La vie infernale. Emile Gaboriau
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Il s’interrompit, prêtant l’oreille; on entendait, dans l’antichambre, comme une altercation entre la femme de ménage et quelque visiteur.
– Je vous dis qu’il y est, morbleu!.. disait une grosse voix essoufflée, et il faut que je le voie et que je lui parle! Il s’agit d’une affaire si urgente que j’ai campé là une partie de bouillotte au moment le plus vif…
– Je vous assure, monsieur, que monsieur est sorti.
– Eh bien! j’attendrai… Conduisez-moi à une pièce où je puisse m’asseoir.
Pascal avait pâli. Il reconnaissait la voix du joueur qui, chez Mme d’Argelès, avait conseillé de le fouiller.
N’importe, il ouvrit, et un gros homme à face plus large qu’un mascaron, soufflant comme une locomotive, s’avança avec ce sans-gêne des gens qui se croient tout permis parce qu’ils ont beaucoup d’argent.
– Parbleu!.. s’écria-t-il, je savais bien qu’il y était!.. Vous me reconnaissez, n’est-ce pas, cher monsieur… le baron Trigault. Je venais pour…
Les mots expirèrent sur ses lèvres, et il parut aussi embarrassé que s’il n’eût pas eu huit cent mille livres de rente… Il venait d’apercevoir Mme Férailleur.
Il la salua, et adressant un geste d’intelligence à Pascal:
– Je voudrais vous entretenir en particulier, dit-il… pour ce que vous savez.
Si grand que fût l’étonnement de Pascal, il n’en avait rien paru sur sa physionomie.
– Vous pouvez parler devant ma mère, monsieur, répondit-il d’un ton froid et même hostile… elle sait tout.
La surprise du baron se traduisit par une grimace qui, chez lui, était un tic.
– Ah!.. fit-il sur trois tons différents, ah!.. ah!..
Et comme on ne lui offrait pas de siége, il s’avança un fauteuil et s’y laissa tomber lourdement en disant:
– Vous permettez, n’est-ce pas… Ces diables d’escaliers me mettent dans un état!
Sous ses massives apparences, cet opulent et corpulent personnage dissimulait une clairvoyance très-exercée et l’esprit le plus délié.
D’un coup d’œil alerte, tout en semblant reprendre haleine, il étudiait le cabinet et ses hôtes.
A terre étaient un revolver et une lettre froissée, et des larmes brillaient encore dans les yeux de Mme Férailleur et de son fils. Il n’en fallait pas plus à un observateur…
– Je ne vous cacherai pas, cher monsieur, commença-t-il, que je suis amené chez vous par un scrupule de conscience…
Et se méprenant à un geste de Pascal:
– Je dis bien: scrupule, insista-t-il… j’en ai quelquefois. Votre sortie, ce matin, après la scène… déplorable, a fait naître en moi toutes sortes de doutes taquins… Doucement, me suis-je dit, nous avons été peut-être un peu prompts… Ce jeune homme pourrait bien n’être pas coupable.
– Monsieur! interrompit Pascal d’un ton menaçant.
– Pardon… laissez-moi finir. La réflexion, je dois l’avouer, n’a fait que confirmer ma première impression et augmenter mes doutes… Diable! me suis-je dit encore, si ce jeune homme est innocent, le coupable est un des habitués de Mme d’Argelès, c’est-à-dire un homme avec qui je joue deux fois par semaine, avec qui je jouerai lundi prochain… c’est grave cela. Et là-dessus l’inquiétude m’a pris et me voici…
La raison saugrenue que le baron donnait de sa visite était-elle la vraie? C’est ce qu’il était assez difficile de discerner.
– Je suis venu, continuait-il, en me disant que bien certainement l’inspection seule de votre intérieur m’apprendrait quelque chose… Et maintenant que j’ai vu, je jurerais que vous êtes tombé dans un abominable guet-apens.
Il se moucha là-dessus, bruyamment, ce qui ne l’empêcha nullement d’observer le jeu muet de Pascal et de sa mère.
Ils étaient stupéfaits; heureux intérieurement de cette déclaration, mais en même temps pleins de défiance. Il n’est pas naturel qu’on s’intéresse ainsi à un malheureux, si on n’y a pas un intérêt quelconque. Quel pouvait être celui de ce singulier visiteur?
Mais lui ne paraissait aucunement déconcerté de la réserve glaciale qui l’accueillait.
– Il est clair, reprit-il, que vous gênez quelqu’un, et que ce quelqu’un a imaginé ce moyen de se défaire de vous. C’est plus sûr qu’un coup de couteau. L’intention m’a sauté aux yeux en lisant dans le journal le paragraphe qui vous concerne. L’avez-vous lu?.. Oui. Eh bien! que vous en semble? Moi, je jurerais que l’article a été rédigé sur une note fournie par votre ennemi… Il y a plus, les détails sont inexacts. Et comme en définitive c’est assez de signer ses méfaits sans endosser les mauvaises actions des autres, je vais écrire un mot de rectification, que je porterai moi-même…
Il dit, et transportant son énorme personne devant le bureau de Paul, il écrivit:
«Monsieur le directeur,
«Témoin de la scène de l’autre soir à l’hôtel d’A… permettez-moi une importante rectification. Il n’est que trop vrai que des portées ont été glissées parmi les cartes, mais qu’elles l’aient été par M. X… c’est ce qui n’est pas prouvé, car on ne l’a pas VU.
«Je sais que les apparences sont contre lui; je ne lui en garde pas moins toute mon estime.
Pendant ce temps, Mme Férailleur et son fils se consultaient du regard. Leur impression était la même. Celui-là ne pouvait être un ennemi.
Lors donc que le baron eut lu à haute voix sa lettre:
– Je ne saurais vous exprimer toute ma reconnaissance monsieur, prononça Pascal, mais puisque vraiment vous voulez me servir, de grâce n’envoyez pas cette note… Elle vous attirerait peut-être des ennuis, et je n’en serais pas moins obligé de renoncer à l’exercice de ma profession… et je voudrais surtout être oublié…
– Soit… je vous comprends… vous espérez atteindre le traître et vous craignez de lui donner l’éveil… j’approuve votre prudence. Mais gardez toujours ma déclaration. Et si jamais il vous faut un coup d’épaule venez sonner à ma porte. Et rappelez-vous que le jour où vous aurez des preuves, je vous fournirai le moyen de rendre votre justification plus éclatante que l’affront…
Il s’apprêtait à se retirer, mais avant de passer la porte:
– A l’avenir, ajouta-t-il, je surveillerai les doigts du joueur placé à ma gauche… Et à votre place, je tâcherais de me procurer la note qui a servi pour l’article… On ne sait pas tout le parti qu’on peut tirer, à un moment donné, d’une page d’écriture…
Le baron sorti, Mme Férailleur se leva.
– Pascal,