Oliver Twist. Dickens Charles

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Oliver Twist - Dickens Charles

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sages et humaines, qu'il est inutile de rapporter: ils entreprirent, par pure bonté, de séparer par une espèce de divorce les pauvres gens mariés, ce qui leur épargnait les frais énormes d'un procès devant la cour ecclésiastique; et, au lieu d'obliger le mari à soutenir sa famille par son travail, ils lui arrachèrent sa famille et le rendirent célibataire. On ne saurait dire combien de gens dans toutes les classes de la société eussent voulu profiter de ces deux bienfaits; mais les administrateurs étaient des hommes prévoyants et avaient obvié à cette difficulté: pour jouir de ces bienfaits il fallait vivre au dépôt, et y vivre de gruau; cela effrayait les gens.

      Six mois après l'arrivée d'Olivier Twist, le nouveau système était en pleine vigueur. Dans le début, il fut un peu coûteux; il fallut payer davantage à l'entrepreneur des pompes funèbres, et rétrécir les vêtements de tous les pauvres, amaigris et réduits à rien après une semaine ou deux de gruau; mais le nombre des habitants du dépôt de mendicité diminua beaucoup, et les administrateurs étaient dans le ravissement.

      L'endroit où mangeaient les enfants était une grande salle pavée, au bout de laquelle était une chaudière d'où le chef du dépôt, couvert d'un tablier et aidé d'une ou deux femmes, tirait le gruau aux heures des repas. Chaque enfant en recevait plein une petite écuelle et jamais davantage, sauf les jours de fête, où il avait en plus deux onces un quart de pain; les bols n'avaient jamais besoin d'être lavés: les enfants les polissaient avec leurs cuillers jusqu'à ce qu'ils redevinssent luisants; et, quand ils avaient terminé cette opération, qui n'était jamais longue, car les cuillers étaient presque aussi grandes que les bols, ils restaient en contemplation devant la chaudière avec des yeux si avides qu'ils semblaient la dévorer de leurs regards, et ils se léchaient les doigts pour ne pas perdre quelques petites gouttes de gruau qui avaient pu s'y attacher. Les enfants ont en général un excellent appétit; Olivier Twist et ses compagnons souffrirent pendant trois mois les tortures d'une lente consomption, et la faim finit par les égarer à ce point qu'un enfant, grand pour son âge et peu habitué à une telle existence (car son père avait tenu une petite échoppe de traiteur), donna à entendre à ses camarades que, s'il n'avait pas une portion de plus de gruau par jour, il craignait de dévorer une nuit l'enfant qui partageait son lit, et qui était jeune et faible: il avait, en parlant ainsi, l'oeil égaré et affamé, et ses compagnons le crurent; on délibéra. On tira au sort pour savoir qui irait le soir même au souper demander au chef une autre portion; le sort tomba sur Olivier Twist.

      Le soir venu, les enfants prirent leurs places; le chef de l'établissement, affublé de son costume de cuisinier, était en personne devant la chaudière; on servit le gruau; on dit un long benedictus sur ce chétif ordinaire. Le gruau disparut; les enfants se parlaient à l'oreille, faisaient des signes à Olivier, et ses voisins le poussaient du coude. Tout enfant qu'il était, la faim l'avait exaspéré, et l'excès de la misère l'avait rendu insouciant; il quitta sa place, et, s'avançant l'écuelle et la cuiller à la main, il dit, tout effrayé de sa témérité:

      «J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous plaît.»

      Le chef, homme gras et rebondi, devint pâle; stupéfait de surprise, il regarda plusieurs fois le petit rebelle; puis il s'appuya sur la chaudière pour se soutenir; les vieilles femmes qui l'aidaient étaient saisies d'étonnement, et les enfants de terreur.

      «Comment! dit enfin le chef d'une voix altérée.

      – J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous plaît,» répondit Olivier.

      Le chef dirigea vers la tête d'Olivier un coup de sa cuiller à pot, l'étreignit dans ses bras, et appela à grands cris le bedeau.

      Le conseil siégeait en séance solennelle quand M. Bumble tout hors de lui, se précipita dans la salle, et s'adressant au président, lui dit:

      «Monsieur Limbkins, je vous demande pardon, monsieur, Olivier Twist en a redemandé.»

