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style="font-size:15px;">      – Je voudrais que la nature s'associât davantage à nos impressions: cette tristesse du ciel pèse à mon âme joyeuse.

      – Enfant, si le bon Dieu, à ta requête, déchirait tout à coup les voiles de la brume, la splendeur du soleil offenserait peut-être comme une ironie quelque cœur blessé.

      – C'est vrai, ma tante; mais je n'ai pu, ce matin, me défendre de cette impression nerveuse.

      – Bah! sir Benedict Arundell aura bientôt dissipé cette mélancolie, répliqua lady Eleanor Braybrooke avec ce sourire équivoque et ridé dont les personnes d'âge ne sont pas assez ménagères.

      Un roulement de voiture se fit entendre sous la fenêtre, et, bientôt après, sir Benedict Arundell parut.

      Il était mis avec cette simplicité correcte, cette perfection exquise et n'attirant jamais l'œil qui caractérisent le parfait gentleman, et dont les Anglais possèdent seuls le secret: il avait évité le ridicule presque insurmontable de l'habit de noce, et cependant il n'y avait dans son costume aucune infraction à la solennité de la circonstance.

      Sir Benedict Arundell, suivant l'usage, ne portait ni barbe, ni moustache, ni royale, ni aucun de ces ornements qui hérissent les visages continentaux; seulement, sa figure lisse et polie était entourée de favoris châtains et passés au fer, qu'un artiste, amant du pittoresque, eût trouvés trop réguliers, mais qui eussent assurément obtenu l'approbation de feu Brummel et du comte d'Orsay.

      Il avait ces traits d'Atinoüs un peu allongés et refroidis que présentent assez fréquemment les belles races d'Angleterre, et sa tête semblait la copie de quelque dieu grec faite par Westmacott ou Chantrey.

      On n'aurait pu rêver un couple mieux assorti.

      Le nuage qui couvrait le front d'Amabel se dissipa à l'aspect de son fiancé. Les yeux bleus de Benedict contenaient assez d'azur pour en faire un ciel. Une joie pure illumina les traits charmants de la jeune fille, qui tendit sa main aux lèvres de Benedict.

      Les yeux gris de lady Eleanor Braybrooke pétillèrent à ce tableau, qui rappelait sans doute une scène analogue où elle avait joué un rôle, mais déjà enfoncée dans un passé si lointain, qu'il fallait assurément une excellente mémoire pour s'en souvenir.

      – Voilà pourtant comme nous étions, murmura lady Eleanor, ce brave sir George-Alan Braybrooke et moi, il y a vingt ans, à peu près!

      Cet à peu près était assez énigmatique; mais lady Eleanor n'aimait pas à formuler précisément, même à part soi, des dates qui auraient donné le chiffre exact de son âge. Ce rapprochement intérieur ne pouvait être juste que pour la bonne dame; car, jeune, elle n'avait pas eu même la beauté du diable, et sir George-Alan Braybrooke, long, sec, roide, osseux, avec son menton carré, son nez à la Wellington, et sa bouche en estafilade, n'avait jamais ressemblé, même dans le temps de ses amours, à l'élégant Benedict Arundell.

      – Allons, mes enfants, reprit lady Eleanor, il est temps de partir; le chapelain a déjà dû revêtir son surplis, et les invités arrivent en foule.

      Elle monta dans sa voiture avec Amabel, et Benedict prit place dans la sienne avec William Bautry, un de ses camarades.

      Les cochers, poudrés, enrubanés, ornés d'énormes bouquets, la face écarlate et cardinalisée par de nombreuses libations préalables à la santé des futurs époux et de leur descendance, ajustèrent les guides dans leurs mains avec un air de maestria incomparable, clappèrent de la langue, touchèrent leurs chevaux du bout de la mèche, et le cortège partit pour l'église.

      Le soleil avait fait d'inutiles efforts pour dissiper les vapeurs rabattues par le vent d'ouest sur la ville de Londres, et son disque pâli et sans rayons faisait à peine deviner la place qu'il occupait dans le ciel par une tache livide plus semblable à la face malade de la lune qu'au visage étincelant de l'astre du jour. Les lanternes où le gaz attardé dardait encore ses jets versaient une lumière presque aussitôt étouffée.

