La Main Gauche. Guy de Maupassant
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Читать онлайн книгу La Main Gauche - Guy de Maupassant страница 6
Je répétai, la main levée comme sur un chien.
– D'où viens-tu?
Elle murmura:
– De là-bas!
– D'où?
– De la tribu!
– De quelle tribu?
– De la mienne.
– Pourquoi es-tu partie?
Voyant que je ne la battais point, elle s'enhardit un peu, et, à voix basse:
– Il fallait… il fallait… je ne pouvais plus vivre dans la maison.
Je vis des larmes dans ses yeux, et tout de suite, je fus attendri comme une bête. Je me penchai vers elle, et j'aperçus, en me retournant pour m'asseoir, Mohammed qui nous épiait, de loin.
Je repris, très doucement:
– Voyons, dis-moi pourquoi tu es partie?
Alors elle me conta que depuis longtemps déjà elle éprouvait en son coeur de nomade, l'irrésistible envie de retourner sous les tentes, de coucher, de courir, de se rouler sur le sable, d'errer, avec les troupeaux, de plaine en plaine, de ne plus sentir sur sa tête, entre les étoiles jaunes du ciel et les étoiles bleues de sa face, autre chose que le mince rideau de toile usée et recousue à travers lequel on aperçoit des grains de feu quand on se réveille dans la nuit.
Elle me fit comprendre cela en termes naïfs et puissants, si justes, que je sentis bien qu'elle ne mentait pas, que j'eus pitié d'elle, et que je lui demandai:
– Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu désirais t'en aller pendant quelque temps?
– Parce que tu n'aurais pas voulu…
– Tu m'aurais promis de revenir et j'aurais consenti.
– Tu n'aurais pas cru.
Voyant que je n'étais pas fâché, elle riait, et elle ajouta:
– Tu vois, c'est fini, je suis retournée chez moi et me voici. Il me fallait seulement quelques jours de là-bas. J'ai assez maintenant, c'est fini, c'est passé, c'est guéri. Je suis revenue, je n'ai plus mal. Je suis très contente. Tu n'es pas méchant.
– Viens à la maison, lui dis-je.
Elle se leva. Je pris sa main, sa main fine aux doigts minces; et triomphante en ses loques, sous la sonnerie de ses anneaux, de ses bracelets, de ses colliers et de ses plaques, elle marcha gravement vers ma demeure, où nous attendait Mohammed.
Avant d'entrer, je repris:
– Allouma, toutes les fois que tu voudras retourner chez toi, tu me préviendras et je te le permettrai.
Elle demanda, méfiante:
– Tu promets?
– Oui, je promets.
– Moi aussi, je promets. Quand j'aurai mal – et elle posa ses deux mains sur son front avec un geste magnifique – je te dirai: «Il faut que j'aille là-bas» et tu me laisseras partir.
Je l'accompagnai dans sa chambre, suivi de Mohammed qui portait de l'eau, car on n'avait pu prévenir encore la femme d'Abd-el-Kader-el-Hadara du retour de sa maîtresse.
Elle entra, aperçut l'armoire à glace et, la figure illuminée, courut vers elle comme on s'élance vers une mère retrouvée. Elle se regarda quelques secondes, fit la moue, puis d'une voix un peu fâchée, dit au miroir:
– Attends, j'ai des vêtements de soie dans l'armoire. Je serai belle tout à l'heure.
Et je la laissai seule, faire la coquette devant elle-même.
Notre vie recommença comme auparavant et, de plus en plus, je subissais l'attrait bizarre, tout physique, de cette fille pour qui j'éprouvais en même temps une sorte de dédain paternel.
Pendant six mois tout alla bien, puis je sentis qu'elle redevenait nerveuse, agitée, un peu triste. Je lui dis, un jour:
– Est-ce que tu veux retourner chez toi?
– Oui, je veux.
– Tu n'osais pas me le dire?
– Je n'osais pas.
– Va, je permets.
Elle saisit mes mains et les baisa comme elle faisait en tous ses élans de reconnaissance, et, le lendemain, elle avait disparu.
Elle revint, comme la première fois, au bout de trois semaines environ, toujours déguenillée, noire de poussière et de soleil, rassasiée de vie nomade, de sable et de liberté. En deux ans elle retourna ainsi quatre fois chez elle.
Je la reprenais gaîment, sans jalousie, car pour moi la jalousie ne petit naître que de l'amour, tel que nous le comprenons chez nous. Certes, j'aurais fort bien pu la tuer si je l'avais surprise me trompant, mais je l'aurais tuée un peu comme on assomme, par pure violence, un chien qui désobéit. Je n'aurais pas senti ces tourments, ce feu rongeur, ce mal horrible, la jalousie du Nord. Je viens de dire que j'aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui désobéit! Je l'aimais en effet, un peu comme on aime un animal très rare, chien ou cheval, impossible à remplacer. C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir, qui avait un corps de femme.
Je ne saurais vous exprimer quelles distances incommensurables séparaient nos âmes, bien que nos coeurs, peut-être, se fussent frôlés, échauffés l'un l'autre, par moments. Elle était quelque chose de ma maison, de ma vie, une habitude fort agréable à laquelle je tenais et qu'aimait en moi l'homme charnel, celui qui n'a que des yeux et des sens.
Or, un matin Mohammed entra chez moi avec une figure singulière, ce regard inquiet des arabes qui ressemble au regard fuyant d'un chat en face d'un chien.
Je lui dis, en apercevant cette figure.
– Hein? qu'y a-t-il?
– Allouma il est parti.
Je me mis à rire.
– Parti, où ça?
– Parti tout à fait, moussié!
– Comment, parti tout à fait?
– Oui, moussié.
– Tu es fou, mon garçon?
– Non, moussié.
– Pourquoi ça parti? Comment? Voyons? Explique-toi!
Il demeurait immobile, ne voulant pas parler; puis, soudain il eut une de ces explosions de colère arabe qui nous arrêtent dans les rues des villes devant deux énergumènes, dont le silence et la gravité orientales font place brusquement aux plus extrêmes gesticulations et aux vociférations les plus féroces.
Et je compris au milieu de ces cris qu'Allouma