Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1 - George Gordon Byron

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quoiqu'il m'ait fait une vive impression, ni le comparer à quelque chose. – Je n'ai jamais rien vu de pareil.»

      On a pourtant comparé Don Juan à la Pucelle; c'était juger d'un arbre d'après son écorce. Voltaire, dans son poème, s'empare de toutes les idées nobles que notre imagination aime à nourrir: il lutte contre elles, il ne les quitte qu'après les avoir imprégnées de ridicule. Du reste, il ne démêle rien avec les turpitudes de la vie: elles sont, au contraire, son point de départ et le niveau auquel il s'efforce de ramener toutes choses. Que s'il s'arrête avec complaisance sur des scènes d'amour, son pinceau ne produit encore qu'un tableau infernal dont, fort heureusement, on chercherait en vain, dans la nature, le modèle. Les deux poèmes ont pourtant cela de commun, qu'ils sont tous deux l'effet d'une débauche d'esprit. Mais la Pucelle fut premièrement destinée à égayer6 les loisirs de Frédéric-le-Grand, tandis que le Don Juan fut composé pour une génération qui avait lu avec enthousiasme Werther, René, Childe Harold et Manfred. La verve de gaîté ne pouvait donc être de la même espèce dans les deux ouvrages. Dans Juan on aperçoit l'ironie, mais jamais cette ironie ne flétrit une ame, une action, une idée, nobles ou grandes. Byron y développe nos sociales misères avec un calme qui est loin de son cœur; à chaque instant il trahit son émotion, et quelquefois, en s'y abandonnant avec franchise, il nous fait fondre en larmes. Enfin, pour me servir des belles expressions de madame Belloc7, son but bien évident est «d'obliger les hommes à se relever à force de mépris. Les saillies de Don Juan ressemblent à des fleurs dont on aurait entouré une couronne d'épines; on devine que le front qui la porte en est ensanglanté.»

      Lord Byron quitta Venise en 1819, et vint s'établir à Ravenne. De tous les séjours qu'il essaya, Ravenne fut celui qui lui plut davantage. Dante, son poète favori, y avait passé plusieurs années d'exil: à quelques milles de la ville s'élevait la forêt de pins plusieurs fois mentionnée dans le Décameron de Boccace. C'est là qu'il composa la Prophétie du Dante, les troisième, quatrième et cinquième chants de Don Juan; Sardanapale, Caïn et le Ciel et la Terre. Juan et Caïn offrirent, en Angleterre, un nouvel aliment aux ennemis du noble poète. Lord Byron ne répondit aux injures qu'en citant, pour justifier Caïn, l'exemple péremptoire de Milton. Le parti des hypocrites, s'emparant alors de sa vie privée, lui reprocha une avarice sordide: à les entendre, il ne prodiguait le scandale que pour mieux trouver à vendre ses poèmes. Comme il gardait un dédaigneux silence, ses amis répondirent pour lui que jusqu'alors le noble Lord n'avait rien touché pour ses ouvrages, et qu'il leur en avait constamment abandonné le profit. Cependant le directeur du théâtre de Drury-Lane faisait représenter sa tragédie de Marino Faliero, qui n'avait pas été destinée à être jamais jouée; elle n'eut pas, au théâtre, le même succès qu'à la lecture, et, après trois représentations, le libraire de Lord Byron réclama et obtint, de l'autorité, le droit de la retirer.

      Lord Byron fut moins sensible à tous ces désagrémens qu'à la mort du commandant militaire de Ravenne. Cet homme, vétéran de Napoléon, avait fini par s'attacher à la maison d'Autriche; mais, à cette époque où l'Espagne était en feu, où l'Italie préludait à sa passagère révolution, la haute police germanique vint à le soupçonner de carbonarisme. Il fut assassiné, en plein jour, dans la ville de Ravenne, à une portée de fusil de la demeure de Lord Byron. Celui-ci entendant une détonnation, accourt, met vainement ses gens à la recherche des meurtriers, et transporte la victime dans son palais; mais à peine déposé sur les escaliers intérieurs, le pauvre commandant n'existait plus. Cet événement fit sur lui une impression qu'il a fidèlement consignée dans le cinquième chant de Don Juan. Les coupables de ce meurtre ne furent nullement poursuivis.