      A quelque distance, les objets estompés se contournaient en formes étranges et fantastiques, les voitures avaient l'air de léviathans et de behemots, les passants incertains de géants et de fantômes, les murailles sombres des édifices prenaient des apparences de babels et de lylacqs, et il fallait toute l'habitude des cochers pour ne pas se perdre dans cet air opaque où mouraient les vibrations sonores, et qui semblait avoir ouaté les rues avec le duvet des nuages.

      La chapelle où le mariage devait se célébrer était Sainte-Margareth, édifice dans le style ogival normand, avec une tour carrée, de puissants contre-forts, une immense fenêtre quadrilobée; construction lugubre d'aspect, aux murailles noires comme de l'ébène, dont les nervures lavées par la pluie, avaient l'air, en tout temps, d'être couvertes de neige, assise au milieu d'un cimetière sans verdure et parsemé de tombes dont la forme, rappelant vaguement celle du cadavre, avait quelque chose de sinistre et d'horrible; une grille que la poussière du charbon de terre, tamisée par les cent mille cheminées de Londres, avait rendue plus enfumée que les soupiraux de l'enfer, entourait ce champ de repos que l'agitation immédiate de la ville rendait encore plus morne.

      La haute tour enfonçait dans la brume sa couronne de clochetons invisibles et semblait décapitée; le porche, fuligineux et sombre comme la voûte d'un four, ouvrant son arcade béante, avait l'air de la gueule d'une orque ou de quelque autre bête démesurée soufflant de la fumée par les mâchoires. Le brouillard, qui baignait l'arceau gigantesque, produisait l'effet de l'haleine de ce monstre architectural.

      Certes, sans être superstitieux, un jeune couple pouvait, à l'aspect de cette église lugubre, concevoir quelques craintes pour son bonheur futur. Le frisson vous tombait invinciblement sur les épaules en franchissant cette voûte, plus obscure que celle de l'Érèbe, et qui ne laissait trembloter au bout de sa profondeur aucun rayon de jour, aucune étoile d'espérance.

      Assurément, il eût été injuste de demander à une vieille et rigide église protestante à Londres, à la fin de septembre, un jour de brouillard, l'aspect heureux et gai d'un temple antique déroulant la théorie de ses colonnes blondes sur l'azur d'un ciel athénien; mais, en vérité, ce matin-là, Sainte-Magareth avait plus la mine d'une crypte sépulcrale bonne à recevoir les morts que d'une église à bénir le mariage de deux époux amoureux.

      – Eh bien, disait dans la voiture sir William Bautry à son ami Benedict Arundell, c'est donc vrai, tu te maries, à vingt-quatre ans, à la fleur de l'âge, lorsqu'une si longue carrière de plaisirs et de fantaisies était encore ouverte devant toi!

      – A vingt-quatre ans, tu l'as dit, cher William; le mariage est une folie qu'on ne doit faire que jeune.

      – Je suis assez de ton avis, et, d'ailleurs, Amabel justifie une résolution si prompte; mais, lorsque nous étions à l'université de Cambridge, il n'était guère facile de prévoir que tu serais le premier de notre joyeuse bande qui se laisserait prendre dans le traquenard de l'hymen.

      Pendant que sir William Bautry et sir Benedict Arundell s'entretenaient ainsi en roulant vers l'église de Sainte-Margareth, un homme sorti de la rue adjacente se glissa sous le porche sombre, et se tint adossé contre la muraille entre deux colonnettes, comme la statue de pierre d'un saint.

      Cet homme était coiffé d'un chapeau à larges bords enfoncé jusqu'aux yeux, et le pan d'un manteau de voyage rejeté sur l'épaule voilait le bas de sa figure. Ce qu'on en pouvait distinguer annonçait des traits réguliers brunis par le soleil d'autres cieux.

      Au bout de quelques minutes d'immobilité rêveuse, il dégagea une main des plis de son manteau,

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