La vie infernale. Emile Gaboriau
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Peu soucieux de s’exhiber sous le costume qu’il avait endossé pour suivre Chupin, M. Fortunat avait couru à sa chambre à coucher reprendre ses vêtements ordinaires. Il avait besoin, en outre, de songer à la conduite à tenir et à ce qu’il dirait.
Si M. de Valorsay, comme c’était probable, ignorait l’accident du comte de Chalusse, fallait-il le lui apprendre? M. Fortunat se dit que non, prévoyant avec raison que cela soulèverait une discussion capable d’amener une rupture. Or, il ne voulait rompre qu’à bon escient, et seulement quand il serait bien sûr de la mort du comte.
De son côté, M. de Valorsay réfléchissait – un peu tard – qu’il avait eu bien tort de patienter pendant trois mortelles heures.
Était-ce digne de lui?.. Ne s’était-il pas manqué gravement à lui-même?.. Puis encore, M. Fortunat ne mesurerait-il pas à cette circonstance qui était un aveu, l’importance de ses services et l’urgence des besoins de son client?.. N’en deviendrait-il pas plus exigeant et plus dur?
Très-certainement, si le marquis eût pu s’esquiver sans bruit, il l’eût fait. Mais c’était impossible. Alors, il eut recours à un stratagème qui lui parut sauver sa dignité compromise.
Il se tassa dans son fauteuil, ferma les yeux et parut dormir.
Et quand M. Fortunat entra dans le salon, il se dressa brusquement, comme un homme réveillé en sursaut, se frottant les yeux en disant:
– Hein!.. qu’est-ce que c’est?.. Par ma foi!.. je m’étais bel et bien endormi.
Mais l’autre ne fut pas dupe.
Il avait fort bien remarqué à terre un journal qui, tout froissé et tout déchiré, trahissait la colère d’une longue attente.
– Ah ça! continuait le marquis, quelle heure est-il?.. Minuit et demi!.. Et c’est maintenant que vous arrivez à un rendez-vous assigné pour dix heures!.. Ceci passe la permission, mons Fortunat, et vous en prenez par trop à votre aise avec moi! Savez-vous que ma voiture est en bas, par le temps qu’il fait, depuis neuf heures et demie, et que mes chevaux en ont peut-être attrapé une fluxion de poitrine!.. Un attelage de six cents louis!..
M. Fortunat tendait à cet orage un dos plein d’humilité.
– Il faut m’excuser, monsieur le marquis, fit-il. Si je suis resté dehors si tard, contre mes habitudes, c’est uniquement pour vos affaires.
– Pardieu!.. il ne manquerait plus que c’eût été pour les vôtres!
Et satisfait de cette plaisanterie, il ajouta:
– Eh bien!.. où en sommes-nous?
– De mon côté tout marche à souhait.
Le marquis avait repris sa place au coin de la cheminée et tisonnait le feu d’un air d’insouciance très-noble à coup sur, mais assez mal joué.
– Je vous écoute… dit-il simplement.
– En ce cas, monsieur le marquis, répondit M. Fortunat, voici le fait en deux mots sans détails. Grâce à un expédient imaginé par moi, nous obtiendrons pour vingt-quatre heures la main-levée de toutes les inscriptions qui grèvent vos biens… Nous prendrons adroitement nos mesures, et ce jour-là même, nous demanderons un état au conservateur… Cet état, naturellement, certifiera que vos propriétés sont libres d’hypothèques, vous le montrerez à M. de Chalusse et tous ses doutes, s’il en a, seront levés… L’expédient, du reste, est simple; le difficile était de trouver les fonds, mais je les aurai chez un coulissier de mes amis. Tous vos créanciers, sauf deux, se prêtent admirablement à cette petite manœuvre, j’ai leur consentement. Par exemple, ce sera cher: il vous en coûtera vingt-six mille francs environ de commission et de frais.
M. de Valorsay eut un mouvement de joie si vif, qu’il ne put s’empêcher de battre des mains.
– Alors, l’affaire est dans le sac!.. s’écria-t-il. Avant un mois Mlle Marguerite sera marquise de Valorsay et j’aurai de nouveau cent mille livres de rentes…
Puis, ayant surpris le geste de M. Fortunat qui n’avait pu se retenir de hocher gravement la tête:
– Ah! vous doutez!.. reprit-il. Eh bien! à votre tour écoutez-moi. Hier, j’ai eu une conférence de deux heures avec le comte de Chalusse, et tout a été convenu et arrêté…
Nous avons échangé notre parole, maître Vingt-pour-cent. Le comte fait royalement les choses, il donne à Mlle Marguerite deux millions.
– Deux millions! fit l’autre comme un écho.
– Oui, cher Arabe, ni plus ni moins… Seulement, pour des raisons particulières et qu’il ne m’a pas dites, le comte tient à ce qu’il ne soit porté que deux cent mille francs au contrat. Le reste – dix-huit cent mille livres, s’il vous plaît – me sera remis de la main à la main, sans reçu, avant la mairie. Ma parole d’honneur, je trouve cela charmant… et vous?
M. Fortunat ne répondit pas. La gaieté expansive de M. de Valorsay, loin de le dérider, l’attristait.
– Toi, pensait-il, tu chanterais moins haut, si tu savais qu’à l’heure qu’il est le comte a peut-être rendu l’âme et que très-probablement Mlle Marguerite n’a plus que ses beaux yeux pour pleurer ses millions…
Mais le brillant gentilhomme ne soupçonnait pas cela, car il continuait, répondant plutôt aux objections de son esprit qu’à M. Fortunat:
– Vous me direz peut-être qu’il est singulier que moi, Ange-Marie-Robert Dalbon, marquis de Valorsay, j’épouse une fille qui ne connaît ni père ni mère et qui s’appelle Marguerite tout court… De ce coté-là, c’est vrai, l’union n’est pas positivement brillante. Enfin, comme il sera notoire qu’elle n’a eu en dot que 200,000 francs, on ne m’accusera pas d’avoir battu monnaie avec mon nom… J’aurai l’air, tout au contraire, d’avoir fait un mariage d’amour… cela me rajeunira.
Cependant il s’interrompit, irrité de la froideur obstinée de M. Fortunat.
– Savez-vous, maître Vingt-pour-Cent, dit-il, qu’à voir votre mine allongée, on jurerait que vous doutez du succès.
– Il faut toujours douter… répondit philosophiquement l’homme d’affaires.
Le marquis haussa les épaules.
– Même quand on a triomphé de tous les obstacles? demanda-t-il d’un ton goguenard.
– Mon Dieu, oui.
– Que manque-t-il, cependant, pour que ce mariage soit autant dire conclu?..
– Le consentement de Mlle Marguerite, monsieur le marquis.
Ce fut comme une douche d’eau glacée tombant sur la joie de M. de Valorsay. Un frisson nerveux le secoua, il devint livide, et d’une voix sourde:
– Je l’aurai, répondit-il, j’en suis sûr maintenant.
On ne pouvait pas dire que M. Fortunat fût en colère. Ces gens froids et lisses comme une pièce de cent sous n’ont point de passions inutiles.