Le magasin d'antiquités, Tome II. Чарльз Диккенс
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Читать онлайн книгу Le magasin d'antiquités, Tome II - Чарльз Диккенс страница 10
Les deux soeurs étaient retournées à leur logis, et Nelly était seule. Elle leva ses yeux vers les brillantes étoiles qui projètent une si douce clarté du haut des vastes espaces du ciel; à mesure qu'elle les contemplait, de nouvelles étoiles lui apparaissaient, puis d'autres au delà, puis d'autres encore, jusqu'à ce que toute l'étendue fût diamantée d'astres rayonnants de plus en plus élevés dans l'incommensurable infini, éternels dans leur multiplicité comme dans leur ordre immuable et indestructible. Nelly se pencha vers la rivière calme et limpide, et là elle vit les étoiles reluire dans leur même ordre, telles qu'au temps du déluge la colombe les vit se refléter dans les eaux débordées et profondes d'un million de lieues, bien au-dessus du sommet des montagnes, au-dessus du genre humain qui avait péri presque tout entier.
L'enfant s'assit en silence sous un arbre: la beauté de la nuit et toutes les merveilles qu'elle étale la frappaient d'une admiration muette. L'heure, le lieu éveillèrent ses réflexions: avec une espérance douce, moins d'espérance peut-être que de résignation, elle évoqua le passé, le présent et ce que l'avenir lui gardait en réserve. Entre elle et le vieillard il s'était opéré par degrés une séparation plus pénible à supporter qu'aucun des chagrins d'autrefois. Chaque soir, souvent même dans le jour, il s'absentait, il s'en allait seul; et bien que Nelly sût où il allait et pourquoi il s'absentait, car les yeux hagards de son grand-père et les appels constants qu'il faisait à sa pauvre bourse épuisée étaient de trop sûrs indices, cependant le vieillard évitait toute question, se renfermait dans une réserve entière et fuyait même la présence de sa petite-fille.
Nelly, assise à l'écart, méditait donc sur ce changement avec une tristesse empreinte de la teinte mélancolique que la nuit répandait autour d'elle, lorsqu'au loin l'horloge d'une église sonna neuf heures. Nelly se leva, se remit à marcher et se dirigea pensive vers la ville.
Elle avait atteint un petit pont de bois jeté au-dessus du courant, quand elle aperçût tout à coup, sur la prairie qu'elle devait prendre, une lumière rouge, et, regardant avec plus d'attention, reconnut qu'elle partait, selon toute apparence, d'un camp de bohémiens qui avaient allumé un feu à une petite distance du chemin, et s'étaient assis ou couchés tout autour. Trop pauvre pour avoir rien à craindre d'eux, Nelly continua son chemin. Il lui eût fallu d'ailleurs, pour en prendre un autre, allonger considérablement sa route; seulement elle ralentit son pas.
Quand elle fut proche du feu du bivouac, un mouvement de curiosité timide la poussa à y jeter un regard. Entre elle et le foyer il y avait une figure dont le contour se dessinait en courbe marquée vers le feu. À cette vue, Nelly s'arrêta brusquement; mais après avoir réfléchi et s'être dit, ou même s'être assurée, à ce qu'elle croyait, que ce n'était ni ne pouvait être la personne qu'elle avait supposée, elle passa outre.
Cependant l'entretien qui avait été entamé devant le feu des bohémiens reprit son cours; et Nelly, bien qu'elle ne pût distinguer les paroles, fut alors frappée du son de voix de celui qui parlait, une voix qui lui était aussi familière que la sienne même.
Elle se retourna et regarda derrière elle. La personne que cherchaient ses yeux venait de se lever, et, debout, le corps un peu incliné, elle s'appuyait sur un bâton qu'elle tenait à deux mains. Cette attitude n'était pas moins connue de Nelly que le son de la voix.
C'était son grand-père.
