Lourdes. Emile Zola

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Lourdes - Emile Zola

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attendez, répétait-elle. Laissez-moi passer la première, je veux voir si tout est fini.

      Puis, lorsqu'elle fut remontée dans l'autre compartiment, elle souleva la tête de l'homme, crut d'abord en effet qu'il avait passé, en le voyant si blême et les yeux vides. Mais elle sentit un petit souffle.

      – Non, non, il respire. Vite, il faut se dépêcher.

      Et, se tournant vers l'autre sœur, celle qui était à ce bout du wagon:

      – Je vous en prie, sœur Claire des Anges, courez chercher le père Massias qui doit être dans la troisième ou la quatrième voiture. Dites-lui que nous avons un malade en grand danger, et qu'il apporte tout de suite les Saintes Huiles.

      Sans répondre, la sœur disparut, parmi la bousculade. Elle était petite, fine et douce, l'air recueilli, avec des yeux de mystère, très active pourtant.

      Pierre qui suivait la scène, debout dans l'autre compartiment, se permit une réflexion.

      – Si l'on allait aussi chercher le médecin?

      – Sans doute, j'y songeais, répondit sœur Hyacinthe. Oh! monsieur l'abbé, que vous seriez gentil d'y courir vous-même!

      Justement, Pierre se proposait d'aller, au fourgon de la cantine, demander un bouillon pour Marie. Soulagée un peu, depuis qu'elle n'était plus secouée, la malade avait rouvert les yeux et s'était fait asseoir par son père. Elle aurait bien voulu qu'on la descendît un instant sur le quai, dans son ardente soif d'air pur. Mais elle sentit que ce serait trop demander, qu'on aurait trop de peine pour la remonter ensuite. M. de Guersaint, qui avait déjeuné dans le train, ainsi que la plupart des pèlerins et des malades, demeura sur le trottoir, près de la portière ouverte, à fumer une cigarette, pendant que Pierre courait au fourgon de la cantine, où se trouvait également le médecin de service, avec une petite pharmacie.

      Dans le wagon, d'autres malades aussi restèrent, qu'on ne pouvait songer à remuer. La Grivotte étouffait et délirait; et elle retint même madame de Jonquière, qui avait donné rendez-vous, au buffet, à sa fille Raymonde, à madame Volmar et à madame Désagneaux, pour y déjeuner toutes les quatre. Comment laisser seule, sur la dure banquette, cette malheureuse qu'on aurait cru à l'agonie? Marthe non plus n'avait pas bougé, ne quittant pas son frère, le missionnaire, dont la plainte faible continuait. Cloué à sa place, M. Sabathier attendait madame Sabathier, qui était allée lui chercher une grappe de raisin. Les autres, ceux qui marchaient, venaient de se bousculer pour descendre, ayant la hâte de fuir un moment ce wagon de cauchemar, où leurs membres s'engourdissaient, depuis sept grandes heures déjà qu'on était parti. Madame Maze, tout de suite, s'écarta, gagna l'un des bouts déserts de la gare, égarant là sa mélancolie. Hébétée de souffrance, madame Vêtu, après avoir eu la force de faire quelques pas, se laissa tomber sur un banc, au grand soleil, dont elle ne sentait pas la brûlure; pendant qu'Élise Rouquet, qui s'était remmailloté la face dans son fichu noir, cherchait partout une fontaine, dévorée d'un désir d'eau fraîche. À pas ralentis, madame Vincent promenait sur ses bras sa petite Rose, tâchant de lui sourire, de l'égayer en lui montrant des images violemment coloriées, que l'enfant, grave, regardait sans voir.

      Cependant, Pierre avait toutes les peines du monde à se frayer un chemin, au milieu de la foule qui noyait le quai. C'était inimaginable, le flot vivant, les éclopés et les gens valides, que le train avait vidé là, plus de huit cents personnes qui couraient, s'agitaient, s'étouffaient. Chaque wagon avait lâché sa misère, ainsi qu'une salle d'hôpital qu'on évacue; et l'on jugeait quelle somme effrayante de maux transportait ce terrible train blanc, qui finissait par avoir, sur son passage, une légende d'effroi. Des infirmes se traînaient, d'autres étaient portés, beaucoup restaient en tas sur le trottoir. Il y avait des poussées brusques, de violents appels, une hâte éperdue vers le buffet et la buvette. Chacun se pressait, allait à son affaire. C'était si court, cet arrêt d'une demi-heure, le seul qu'on dût avoir avant Lourdes! Et l'unique gaieté, au milieu des soutanes noires, des pauvres gens en vêtements usés, sans couleur précise, était la blancheur riante des petites sœurs de l'Assomption, toutes blanches et actives, avec leur cornette, leur guimpe et leur tablier de neige.

