Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1 - George Gordon Byron

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type="note">9? – Oh! mon Dieu, non; vous perdriez trop de tems, et je n'en ai pas à perdre. – Faites attention. – O mon enfant! ma chère fille, ma chère Ada; mon Dieu! si j'avais pu la voir! donnez-lui ma bénédiction, donnez-la à ma sœur Augusta10. Vous irez chez lady Byron; – dites-lui tout. – Vous êtes bien dans son esprit…»

      Ici sa voix s'affaiblit; il parlait entre ses dents, il agitait ses lèvres sans rien exprimer; son visage avait quelque chose de solennel, et parfois il élevait la voix pour s'écrier: «Fletcher, si vous n'exécutez pas les ordres que je vous donne, je vous tourmenterai plus tard, si je puis. – Milord, dit Fletcher, je n'ai pas entendu un mot de ce que vous m'avez dit. – Oh! Dieu! reprit Byron, tout est fini. Se peut-il que vous ne m'ayez pas entendu!» Il essaya encore de parler, mais il ne prononçait distinctement que les noms de Grèce et de ma fille, le reste était inintelligible. Sur ces entrefaites arriva le capitaine Parry qui l'engagea à se tranquilliser. Byron fit de nouveaux efforts pour exprimer ses pensées, mais vainement, et il répandit un torrent de larmes. À peine M. Parry était-il sorti, qu'il parut vouloir sommeiller. «Il faut que je dorme maintenant,» dit-il. Il laissa tomber sa tête, et ce fut le commencement de l'agonie; elle se prolongea pendant vingt-quatre heures: le 19, à six heures du soir, Byron ouvrit les yeux et les referma aussitôt: ce fut l'instant de son dernier soupir.

      La terrible nouvelle parcourut aussitôt toutes les rues de Missolonghi. C'était le jour de Pâques: les exercices religieux sont interrompus; les hymnes d'allégresse se changent en cris, en sanglots, en hurlemens de désespoir. Tous les citoyens, se pressant à l'envi autour de ce qui restait de Lord Byron, accusent le ciel, et maudissent le coup qui, au lieu de frapper chacun d'eux, vient d'atteindre leur ami, leur protecteur, leur père. Ils veulent tous, pour la dernière fois, le contempler. Ses traits conservaient le sceau d'une beauté sublime et solennelle: car la mort n'est pas toujours hideuse, et souvent l'ame, après avoir violemment brisé ses liens, dépose sur le corps qu'elle abandonne une trace presque sensible d'immortalité.

      Mais les compatriotes de Byron réclament son corps au nom d'une ingrate patrie: heureusement, on se rappelle que le poète avait souvent exprimé le désir de laisser son cœur au milieu de ses chers Hellènes, et ce souvenir semble adoucir la douleur générale. Le gouvernement, organe de tout un peuple, prescrit aussitôt la forme des funérailles. Trente-sept coups de canon seront tirés en mémoire des années de Byron; toutes les occupations, toutes les séances judiciaires ou administratives seront interrompues; la célébration des solennités pascales est ajournée; un deuil universel sera porté pendant vingt et un jours; enfin, dans toutes les paroisses, un service et une oraison funèbre seront faits sur la tombe de Byron.

      Ce fut le 22 avril que le plus précieux reste de sa dépouille mortelle fut transporté, sur les épaules des officiers du régiment soldé par lui, dans l'église où déjà reposaient les corps de Botzaris et de Normann. De distance en distance, le fardeau était repris par des jeunes citoyens grecs: le cercueil, formé de quatre planches assez mal jointes, était recouvert d'un drap noir; au-dessus étaient déposés un sabre, un casque et une couronne de lauriers: Un orateur, Spiridion Tricoupi, fut alors l'organe de ses concitoyens; ses paroles redoublèrent les sanglots et ranimèrent l'espoir de liberté que pouvait éteindre une si grande catastrophe. Nous citerons la fin de son discours:

      «Je m'étais peint à moi-même tout ce que mon cœur désire. J'avais imaginé les bénédictions de nos évêques, les hymnes, les couronnes de lauriers et les danses des vierges de la Grèce, autour de la tombe du bienfaiteur de la Grèce; mais cette tombe ne contiendra pas ses précieux restes: le tombeau restera vide; encore quelques jours, et son corps disparaîtra de la surface de notre terre, – de la nouvelle patrie qu'il s'était choisie. Il faut qu'il soit porté dans la contrée qui fut honorée de sa naissance.

      «Ô toi! sa fille, tendrement chérie de lui, tes bras le recevront; tes larmes baigneront la tombe qui recouvrait son corps, et les pleurs des orphelines de la Grèce tomberont sur l'urne qui renferme son cœur précieux. Comme dans le dernier moment de sa vie, toi et la Grèce fûtes seules dans son cœur et sur ses lèvres, il est juste qu'elle garde aussi une portion de ses précieux restes. Apprends, noble dame, que des chefs le portèrent, sur leurs épaules, jusqu'à l'église. Des milliers de soldats grecs bordaient le chemin à travers lequel il passait; leurs fusils, qui avaient détruit tant de tyrans, s'abaissaient devant lui: une foule de soldats entourèrent la couche funèbre; ils jurèrent de ne jamais oublier les sacrifices faits par ton père pour nous, et de ne jamais souffrir que le lieu où son cœur restera fût profané par les pieds des barbares ou des tyrans.»

