La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre

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admirable bon sens, d'apprécier tout ce que l'action du général Mack avait de ridicule forfanterie, et, avec son sourire narquois, il murmura dans son patois napolitain, qu'il savait inintelligible pour tout homme qui n'était pas né au pied du Vésuve, ce seul mot:

      – Ceuza!

      Nous voudrions bien traduire cette espèce d'interjection échappée aux lèvres du roi Ferdinand; mais elle n'a malheureusement pas d'équivalent dans la langue française. Contentons-nous de dire qu'elle tient à peu près le milieu entre fat et imbécile.

      Mack, qui, en effet, n'avait pas compris et qui attendait, l'épée à la main, que le roi acceptât son serment, se retourna assez embarrassé vers la reine.

      – Je crois, dit Mack à la reine, que Sa Majesté m'a fait l'honneur de m'adresser la parole.

      – Sa Majesté, répondit la reine sans se déconcerter, vous a, général, par un seul mot plein d'expression, témoigné sa reconnaissance.

      Mack s'inclina, et, tandis que la figure du roi conservait son expression de railleuse bonhomie, remit majestueusement son épée au fourreau.

      – Et maintenant, dit le roi lancé sur cette pente moqueuse qu'il aimait tant à suivre, j'espère que mon cher neveu, en m'envoyant un de ses meilleurs généraux pour renverser cette infâme république française, m'a en même temps envoyé un plan de campagne arrêté par le conseil aulique.

      Cette demande, faite avec une naïveté parfaitement jouée, était une nouvelle raillerie du roi, le conseil aulique ayant élaboré les plans de la campagne de 96 et de 97, plans sur lesquels les généraux autrichiens et l'archiduc Charles lui-même avaient été battus.

      – Non, sire, répondit Mack, j'ai demandé à Sa Majesté l'empereur, mon auguste maître, carte blanche à ce sujet.

      – Et il vous l'a accordée, je l'espère? demanda le roi.

      – Oui, sire, il m'a fait cette grâce.

      – Et vous allez vous en occuper sans retard, n'est-ce pas, mon cher général? car j'avoue que j'en attends avec impatience la communication.

      – C'est chose faite, répondit Mack avec l'accent d'un homme parfaitement satisfait de lui-même.

      – Ah! dit Ferdinand redevenant de bonne humeur, selon sa coutume, quand il trouvait quelqu'un à railler, vous l'entendez, messieurs. Avant même que le citoyen Garat nous eût déclaré la guerre au nom de l'infâme république française, l'infâme république française, grâce au génie de notre général en chef, était déjà battue. Nous sommes véritablement sous la protection de Dieu et de saint Janvier. Merci, mon cher général, merci.

      Mack, tout gonflé du compliment qu'il prenait à la lettre, s'inclina devant le roi.

      – Quel malheur, s'écria celui-ci, que nous n'ayons point là une carte de nos États et des États romains, pour suivre les opérations du général sur cette carte. On dit que le citoyen Buonaparte a, dans son cabinet de la rue Chantereine, à Paris, une grande carte sur laquelle il désigne d'avance à ses secrétaires et à ses aides de camp les points sur lesquels il battra les généraux autrichiens; le baron nous eût désigné d'avance ceux sur lesquels il battra les généraux français. Tu feras faire pour le ministère de la guerre, et tu mettras à la disposition du baron Mack, une carte pareille à celle du citoyen Buonaparte, tu entends, Ariola?

      – Inutile de prendre cette peine, sire, j'en ai une excellente.

      – Aussi bonne que celle du citoyen Buonaparte? demanda le roi.

      – Je le crois, répondit Mack d'un air satisfait.

      – Où est-elle, général? reprit le roi, où est-elle? Je meurs d'envie de voir une carte sur laquelle on bat l'ennemi d'avance.

      Mack donna à un huissier l'ordre de lui apporter son portefeuille, qu'il avait laissé dans la chambre voisine.

      La reine, qui connaissait son auguste époux et qui n'était point dupe des compliments affectés qu'il faisait à son protégé, craignant que celui-ci ne s'aperçût qu'il servait de quintaine à l'humeur caustique du roi, objecta que ce n'était peut-être pas le moment de s'occuper de ce détail; mais Mack, ne voulant point perdre l'occasion de faire admirer par trois ou quatre généraux présents sa science stratégique, s'inclina en manière de respectueuse insistance, et la reine céda.

      L'huissier apporta un grand portefeuille sur lequel étaient imprimés en or, d'un côté les armes de l'Autriche, et de l'autre côté le nom et les titres du général Mack.

      Celui-ci en tira une grande carte des États romains avec leurs frontières, et l'étendit sur la table du conseil.

      – Attention, mon ministre de la guerre! attention, messieurs mes généraux! dit le roi. Ne perdons pas un mot de ce que va nous dire le baron. Parlez, baron; on vous écoute.

      Les officiers se rapprochèrent de la table avec une vive curiosité; le baron Mack possédait, on ne savait pourquoi à cette époque, et on ne l'a même jamais su depuis, la réputation de l'un des premiers stratégistes du monde.

      La reine, au contraire, ne voulant point avoir part à ce quelle regardait comme une mystification de la part du roi, se retira un peu à l'écart.

      – Comment! madame, dit le roi, au moment où le baron consent à nous dire où il battra ces républicains que vous détestez tant, vous vous éloignez!

      – Je n'entends rien à la stratégie, monsieur, répondit aigrement la reine; et peut-être, continua-t-elle en désignant de la main le cardinal Ruffo, prendrais-je la place de quelqu'un qui s'y entend.

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