      Ce fut une stupéfaction générale; l'horreur était peinte sur tous les visages.

      «Il en a redemandé, dit M. Limbkins? calmez-vous, Bumble, et répondez-moi clairement. Dois-je comprendre qu'il a redemandé de la nourriture, après avoir mangé le souper alloué par le règlement?

      – Oui, monsieur, répondit Bumble.

      – Cet enfant-là se fera pendre, dit le monsieur au gilet blanc; oui, cet enfant-là se fera pendre.»

      Personne ne contredit cette prédiction. Une discussion très vive eut lieu; Olivier fut mis au cachot, et le lendemain matin, un avis affiché à la porte offrait une récompense de cinq livres sterling 2 à quiconque voudrait débarrasser la paroisse d'Olivier Twist; en d'autres termes, on offrait cinq livres sterling et Olivier Twist à quiconque, homme ou femme, aurait besoin d'un apprenti pour n'importe quel commerce ou quelle besogne.

      «De ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une chose, disait le monsieur au gilet blanc en frappant à la porte le lendemain matin et en lisant l'affiche; de ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une chose! c'est que cet enfant-là se fera pendre.»

      Comme je me propose, dans la suite de ce récit, de montrer si le monsieur au gilet blanc eut raison ou non, je nuirais peut-être à l'intérêt de ma narration (si toutefois elle en a), en faisant pressentir si la vie d'Olivier Twist eut ou non ce terrible dénoûment.

      CHAPITRE III. Comment Olivier Twist fut sur la point d'attraper une place qui n'eût pas été une sinécure

      Après avoir commis le crime impardonnable de redemander du gruau, Olivier resta pendant huit jours étroitement enfermé dans le cachot où l'avaient envoyé la miséricorde et la sagesse du conseil d'administration. On pouvait supposer, au premier abord, que, s'il eût accueilli avec respect la prédiction du monsieur au gilet blanc, il aurait pu établir, une fois pour toutes, la réputation prophétique de ce sage administrateur, en accrochant un bout de son mouchoir à un clou dans la muraille, et en se suspendant à l'autre. Il n'y avait qu'un obstacle à l'exécution de cet acte: c'est que, par ordre exprès du conseil, signé, paraphé et scellé de tous les membres, les mouchoirs, étant considérés comme objets de luxe, avaient été, à toujours, interdits aux pauvres du dépôt; l'âge si tendre d'Olivier était un second obstacle aussi sérieux; il se contenta de pleurer amèrement pendant des journées entières; et, quand venaient les longues et tristes heures de la nuit, il mettait ses petites mains devant ses yeux pour ne pas voir l'obscurité, et se blottissait dans un coin pour tâcher de dormir; parfois il s'éveillait en sursaut et tout tremblant; il se collait contre le mur, comme s'il trouvait, à toucher cette surface dure et froide, une protection contre les ténèbres et la solitude qui l'environnaient.

      Il ne faut pas que les ennemis du Système s'imaginent que, pendant la durée de son emprisonnement, Olivier fut privé du bienfait de l'exercice, du plaisir de la société, ou des consolations de la religion. Quant à l'exercice, comme le temps était beau et froid, il avait la permission de se laver tous les matins sous la pompe, dans une cour pavée, en présence de M. Bumble, qui, pour l'empêcher de s'enrhumer, activait chez lui la circulation du sang au moyen de fréquents coups de canne. Quant à la société, on l'amenait tous les deux jours dans le réfectoire des enfants, et on lui administrait une verte correction, pour le bon exemple et l'édification des autres. Bien loin de lui refuser les avantages des consolations religieuses, on le faisait entrer, à coups de pieds, dans la salle, tous les soirs, à l'heure de la prière, et il avait la permission d'écouter, pour sa plus grande consolation, la prière de ses camarades, revue et augmentée par le conseil, dans laquelle ils demandaient d'être bons, vertueux, contents et obéissants, et d'être préservés des fautes et des vices d'Olivier Twist, qu'on présentait ainsi comme exclusivement placé sous le patronage et la protection de Satan, comme un échantillon direct

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<p>2</p>

Cent vingt cinq francs.