Mémoires d'un Éléphant blanc. Gautier Judith

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Mémoires d'un Éléphant blanc - Gautier Judith

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Sa parfaite tranquillité et la façon goguenarde dont il clignait des yeux en me regardant, me rassurèrent; j'eus honte aussi de montrer devant tant de spectateurs moins de courage qu'un autre, à tel point que je fis volte-face, pour reprendre la route, si vivement que l'homme assis sur mon cou n'avait pas eu le temps de me piquer trop fort l'oreille.

      Je dus m'arrêter devant le chef du cortège, qui me saluait et faisait un discours.

      Le grand bruit terrible avait cessé, mais il reprit dès que le personnage se tut; Le cortège, se retournant, me précéda et on se remit en marche. Je vis alors que c'étaient des hommes qui faisaient tout ce tapage; ils secouaient différents objets, tapaient dessus, soufflaient dedans et paraissaient se donner beaucoup de peine. Ce qu'ils faisaient c'était de la musique; je m'y habituai par la suite, et même elle me devint très agréable. Pour l'instant, je n'avais plus peur et tout ce que je voyais m'amusait extrêmement.

      Dans la ville, la foule était plus épaisse encore et la joie plus bruyante; on avait étendu des tapis sur la route que je suivais, les maisons étaient ornées de guirlandes de fleurs, des fenêtres on jettait des fioles de parfum que mon conducteur attrapait au vol et répandait sur moi.

      Pourquoi donc était-on si heureux de me voir? pourquoi me comblait-on de tant d'honneurs? moi que dans ma harde, au contraire, on repoussait et on dédaignait? Je ne pouvais rien me répondre alors; plus tard, je sus que la couleur blanchâtre de ma peau me valait seule tout cet enthousiasme. Ce qui semblait peut-être aux éléphants un défaut, les hommes le jugeaient un avantage extraordinaire, une rareté qui me rendait plus précieux qu'un trésor. Ma présence était un signe de bonheur, de victoire, de prospérité pour le royaume, et l'on me traitait en conséquence.

      Nous étions arrivés sur une grande place, devant un monument magnifique, bien capable de stupéfier un éléphant sauvage, c'était le palais du roi de Siam. Ce palais, je le revis souvent depuis ce jour, en le comprenant mieux, mais toujours avec la même admiration. C'était comme une montagne de neige, taillée en dômes, en grands escaliers couverts de statues peintes, de colonnes incrustées de pierres brillantes et surmontées de globes de cristal qui éblouissaient; des pyramides d'or dépassaient les dômes à plusieurs endroits et des étendards rouges flottaient, je m'aperçus que sur tous était figuré un éléphant blanc.

      Toute la cour, en costume de cérémonie, était debout sur les marches du premier escalier. En haut, sur la plate-forme, de chaque côté d'une porte, rouge et or, des éléphants couverts de belles housses, rangés, huit à droite et huit à gauche, se tenaient immobiles.

      On me fit approcher au pied de l'escalier, lui faisant face, et on m'arrêta là. Un grand silence s'établit; l'on eût dit qu'il n'y avait là personne tant cette foule, tout à l'heure si bruyante, était maintenant muette.

      La porte rouge et or s'ouvrit toute grande, et aussitôt, le peuple entier se prosterna, appuyant le front au sol.

      Le roi de Siam apparaissait.

      Il était porté par quatre porteurs, dans une niche d'or où il était assis, les jambes croisées; sa robe, couverte de pierreries, lançait sans discontinuer des rayons aveuglants; devant lui marchaient de jeunes garçons vêtus de pourpre qui agitaient des éventails de plumes emmanchés à de longues hampes; d'autres portaient des bassins d'argent, hors desquels floconnait la fumée des parfums.

      J'explique tout cela aujourd'hui avec les mots que j'ai appris depuis, mais alors, j'admirais sans comprendre, et j'avais la sensation de voir toutes les étoiles du ciel nocturne en même temps que le soleil du jour et les fleurs du plus beau printemps.

