Œuvres complètes de lord Byron, Tome 12. George Gordon Byron
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MÉMOIRES SUR LA VIE DE LORD BYRON
LETTRE CCCXLI
22 octobre 1819.
«Je suis bien aise d'apprendre votre retour; mais je ne sais trop comment vous en féliciter, à moins que votre opinion sur Venise ne soit plus d'accord avec la mienne, et n'ait changé de ce qu'elle était autrefois. D'ailleurs, je vais vous occasionner de nouvelles peines, en vous priant d'être juge entre M. E*** et moi, au sujet d'une petite affaire de péculat et de comptes irréguliers dont ce phénix des secrétaires est accusé. Comme je savais que vous ne vous étiez pas séparés amicalement, tout en refusant pour moi personnellement tout autre arbitrage que le vôtre, je lui offris de choisir le moins fripon des habitans de Venise pour second arbitre; mais il s'est montré si convaincu de votre impartialité, qu'il n'en veut pas d'autre que vous; cela prouverait en sa faveur. Le papier ci-inclus vous fera voir en quoi ses comptes sont défectueux. Vous entendrez son explication, et en déciderez comme vous voudrez; je n'appellerai pas de votre jugement.
»Comme il s'était plaint que ses appointemens n'étaient pas suffisans, je résolus de faire examiner ses comptes, et vous en voyez ci-joint le résultat. C'est tout barbouillé de documens, et je vous ai dépêché Fletcher pour expliquer la chose, si toutefois il ne l'embrouille pas.
»J'ai reçu beaucoup d'attentions et de politesses de M. Dorville pendant votre voyage, et je lui en ai une obligation proportionnée.
»Votre lettre m'est arrivée au moment de votre départ1, et elle m'a fait peu de plaisir, non que les rapports qu'elle contient ne puisent être véritables et qu'elle n'ait été dictée par une intention bienveillante, mais vous avez assez vécu pour savoir combien toute représentation est et doit être à jamais inutile quand les passions sont en jeu. C'est comme si vous vouliez raisonner avec un ivrogne entouré de ses bouteilles; la seule réponse que vous en tirerez, c'est qu'il est à jeun et que vous êtes ivre.
Note 1: (retour) M. Hoppner, avant son départ de Venise pour la Suisse, avait écrit à Lord Byron avec tout le zèle d'un véritable ami, pour le supplier de quitter Ravenne tandis qu'il avait encore sa peau, et le presser de ne pas compromette sa sûreté et celle d'une personne à laquelle il paraissait si sincèrement attaché, pour la satisfaction d'une passion éphémère qui ne pouvait être qu'une source de regrets pour tous les deux. M. Hoppner l'informait en même tems de quelques rapports qu'il avait entendu faire dernièrement à Venise, et qui, bien que peut-être sans fondement, avaient de beaucoup augmenté son inquiétude au sujet des résultats de la liaison dans laquelle il se trouvait engagé.
»Désormais, si vous le voulez bien, nous garderons le silence sur ce sujet; tout ce que vous pourriez me dire ne ferait que m'affliger sans aucun fruit, et je vous ai trop d'obligations pour vous répondre sur le même ton; ainsi, vous vous rappellerez que vous auriez aussi cet avantage sur moi. J'espère vous voir bientôt.
»Je présume que vous avez su qu'il a été dit à Venise que j'étais arrêté à Bologne comme carbonaro, histoire aussi vraie que l'est, en général, leur conversation. Moore est venu ici; je l'ai logé chez moi, à Venise, et je suis venu l'y voir tous les jours; mais, dans ce moment-là, il m'était impossible de quitter tout-à-fait la Mira. Vous et moi avons manqué de nous rencontrer en Suisse. Veuillez faire agréer mon profond respect à Mme Hoppner, et me croire à jamais et très-sincèrement,
»Votre, etc.
»P. S. Allegra est ici en bonne santé et fort gaie; je la garderai avec moi jusqu'à ce que j'aille en Angleterre, ce qui sera peut-être au printems. Il me vient maintenant à l'idée qu'il ne vous plaira peut-être pas d'accepter l'office d'arbitre entre M. E*** et votre très-humble serviteur; naturellement, comme le dit M. Liston (je parle du comédien et non de l'ambassadeur), c'est à vous à hopter2. Quant à moi, je n'ai pas d'autre ressource. Je désire, si cela se peut, ne pas le trouver fripon, et j'aimerais bien mieux le croire coupable de négligence que de mauvaise foi. Mais voici la question: Puis-je, oui ou non, lui donner un certificat de probité? car mon intention n'est pas de le garder à mon service.»