      Lorsque, enfin, Pierre arriva au fourgon de la cantine, vers le milieu du train, il le trouva déjà assiégé. Un fourneau à pétrole était là, ainsi que toute une petite batterie de cuisine, sommaire. Le bouillon, fait avec des jus concentrés, chauffait dans des bassines de fer battu; et le lait réduit, en boîtes d'un litre, n'était délayé et utilisé qu'au fur et à mesure des besoins. Quelques autres provisions occupaient une sorte d'armoire, des biscuits, des fruits, du chocolat. Mais, devant les mains avides qui se tendaient, la sœur Saint-François, chargée du service, une femme de quarante-cinq ans, courte et grasse, à bonne figure fraîche, perdait un peu la tête. Elle dut continuer sa distribution, en écoutant Pierre qui appelait le médecin, installé dans un autre compartiment du fourgon, avec sa pharmacie de voyage. Puis, comme le jeune prêtre donnait des explications, parlait du malheureux qui se mourait, elle se fit remplacer, elle voulut aller le voir, elle aussi.

      – Ma sœur, c'est que je venais vous demander un bouillon pour une malade.

      – Eh bien! monsieur l'abbé, je vais le porter. Marchez devant.

      Ils se dépêchèrent, les deux hommes échangeant des questions et des réponses rapides, suivis par la sœur Saint-François qui portait le bol de bouillon, pleine de prudence, au milieu des coudoiements de la foule. Le médecin était un garçon brun, d'environ vingt-huit ans, robuste, très beau, avec une tête de jeune empereur romain, comme il en pousse encore aux champs brûlés de Provence. Dès que sœur Hyacinthe l'aperçut, elle eut une surprise, une exclamation.

      – Comment! c'est vous, monsieur Ferrand?

      Tous deux restaient ébahis de la rencontre. Les sœurs de l'Assomption ont la mission brave de soigner les malades, uniquement les malades pauvres, ceux qui ne peuvent payer, qui agonisent dans les mansardes; et elles passent ainsi leur existence avec les indigents, s'établissent près du grabat, dans l'étroite pièce, donnent les soins les plus intimes, font la cuisine, le ménage, vivent là en servantes et en parentes, jusqu'à la guérison ou jusqu'à la mort. C'était de la sorte que sœur Hyacinthe, si jeune, avec son visage de lait où ses yeux bleus riaient sans cesse, s'installa un jour chez ce garçon, alors étudiant, en proie à une fièvre typhoïde, et d'une telle pauvreté, qu'il habitait rue du Four une espèce de grenier, en haut d'une échelle, sous les toits. Elle ne l'avait plus quitté, l'avait sauvé, avec sa passion de ne vivre que pour les autres, en fille trouvée autrefois à la porte d'une église, n'ayant d'autre famille que celle des souffrants, à qui elle se vouait, de tout son brûlant besoin d'aimer. Et quel mois adorable, quelle exquise camaraderie ensuite, dans cette pure fraternité de la souffrance! Quand il l'appelait «ma sœur», c'était vraiment à sa sœur qu'il parlait. Elle était une mère aussi, le levait, le couchait comme son enfant, sans que rien autre chose grandît entre eux qu'une pitié suprême, le divin attendrissement de la charité. Toujours elle se montrait gaie, sans sexe, sans autre instinct que de soulager et de consoler; et lui l'adorait, la vénérait, et il avait gardé d'elle le plus chaste et le plus passionné des souvenirs.

      – Oh! sœur Hyacinthe! sœur Hyacinthe! murmura-t-il, ravi.

      Un hasard seul les remettait face à face, car Ferrand n'était pas un croyant, et s'il se trouvait là, c'était qu'à la dernière minute, il avait bien voulu remplacer un ami, brusquement empêché de partir. Depuis une année bientôt, il était interne à la Pitié. Ce voyage à Lourdes, dans des conditions si particulières, l'intéressait.

      Mais la joie de se revoir leur faisait oublier l'homme. Et la sœur se reprit.

      – Voyez donc, monsieur Ferrand, c'est pour ce pauvre homme. Nous l'avons

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