La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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t’est-il arrivé?..

      Cette voix tombant sur son esprit comme un marteau sur un timbre, le fit tressaillir de la tête aux pieds.

      – Rien!.. bégaya-t-il, rien du tout.

      Et sa mère l’accablant de questions, il l’écarta doucement et gagna sa chambre.

      – Pauvre enfant, murmura Mme Férailleur, peinée et rassurée en même temps, lui toujours si sobre… on l’aura fait boire.

      L’erreur de Mme Férailleur était grande, et cependant les sensations de Pascal étaient exactement celles de l’ivresse.

      Après avoir perdu pendant un temps assez long toute conscience de soi et des circonstances extérieures, il sentait un brouillard plus épais que les vapeurs de l’alcool envahir son cerveau.

      Comment il était revenu chez lui, par quel chemin, ce qu’il avait fait en route, il lui eût été impossible de le dire.

      Si même il était rentré, c’était machinalement, par la force de l’habitude, cette mémoire du corps.

      Il lui semblait cependant qu’il s’était assis sur un banc aux Champs-Élysées, qu’il y avait eu extrêmement froid, et qu’un sergent de ville était venu le secouer, le menaçant du poste s’il ne se remettait pas en marche…

      Ses derniers souvenirs précis s’arrêtaient brusquement rue de Berry, sur le seuil de l’hôtel de Mme d’Argelès.

      Ainsi, il se rappelait fort bien qu’il avait descendu l’escalier lentement, que les domestiques, dans le vestibule, s’étaient écartés sur son passage, et qu’en traversant la cour il avait jeté le candélabre dont il s’était armé…

      Puis, plus rien…

      Une fois dans la rue, il avait été soudainement saisi par l’air vif, comme le buveur au sortir d’une salle à manger trop chauffée…

      Peut-être le champagne qu’il avait bu avait-il contribué à ce désordre cérébral.

      Et en ce moment, chez lui, assis dans son fauteuil, entouré d’objets familiers, il ne pouvait parvenir à rentrer en possession de lui-même.

      Sa pensée flottante, comme le liége sur l’eau, se dérobait à sa volonté et lui échappait… Un invincible engourdissement de plus en plus le dominait.

      Il eut bien juste la force de se jeter sur son lit, et aussitôt il s’endormit d’un sommeil de plomb, le sommeil des grandes crises, qu’on a observé même chez quelques condamnés à mort, la veille de leur exécution.

      A quatre ou cinq reprises sa mère vint écouter à la porte, une fois même elle entra, et voyant son fils si profondément endormi, elle ne put s’empêcher de sourire.

      – Pauvre Pascal, pensait-elle, il ne peut supporter d’autres excès que ceux du travail. Dieu! va-t-il être surpris et honteux quand il se réveillera…

      Hélas! ce n’était pas la confusion d’une légère faiblesse, mais le désespoir qui attendait ce malheureux à son réveil…

      D’un seul coup, tout d’un bloc et comme en une vision, son imagination lui retraça la scène de la nuit, lui représenta le présent et lui montra l’avenir…

      Sans avoir le plein et libre exercice de ses facultés, il était du moins capable de réfléchir et de délibérer. Il essaya d’évaluer courageusement la situation.

      Tout d’abord, quant aux événements passés, il n’eut pas l’ombre d’un doute. Il était, ainsi qu’il l’avait dit, tombé dans un piége ignoble. Qui l’y avait poussé?.. M. de Coralth qui, placé à sa gauche, avait préparé les «mains» avec lesquelles il avait gagné. Cela lui semblait évident.

      Il lui parut également prouvé que Mme d’Argelès connaissait le coupable, soit qu’elle l’eût surpris, soit qu’elle eût été mise dans la confidence.

      Mais ce qui échappait à son intelligence, c’était le mobile de M. de Coralth.

      Quel intérêt l’avait poussé à cette abominable action?.. Il fallait qu’il fût considérable, car enfin il s’était exposé à être vu trichant, et à passer à tout le moins pour un complice…

      Puis encore, quelle raison avait fermé la bouche de Mme d’Argelès?..

      Mais à quoi bon ces conjectures illusoires!..

      Le fait brutal, positif, réel, c’est que l’infamie avait réussi, de quelque part qu’elle partit et quel que fût son mobile… Et Pascal était déshonoré.

      Il était l’honnêteté même, et cependant il était accusé, plus que cela, convaincu d’avoir volé au jeu.

      Il était innocent, et il n’apercevait pas de preuves à donner de son innocence. Il connaissait le coupable, et il ne voyait aucun moyen de le démasquer, ni même de l’accuser…

      Quoi qu’il fît, cette calomnie atroce, inouïe, incompréhensible l’écrasait; le barreau lui était fermé, sa carrière était brisée…

      A cette horrible conviction, que l’abîme était sans issue, il sentit vaciller sa raison… il sentit qu’il devenait incapable de rien décider et qu’il lui fallait les conseils d’un ami.

      Plein de cette idée, il se hâta de changer de vêtements et s’élança hors de sa chambre…

      Sa mère le guettait, disposée à le railler doucement, mais d’un seul coup d’œil elle vit bien qu’il était survenu quelque chose de terrible, et que le malheur était sur la maison…

      – Pascal, s’écria-t-elle, au nom du ciel! que t’arrive-t-il?

      – Une contrariété, la moindre des choses.

      – Où vas-tu?..

      – Au Palais…

      C’est au Palais qu’il se rendait, en effet, espérant y rencontrer son plus intime ami.

      Contre son habitude, il prit le petit escalier de droite, au bas duquel se trouve le bureau des amendes, et qui débouche dans la salle des Pas-Perdus.

      Au milieu de la salle, des avocats en robe causaient… Ils semblèrent stupéfaits en apercevant Pascal, et se turent… Les visages devinrent sérieux, les têtes se détournèrent avec un visible dégoût.

      Le malheureux comprit. Il se frappa le front d’un geste de fou, en s’écriant:

      – Déjà!.. déjà!..

      Et il passa. Il n’avait pas aperçu son ami dans le groupe, et il courait à la petite salle des conférences…

      Cinq avocats s’y trouvaient. Dès que Pascal entra, deux s’esquivèrent, et les deux autres affectèrent de donner toute leur attention à un dossier ouvert sur la table.

      Le cinquième, qui ne bougea pas, n’était point l’ami cherché, mais c’était un ancien camarade de Louis-le-Grand nommé Dartelle. Pascal marcha droit à lui.

      – Eh bien?.. demanda-t-il.

      Dartelle

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