      Les porteurs du roi descendaient les marches en face de moi: Sa Majesté approchait. Alors, mon conducteur me piqua l'oreille et mon compagnon, me frappant les jambes de sa trompe, m'indiqua que je devais m'agenouiller.

      Je le fis volontiers devant cette splendeur, qui me semblait devoir brûler celui qui y toucherait.

      Le roi inclina légèrement la tête; il m'avait salué! Je sus par la suite que seul j'étais honoré d'une pareille faveur et j'appris vite à rendre au roi son salut, ou plutôt, à le saluer le premier.

      Sa Majesté m'adressa quelques paroles, qui ne furent pour moi qu'un bruit agréable. Il me donna le nom de ce "Roi magnanime", avec le titre de mandarin de première classe, puis il posa sur mon front une chaîne d'or et de pierres précieuses. Il rentra ensuite dans son palais. Les assistants, toujours prosternés jusque-là, se relevèrent d'un seul mouvement, et avec des sauts et des cris de joie, m'accompagnèrent vers mon palais, à moi, où l'on allait m'installer.

      C'était dans un jardin au milieu d'une vaste pelouse que s'élevait ce palais. Les murs étaient en bois de santal et les larges toitures débordaient tout autour; vernies en rouge, elles luisaient au soleil avec çà et là des globes de cuivre et des têtes d'éléphants sculptées.

      On me fit entrer dans une salle immense, si haute que les poutrelles rouges qui s'enchevêtraient au faîte, me rappelèrent les branchages de la forêt natale, quand le soleil du soir les empourprait.

      Un vieil éléphant blanc se promenait lentement dans la salle. Dès qu'il m'aperçut il s'avança vers moi, en agitant ses oreilles pour me faire fête. Ses défenses étaient ornées d'anneaux d'or garnis de clochettes et il avait sur le front une couronne pareille à celle que le roi m'avait mise.

      Tout cela ne l'embellissait guère; sa peau était ridée et gercée, avec des taches grises comme de la terre sèche; des rougeurs aux aisselles et autour des yeux. Ses défenses étaient jaunies et cassées et il avait peine à se mouvoir. Cependant il paraissait aimable et je répondis à sa politesse.

      Mon conducteur descendit de mon cou, tandis que des officiers et des serviteurs se prosternaient devant moi, comme j'avais vu qu'on le faisait devant le souverain lui-même. Puis ils me conduisirent devant une haute table de marbre où, dans des bassins d'or et d'argent, des bananes, des cannes à sucre, toutes sortes de fruits délicieux, des herbes choisies, des gâteaux, du riz, du beurre fondu, étaient offerts à mon appétit.

      Quel régal!

      Ah! j'aurais voulu que ceux de ma harde, qui paraissaient tant faire fi de moi, vissent de quelle façon on me traitait parmi les hommes.

      L'orgueil se levait dans mon cœur et je ne regrettais plus, déjà, la forêt sauvage et la liberté.

      Chapitre IV

      ROYAL ÉLÉPHANT DE SIAM

      Prince-Formidable – ainsi était nommé le vieil éléphant, mon compagnon – couché non loin de moi sur la litière odorante, me contait un peu de sa vie, et m'enseignait mes devoirs de royal éléphant de Siam.

      – Il y a plus de cent ans que je suis ici, disait-il; je suis très vieux et malade, malgré les singes blancs que vous voyez gambader là-haut dans les poutres. Ils sont là pour nous préserver des mauvaises influences et des maladies; cependant tous ceux qui étaient avec moi dans ce palais sont morts à quelques jours de distance d'un mal qu'ils prenaient l'un de l'autre, et moi, le plus vieux, je survis.

      Voilà plusieurs années que je suis seul, et le désespoir était grand à la cour de ne plus posséder qu'un éléphant blanc et de ne pas en découvrir d'autres, malgré les battues continuelles que l'on faisait dans les forêts. On disait que de grands malheurs menaçaient le royaume et votre arrivée a dû être une fête pour tout le pays.

      – Pourquoi donc nous considère-t-on avec tant de respect? demandai-je, qu'avons-nous d'extraordinaire? Parmi les éléphants, au contraire, on semble nous mépriser.

      – J'ai

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