Note 2: (retour) Allusion à la manière dont Liston, l'acteur le plus comique qu'il y ait en Angleterre, aspire ce mot en le prononçant.
LETTRE CCCXLII
25 octobre 1819.
«Vous n'aviez pas besoin de me faire d'excuses au sujet de votre lettre; je n'ai jamais dit que vous ne dussiez et ne pussiez avoir raison; j'ai seulement parlé de mon état d'incapacité d'écouter un tel langage dans ce moment et au milieu de telles circonstances. D'ailleurs, vous n'avez pas parlé d'après votre propre autorité, mais d'après les rapports qui vous ont été faits. Or, le sang me bout dans les veines quand j'entends un Italien dire du mal d'un autre Italien, parce que, quoiqu'ils mentent en particulier, ils se conforment généralement à la vérité en parlant mal les uns des autres; et quoiqu'ils cherchent à mentir, s'ils n'y réussissent pas, c'est qu'ils ne peuvent rien dire d'assez noir l'un de l'autre qui ne puisse être vrai, d'après l'atrocité de leur caractère depuis si long-tems avili3.
Note 3: (retour) Ce langage est violent, dit M. Hoppner dans quelques observations sur cette lettre, mais c'est celui des préjugés, et il était naturellement porté à exprimer ses sensations du moment, sans réfléchir si quelque chose ne lui en ferait pas bientôt changer. Il était à cette époque d'une si grande susceptibilité au sujet de Mme G***, que c'était seulement parce que quelques personnes avaient désapprouvé sa conduite, qu'il déclamait ainsi contre toute la nation: «Je n'ai jamais aimé Venise, continue M. Hoppner, elle m'a déplu dès le premier mois de mon arrivée; cependant j'y ai trouvé plus de bienveillance qu'en tout autre pays; et j'y ai vu des actes de générosité et de désintéressement que j'ai rarement remarqués ailleurs.»
»Quant à E***, vous vous apercevrez bien de l'exagération monstrueuse de ses comptes, sans aucun document pour les justifier. Il m'avait demandé une augmentation de salaire qui m'avait donné des soupçons. Il favorisait un train de dépense extravagant, et fut mécontent du renvoi du cuisinier. Il ne s'en plaignit jamais, comme son devoir l'y obligeait, pendant tout le tems qu'il me vola. Tout ce que je puis dire, c'est que la dépense de la maison, comme il en convient lui-même, ne monte maintenant qu'à la moitié de ce qu'elle était alors. Il m'a compté dix-huit francs pour un peigne qui n'en avait en effet coûté que huit. Il m'a aussi porté en compte le passage de Fusine ici, d'une personne nommée Jambelli, qui l'a payé elle-même, comme elle le prouvera s'il est nécessaire. Il s'imagine ou se dit être la victime d'un complot formé contre lui par les domestiques; mais ses comptes sont là et les prix déposent contre lui; qu'il se justifie donc en les détaillant d'une manière plus claire. Je ne suis pas prévenu contre lui, au contraire; je l'ai soutenu contre sa femme et son ancien maître, qui s'en plaignaient, à une époque où j'aurais pu l'écraser comme un ver de terre. S'il est un fripon, c'est le plus grand des fripons, car il joint l'ingratitude à la friponnerie. Le fait est qu'il aura cru que j'allais quitter Venise, et qu'il avait résolu de tirer de moi tout ce qu'il pourrait. Maintenant, le voilà qui présente mémoire sur mémoire, comme s'il n'avait pas eu toujours de l'argent en main pour payer. Vous savez, je crois, que je ne voulais pas qu'on fît chez moi des mémoires de plus d'une semaine. Lisez-lui cette lettre je vous prie; je ne veux rien lui cacher de ce dont il peut se défendre.
»Dites-moi comment va votre petit garçon, et comment vous allez vous-même. Je ne tarderai pas à me rendre à Venise, et nous épancherons notre bile ensemble. Je déteste cette ville et tout ce qui lui appartient.
»Votre, etc.»
LETTRE CCCXLIII