Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3. Dozy Reinhart Pieter Anne

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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3 - Dozy Reinhart Pieter Anne

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défaite. Les musulmans les poursuivirent jusqu’à ce que l’obscurité de la nuit les dérobât à leurs regards, et firent prisonniers plusieurs de leurs chefs, parmi lesquels se trouvaient deux évêques, Hermogius de Tuy et Dulcidius de Salamanque, qui, selon l’usage de cette époque, avaient endossé le harnais de guerre.

      Cependant plus de mille chrétiens avaient trouvé un asile dans la forteresse de Muez. Abdérame la cerna, la prit et fit couper la tête à tous les défenseurs de la place.

      Détruisant les forteresses et ne trouvant nulle part de la résistance, les musulmans parcoururent la Navarre en vainqueurs, et ils pouvaient se vanter d’avoir tout brûlé dans un espace de dix milles carrés. Le butin qu’ils firent, surtout en vivres, était prodigieux: dans leur camp le blé se vendait presque pour rien, et ne pouvant emporter toutes les provisions dont ils s’étaient emparés, ils furent obligés d’en brûler une grande partie.

      Victorieux et couvert de gloire, Abdérame commença sa retraite le 8 septembre. Arrivé à Atienza, il prit congé des soldats des frontières, qui s’étaient fort bien conduits dans la bataille de Val de Junquera, et auxquels il distribua des présents. Puis il s’achemina vers Cordoue, où il arriva le 24 septembre, après une absence de trois mois48.

      Abdérame avait le droit de se flatter de l’espoir que cette glorieuse campagne ôterait pour longtemps aux chrétiens le désir de faire des incursions sur le territoire musulman; mais il avait affaire à des ennemis qui ne se laissaient pas aisément décourager. Dès l’année 92149, Ordoño fit de nouveau une razzia, et s’il fallait en croire un chroniqueur chrétien, qui exagère peut-être les succès remportés alors par ses compatriotes, le roi de Léon se serait même avancé jusqu’à une journée de Cordoue50. Deux années après, Ordoño prit Najera51, tandis que son allié, Sancho de Navarre, se rendait maître de Viguera, ce dont il était si orgueilleux qu’il s’écria avec le prophète: «Je les ai dispersés, je les ai forcés d’aller chercher un refuge dans des royaumes lointains et inconnus52

      La prise de Viguera causa une grande consternation dans l’Espagne musulmane, car on y racontait que tous les défenseurs de la place, parmi lesquels il y en avait qui appartenaient aux plus illustres familles, avaient été massacrés53; et lors même qu’Abdérame ne l’aurait pas désiré, il aurait été contraint par l’opinion publique à tirer vengeance de ce désastre. Mais il n’avait pas besoin d’une telle impulsion. Exaspéré et furieux, il ne voulut pas même attendre le retour de la saison où les campagnes commençaient d’ordinaire, et dès le mois d’avril de l’année 924, il quitta Cordoue à la tête de son armée, «afin d’aller venger Dieu et la religion sur la race impure des mécréants,» comme s’exprime un chroniqueur arabe. Le 10 juillet il arriva sur le territoire navarrais; mais la terreur qu’inspirait son nom était si grande, que les ennemis abandonnaient partout leurs forteresses à son approche. Il passa donc par Carcar, Peralta, Falces et Carcastillo, en pillant et brûlant tout ce qui se trouvait sur son passage; puis il s’enfonça dans l’intérieur du pays en se dirigeant vers la capitale. Sancho tenta bien de l’arrêter dans les défilés; mais chaque fois qu’il l’essaya, il fut repoussé avec perte, et Abdérame arriva sans encombre à Pampelune, dont les habitants n’avaient pas osé l’attendre. Il fit détruire une foule des maisons de la ville, de même que la cathédrale qui attirait chaque année de nombreux pèlerins. Puis il ordonna de démolir une autre église, que Sancho avait fait bâtir à grands frais sur une montagne du voisinage et pour laquelle il avait une grande vénération. Aussi fit-il des efforts inouïs pour la sauver, mais il n’y réussit pas. Plus tard il ne fut pas plus heureux. Ayant reçu des renforts de la Castille, il attaqua deux fois l’armée musulmane qui avait repris sa marche, et deux fois il fut repoussé avec perte. Les musulmans au contraire perdirent très-peu de soldats dans cette glorieuse campagne, qu’ils appelèrent celle de Pampelune54.

      Le roi de Navarre, naguère si orgueilleux, était maintenant humilié et réduit pour longtemps à l’impuissance. Du côté de Léon, Abdérame n’avait non plus rien à craindre pour le moment. Le brave Ordoño II était déjà mort avant le commencement de la campagne de Pampelune55. Son frère Froïla II, qui lui succéda, ne régna qu’une année, pendant laquelle il n’entreprit rien contre les musulmans si ce n’est qu’il fournit quelques renforts à Sancho de Navarre. Après sa mort (925), Sancho et Alphonse, fils d’Ordoño II, se disputèrent la couronne. Soutenu par Sancho de Navarre, dont il avait épousé la fille, Alphonse, quatrième du nom, l’emporta. Mais Sancho ne se laissa pas décourager. Ayant rassemblé de nouveau une armée et s’étant fait couronner à Saint-Jacques-de-Compostelle, il vint assiéger Léon, prit cette ville et enleva le trône à son frère (926). Plus tard, en 928, Alphonse reconquit la capitale avec le secours des Navarrais; mais Sancho sut se maintenir en possession de la Galice56.