Le premier mouvement de l'enfant fut d'appeler le vieillard; le second, de se demander quels pouvaient être ses compagnons et dans quelle intention ils se trouvaient là réunis, une crainte vague d'abord, puis le désir violent d'éclaircir ses doutes, rapprocha Nelly du groupe présent à ses yeux: toutefois elle eut soin de dissimuler ses pas, et de se glisser le long d'une haie.
Elle put de là arriver jusqu'à quelques pieds seulement du bivouac, et, cachée entre de jeunes arbres, voir et entendre à la fois sans craindre d'être aperçue.
Là il n'y avait ni femmes ni enfants, comme elle en avait remarqué dans d'autres camps de bohémiens devant lesquels elle avait passé avec son grand-père durant leur vie errante: ce qu'elle vit seulement, ce fut un gipsy d'une taille athlétique, qui se tenait à peu de distance les bras croisés, appuyé contre un arbre, et tantôt regardait le feu, tantôt fixait ses noires prunelles sur trois autres hommes qui entouraient le foyer et dont il suivait la conversation avec un intérêt constant mais déguisé. Parmi ces trois hommes était son grand-père: dans les deux autres, Kelly reconnut les joueurs de cartes qu'elle avait vus dans l'auberge pendant la trop mémorable nuit d'orage, celui qu'on appelait Isaac List, et son sinistre compagnon. Une de ces tentes basses et cintrées en usage chez les bohémiens était fixée non loin de là, mais elle était, ou du moins elle paraissait vide.
«Eh bien, partez-vous? dit le gros homme, levant son regard de la place où il était étendu à l'aise, pour le fixer sur le visage du vieillard. Il n'y a qu'une minute, vous étiez si pressé! Partez, si cela vous plaît. Vous en êtes bien maître, il me semble.
– Ne le tourmentez pas, répliqua Isaac List, qui était accroupi comme une grenouille de l'autre côté du feu, avec un regard louche et faux. Cet homme ne voulait pas vous insulter.
– Vous me ruinez, vous me dépouillez, et après cela vous vous faites un jeu de me railler, dit le vieillard s'adressant tour à tour à l'un et à l'autre. Vous voulez donc me rendre fou?»
Le contraste qu'il y avait entre la prostration complète et la faiblesse d'esprit de cet enfant à tête grise, et les regards astucieux et pervers des hommes aux mains desquels il était tombé, frappa le coeur de la jeune créature qui était là aux écoutes. Mais elle se contint pour veiller à tout ce qui se passait sans perdre un regard, une parole.
«Que le diable vous emporte! Qu'est-ce que vous entendez par là? dit le gros homme, se soulevant un peu et s'appuyant sur un de ses coudes. On vous ruine! vous nous ruineriez si vous le pouviez, n'est-il pas vrai? Voilà ce que c'est que d'avoir affaire à de méchants petits joueurs qui ne savent que pleurnicher. Si vous perdez, vous êtes des martyrs; mais quand vous gagnez, c'est différent. On vous dépouille!.. ajouta-t-il en haussant la voix. Dieu me damne! Qu'est-ce que vous entendez par ce mot de «dépouiller,» si peu convenable entre gentlemen, hein?»
L'orateur se laissa tomber tout de son long par terre et appliqua vivement et violemment un ou deux coups de talon comme pour achever de témoigner de son honnête indignation. Il était évident qu'ils agissaient, lui en matamore, et son ami en conciliateur, dans quelque dessein particulier: il n'y avait que le faible vieillard qui pût s'y méprendre; car ils échangeaient presque ouvertement des clins d'oeil tantôt de l'un à l'autre, tantôt avec le camarade accroupi, qui, en découvrant ses dents blanches, faisait une grimace d'approbation.
Le vieillard resta quelque temps tout abattu au milieu d'eux, puis il dit en se tournant vers celui qui l'avait maltraité:
«Vous-même, vous parliez de jeux où l'on dépouille les gens, vous le savez bien. Ne soyez