      Quelque tems après éclata l'insurrection du Piémont. Byron ne prit aucune part directe à tous ces mouvemens tumultueux qui s'étendaient jusqu'à Pise; seulement il ouvrit un asile à ceux qui, au moment de la réaction, cherchèrent à se dérober aux vengeances de la police. Il avait réuni dans son palais une centaine d'armures complètes, dont il avait l'intention arrêtée de faire usage si les révoltés voulaient sérieusement se défendre; mais il n'en fut rien. Étouffée aussi facilement qu'elle avait été exécutée, la conspiration carbonarienne échoua en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France; en un mot, sur tous les points de l'Europe.

      Dès ce moment il ne fut plus en sûreté à Ravenne: chaque jour il recevait des lettres menaçantes, mais rien ne pouvait le décider à interrompre le cours de ses promenades. Enfin, la voix de l'amour fut plus puissante que celle de la crainte sur cette ame passionnée. Depuis quelques années, il était l'amant heureux de la comtesse Guiccioli: Theresa Gamba, mariée à seize ans au vieux comte Guiccioli, douée d'une beauté merveilleuse et de tous les dons qui peuvent ajouter à celui de la beauté, devint facilement éprise du plus grand poète, et de l'un des plus beaux cavaliers de son tems. Le vieux mari se plaignit, non pas d'avoir un rival, mais d'avoir un rival hérétique et soupçonné de libéralisme. Bientôt, demande en séparation simultanément faite par les deux époux: le pape, juge de l'affaire, consent à rompre des nœuds mal assortis, mais à condition que la jeune comtesse sera reléguée dans un couvent. Byron ne trouva qu'un moyen de rendre vaine la décision du souverain pontife; du consentement du père et du frère de la comtesse, il disparut de Ravenne avec elle, en 1821, au commencement de l'automne, et alla poser sa tente dans la ville de Pise.

      Il y loua, pour une année, le vieux et magnifique palais Lanfranchi, au nom duquel se rattachaient plusieurs grands souvenirs poétiques et légendaires. Il semblait trouver des inspirations dans les murs d'un vieux et gothique édifice comme dans l'aspect des montagnes ou de la mer. Les petites ames de sa patrie prétendirent qu'il recherchait le voisinage de ces imposantes ruines pour exciter la curiosité; mais l'auteur de Childe Harold connaissait, par expérience, de plus sûrs moyens de faire naître l'admiration de ses contemporains; et, à vrai dire, ce n'est pas comprendre l'homme de génie que de le supposer, un instant, capable de calculs aussi misérables.

      Tandis qu'il était à Pise, il reçut la nouvelle de la mort de lady Noël, mère de sa femme. Il écrivit aussitôt à cette dernière une lettre de condoléance dans laquelle, revenant sur les motifs de leur séparation, il lui témoignait l'ardent désir de la revoir et d'embrasser sa fille. La mort de sa plus ardente ennemie lui faisait espérer que lady Byron consentirait avec joie à ce rapprochement: il se trompa encore. Il ne reçut d'Angleterre aucune réponse.

      Quelques jours après le départ de cette lettre, un anonyme lui fit parvenir un médaillon renfermant une boucle des cheveux de sa chère Ada. Rien ne peut donner une idée de la joie qu'il montra dans cette occasion: il baisait ces cheveux, les touchait, les contemplait avec des yeux passionnés. Il pendit le précieux médaillon autour de son cou, et ne s'en sépara plus qu'à la mort.

      Les journaux anglais lui apprirent alors que Leight Hunt était persécuté dans sa patrie; c'était l'éditeur de l'Examiner, le seul journal qui eût pris à cœur sa défense, à l'époque de ses démêlés matrimoniaux: Byron lui écrivit pour lui demander en grâce de venir habiter l'Italie, et lui offrit pour asile le palais Lanfranchi. Hunt accepta sans délai, et à peine arrivé à Pise il fit goûter à Lord Byron le plan d'un journal qui, assurait-il, ne pouvait manquer d'intéresser vivement l'Europe. Il parut trois numéros du Libéral: mais les rédacteurs, et Byron le premier, se lassèrent bientôt de coopérer à cette entreprise, pour laquelle ils n'avaient peut-être pas une vocation merveilleuse. Dans le Libéral fut publiée la Vision du jugement, excellente satire d'un poème louangeur du lauréat Southey.

      Lord Byron, Shelley et les deux Gamba se promenaient un jour à cheval, à quelques pas de la ville, quand un sous-officier, passant au grand galop au milieu d'eux, renverse l'un des domestiques et continue sa route sans articuler la moindre excuse. Byron s'élance à sa poursuite, lui demande raison d'une pareille insolence et reçoit pour réponse de grossières

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<p>6</p>

Ou, comme disait Voltaire, pour le régaillardir.

<p>7</p>

Lord Byron, par madame L. Sw. Belloc, 1824.