et d’autres qu’il avait connus jadis aux Petites Antilles:

      – Georget?…

      – Mort, piqué par une vipère fer de lance, sur les bords du Lamantin.

      – Dramane?…

      – Atteint de la fièvre jaune à la Pointe-du-Diable, dans la presqu’île de Caravelle.

      – Subit?…

      – En villégiature au ravin des Pitons ou à la source d’Absalon, où il prend les eaux pour se guérir d’anciennes blessures.

      – Jordan?…

      – Émigré dans une des dix-huit républiques hispano-américaines. Aux dernières nouvelles, l’ami Jordan, décavé à la suite des folies de jeunesse, était parti pour Caracas, ayant réalisé ses dix derniers mille francs.

      Au surplus, un commis de l’ordonnateur, nom d’un des fonctionnaires, le connaissait. C’était à deux pas; on y alla. Un type que ce commis. Créole, correspondant des sociétés savantes et un tantinet prétentieux. Cela se remarquait dès les premiers mots.

      – Je voudrais savoir ce qu’est devenu notre ami Jordan, qui habitait autrefois la Martinique, dit très courtoisement Lavarède.

      – Vous voulez dire, objecta l’érudit, qui habitait la Madinine.

      – Le nom créole, sans doute?

      – Non, monsieur, le véritable nom de l’île, celui que les aborigènes lui avaient donné.

      – Ah! bien… Mais je ne sais pas le caraïbe, moi.

      – Vous voulez dire le caribe, car l’autre mot en est la corruption française. Les Anglais, obéissant mieux à la tradition orale, écrivent caribbee: ils ont raison.

      Lavarède ne voulait pas discuter avec ce puits de connaissances locales, il revint aussitôt à Jordan.

      – M. Jordan s’est établi à Caracas, où il a fondé le Bazar français.

      – Un bazar… tout à treize.

      – Monsieur est sans doute Parisien, fit gravement le commis. Le Bazar est, dans l’État vénézuélien, quelque chose comme le Louvre ou le Bon Marché, agrémentés du Temple et des Halles centrales… On y vend de tout, on y trouve de tout.

      – Même des pianos?

      – Oui, monsieur, et des pommes de terre au besoin. C’est nous qui le fournissons de sucre.

      – De sucre et de café?

      – Hélas non! L’île ne produit plus assez à présent ni en café, ni surtout en coton, mais nous tenons le premier rang pour la canne à sucre et le tafia.

      – J’en suis enchanté pour la Marti… pardon, pour la Madinine… Mais je suis plus enchanté encore pour notre copain Jordan.

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