      Abdérame ne se mêla point de cette longue guerre civile. Laissant les chrétiens s’entr’égorger puisque tel était leur bon plaisir, il profita du répit qu’ils lui donnaient pour écraser presque partout l’insurrection dans ses propres Etats, et maintenant qu’il touchait au but de ses souhaits, il fut d’avis qu’il lui convenait de prendre un autre titre. Les Omaiyades d’Espagne s’étaient contentés jusque-là de celui de sultan, d’émir ou de fils des califes. Croyant que le nom de calife n’appartenait qu’au souverain qui avait les deux villes saintes, la Mecque et Médine, en son pouvoir57, ils l’avaient laissé aux Abbâsides, tout en les considérant toujours comme leurs ennemis. Mais à présent que les Abbâsides étaient tenus en tutelle par leurs maires du palais, les émirs al-oméra, et que leur pouvoir ne s’étendait plus que sur Bagdad et son territoire, les gouverneurs des provinces s’étant rendus indépendants, il n’y avait plus de raison qui pût empêcher les Omaiyades de prendre une qualification dont ils avaient besoin pour imposer du respect à leurs sujets et surtout aux peuplades africaines. Abdérame ordonna donc, dans l’année 929, qu’à partir du vendredi 16 janvier, on lui donnât dans les prières et dans les actes publics les titres de calife, de commandeur des croyants et de défenseur de la foi (an-nâcir lidîni’llâh)58.

      En même temps il porta toute son attention sur l’Afrique. Il entama une négociation avec Mohammed ibn-Khazer, le chef de la tribu berbère de Maghrâwa, qui avait déjà mis en fuite les troupes des Fatimides et tué leur général Meççâla de sa propre main. L’alliance contractée, Mohammed ibn-Khazer expulsa les Fatimides du Maghrib central, (c’est-à-dire des provinces actuelles d’Alger et d’Oran), et fit reconnaître dans cette contrée la souveraineté du monarque espagnol. Ce dernier réussit aussi à détacher du parti des Fatimides le vaillant chef des Micnésa, Ibn-abî-’l-Afia, qui jusque-là avait été leur plus solide appui, et comme il sentait le besoin d’avoir une forteresse sur la côte d’Afrique, il se fit céder Ceuta (931).

      Les chrétiens du Nord semblaient avoir pris à tâche de laisser au calife tout le loisir nécessaire, afin qu’il pût se vouer tout entier aux affaires africaines. Leur première guerre civile étant terminée par la mort de Sancho, arrivée en 929, ils en commencèrent une autre en 931. Dans cette année, Alphonse IV, plongé dans la désolation par la mort de sa femme59, abdiqua la couronne en faveur de son frère Ramire, deuxième du nom, et prit le froc dans le cloître de Sahagun; mais bientôt après, s’apercevant qu’il n’était pas fait pour la monotonie de la vie monastique, il quitta son cloître et se fit proclamer roi à Simancas. Ce fut, aux yeux des prêtres, un énorme scandale; aussi menacèrent-ils

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<p>48</p>

Arîb, t. II, p. 183-189; Ibn-Khaldoun, fol. 13 v., 14 v.; Sampiro, c. 18; Raguel, Vita vel passio Sancti Pelagii (collection de Schot, t. IV, p. 348).

<p>49</p>

C’est dans cette année que l’expédition d’Ordoño doit avoir eu lieu, car Sampiro dit qu’en retournant à Zamora, le roi trouva sa femme morte, et d’un autre côté il est certain que la reine mourut dans l’été de 921; voyez Esp. sagr., t. XXXVII, p. 269.

<p>50</p>

Sampiro, c. 18.

<p>51</p>

Sampiro, c. 19.

<p>52</p>

Sancho cite ce texte dans un privilége donné après la prise de Viguera. Esp. sagr., t. XXXIII, p. 466.

<p>53</p>

Ce bruit n’était vrai qu’en partie; quelques nobles, mais en petit nombre, réussirent à se sauver. – Comparez Arîb, t. II, p. 195, avec Ibn-Haiyân, fol. 15 r.

<p>54</p>

Arîb, t. II, p. 196-201; Ibn-Khaldoun, fol. 13 v.

<p>55</p>

En 311 de l’Hégire (Arîb, t. II, p. 195), et par conséquent avant le 9 avril 924.

<p>56</p>

Voir mes Recherches, t. I, p. 154-163.

<p>57</p>

Ibn-Khordâdbeh, man. d’Oxford, p. 90.

<p>58</p>

Arîb, t. II, p. 211, 212; Ibn-Adhârî, t. II, p. 162.

<p>59</p>

Voyez Esp. sagr., t, XXXIV, p. 241.