      Le 2 mai, le corps de Lord Byron, confié aux soins du colonel Stanhope, s'éloigna de la Grèce. Il prit la route de la Grande-Bretagne, et aborda à Stangate-Crew, le 1er juillet, pour y subir la quarantaine d'usage. Cam Hobhouse et John Hanson, exécuteurs testamentaires de Lord Byron, s'empressèrent de réclamer le corps, et s'occupèrent du soin d'entourer les funérailles de l'illustre poète de toute la pompe demandée par son titre de pair d'Angleterre. Tout ce que la nation renfermait d'opulent et d'élevé alla jeter un coup-d'œil sur les pièces destinées à briller dans cette occasion; mais quand le convoi sortit de Londres pour se rendre à Newstead, on ne vit qu'un petit groupe d'amis intimes accompagner le convoi. Une multitude de voitures, traînées par des chevaux noirs, et conduites par des laquais en deuil, suivait lentement le char funéraire; mais ces équipages étaient vides, au nombre des premiers étaient les carrosses de lady Byron et du comte de Carlisle, et dans ceux-là on ne vit ni Carlisle ni lady Byron, et, faut-il le dire? ni la pauvre petite Ada! Un seul homme suivit à pied le catafalque, depuis Londres jusqu'à Newstead; c'était un marin qui avait servi sur la frégate la Salsette, lors du premier voyage de Byron en Grèce. Enfin, le 16 juillet 1824, le corps de ce dernier fut déposé, suivant ses intentions, auprès de la tombe de sa mère, dans le village de Hucknall, à deux milles de Newstead. Une inscription fut placée dans le chœur de l'église, par les soins de miss Leight; nous la rapporterons telle qu'elle est:

SOUS CETTE VOÛTEOÙ BEAUCOUP DE SES ANCÊTRES ET SA MÈRE SONTENSEVELIS,REPOSENT LES RESTES DEGEORGES GORDON NOËL BYRON,LORD BYRON DE ROCHDALE,DANS LE COMTÉ DE LANCASTRE,AUTEUR DU PÈLERINAGE DE CHILDE HAROLDIL NAQUIT À LONDRES LE22 JANVIER 1788,IL MOURUT À MISSOLONGHI, DANS LA GRÈCEOCCIDENTALE,LE 19 AVRIL 1824,ENGAGÉ DANS LE GLORIEUX PROJET DE RENDRE ÀCETTE CONTRÉE SES ANCIENNES LIBERTÉET GLOIRE

      Telle fut donc la mort de Lord Byron, tels les honneurs rendus à sa mémoire. En lisant ses œuvres poétiques on sentira que le récit de sa vie en était l'introduction indispensable. Simple narrateur, je n'essaierai pas maintenant de diriger le jugement que les lecteurs porteront de son caractère. Ils reconnaîtront, sans doute, que Byron eut des égaremens et quelques torts à se reprocher; mais peut-être conviendront-ils que ces contrastes d'une si belle vie étaient la condition nécessaire de tant de nobles facultés, et regarderont-ils ce puissant génie comme l'un des hommes destinés à montrer tout ce que le Créateur peut faire de sa créature. Ils apprécieront aussi, sans doute, la conduite de Walter Scott qui, sous prétexte d'honorer la mémoire de son illustre ami, n'a pas craint, lorsque son corps était à peine refroidi, de s'appesantir sur quelques prétendus torts de sa vie privée11. Enfin, ils déverseront le blâme le plus juste sur Thomas Moore, dont le premier soin, en apprenant la mort de Byron, fut de livrer aux flammes des Mémoires destinés à justifier l'illustre défunt contre les calomnies de sa femme et de la plupart de ses compatriotes; des Mémoires qu'il avait reçus de Byron lui-même, comme un religieux dépôt12. Honte éternelle à ceux qui trahirent l'amitié dont un aussi grand homme les avait honorés: et puisse la postérité, qui peut-être admirera les ouvrages de Scott et de Moore, ne jamais oublier la déloyauté

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<p>10</p>

Augusta miss Leight.

<p>11</p>

Voyez la singulière oraison funèbre insérée dans un journal anglais, et signée W. Scott, dans laquelle le romancier écossais s'arrête, avec une visible complaisance, sur les blâmables opinions politiques de Lord Byron, etc., etc. M. A. Pichot, en traduisant cette apologie, a cru devoir admirer la magnanimité de sir W. Scott. Nous ne partageons nullement son avis. Scott était l'homme que Lord Byron aimait, vantait et admirait le plus; lui appartenait-il d'être, dans un pareil moment, plus sévère que le reste du monde?

Le même M. A. Pichot, dans un Essai sur le génie de Lord Byron, n'a pas craint de comparer, et même de préférer, les poèmes de sir Walter à ceux de l'auteur de Don Juan et de Childe Harold: c'était trop compter sur l'ineptie du lecteur. Scott est un admirable romancier, mais c'est un poète singulièrement médiocre. En Angleterre il plaît assez, parce que ses vers sont hérissés d'expressions et de traditions locales; mais en France, je défie un seul homme de lire, sans un mortel ennui, la Dame du Lac, Marmion, le Roi des Îles, la Bataille de Waterloo, etc. Figurez-vous le docte Scaliger essayant de mettre en vers la prose grecque de Pausanias ou de Strabon, et vous aurez une idée exacte de la manière de Walter Scott. C'est plutôt mille fois un émule de Ducange qu'un rival de Lord Byron.

<p>12</p>

On voit que ce morceau fut composé avant que Moore essayât de justifier sa conduite. Les Mémoires qu'il vient de publier semblent devoir aujourd'hui lever tous les soupçons qu'on fut, trop long-tems peut-être, en droit de former contre lui.