Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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qui l'eût retenu chez lui. Une heure après, la voiture repassa. La duchesse de Berry riait d'une histoire que lui racontait Broglie, qu'elle ramenait. Il n'y avait donc aucun accident grave. C'était la police du prince de Cellamare qui était en faute.

      Le chevalier rentra chez lui vers dix heures, sans avoir été ni rencontré ni reconnu. Il eut quelque peine à se faire ouvrir, car, selon les habitudes patriarcales de la maison Denis, le concierge était couché. Il vint tirer les verrous en grommelant. D'Harmental lui glissa un petit écu dans la main, en lui disant une fois pour toutes qu'il lui arriverait quelquefois de rentrer tard; mais que, chaque fois que la chose arriverait, il y aurait la même gratification pour lui. Sur quoi le concierge se confondit en remerciements, et lui assura, qu'il était parfaitement libre de rentrer à l'heure qu'il lui plairait, et même de ne pas rentrer du tout.

      De retour dans sa chambre, d'Harmental s'aperçut que celle de sa voisine était éclairée; il posa sa bougie derrière un meuble et s'approcha de sa fenêtre. De cette façon, autant que les rideaux le permettaient, il pouvait voir chez elle, tandis qu'on ne pouvait voir chez lui.

      Elle était assise près d'une table, dessinant probablement contre un carton qu'elle tenait sur ses genoux, car on voyait son profil qui se détachait en noir sur la lumière placée derrière elle. Au bout d'un instant, une autre ombre, que le chevalier reconnut pour celle du bonhomme à la terrasse, passa deux ou trois fois entre la lumière et la fenêtre. Enfin l'ombre s'approcha de la jeune fille, celle-ci tendit le front, l'ombre y déposa un baiser, et s'éloigna un bougeoir à la main. Un instant après, les vitres de la chambre du cinquième étage s'éclairèrent. Toutes ces petites circonstances parlaient une langue qu'il était impossible de ne pas comprendre; l'homme à la terrasse n'était point le mari de Bathilde: c'était tout au plus son père.

      D'Harmental, sans savoir pourquoi se sentit tout joyeux de cette découverte: il ouvrit, aussi doucement qu'il pût, la fenêtre, et, accoudé sur la barre qui lui servait d'appui, les yeux fixés sur cette ombre, il retomba dans cette même rêverie dont l'avait tiré dans la journée, l'apparition grotesque de son voisin. Au bout d'une heure à peu près, la jeune fille se leva, déposa carton et crayons sur la table, s'avança du coté de l'alcôve, s'agenouilla sur une chaise devant la seconde fenêtre, et fit sa prière. D'Harmental comprit que sa veille laborieuse était finie; mais, se rappelant la curiosité de la belle voisine quand pour la première fois il avait de son côté fait de la musique, il voulut voir s'il aurait le pouvoir de prolonger cette veille, et se mit à son épinette. Ce qu'il avait prévu arriva: aux premiers sons qui parvinrent jusqu'à elle, la jeune fille, ignorant que par la position de la lumière on voyait son ombre à travers les rideaux, s'approcha de la fenêtre sur la pointe du pied, et, se croyant bien cachée, elle écouta sans contrainte le mélodieux instrument qui, pareil à un oiseau du soir, s'éveillait pour chanter au milieu de la nuit.

      Le concert eût peut-être duré bien des heures ainsi, car d'Harmental, encouragé par le résultat produit, se sentait une verve et une facilité d'exécution qu'il ne s'était jamais connu. Malheureusement, le locataire du troisième était sans doute quelque manant, peu amateur de la musique, car d'Harmental entendit tout à coup, juste au-dessous de ses pieds, le bruit d'une canne qui frappait le plafond avec une telle violence, que s'était, à n'en pouvoir douter, un avertissement direct qu'on lui donnait de remettre à un moment plus convenable sa mélodieuse occupation. Dans toute autre circonstance, d'Harmental eût envoyé au diable l'impertinent donneur d'avis; mais il réfléchit qu'un esclandre qui sentirait son gentilhomme le perdrait de réputation auprès de madame Denis, et qu'il jouait trop gros jeu à être reconnu pour ne point passer philosophiquement par-dessus quelques-uns des inconvénients de la nouvelle position qu'il avait adoptée. En conséquence, au lieu de se mettre en opposition plus longue avec les règlements nocturnes établis sans doute entre son hôtesse et ses locataires, il obéit à l'invitation, oubliant de quelle façon cette invitation lui avait été faite.

      De son côté, dès qu'elle n'entendit plus rien, la jeune fille quitta sa fenêtre, et comme elle laissa tomber derrière elle les seconds rideaux d'étoffe perse, elle disparut aux yeux de d'Harmental. Quelque temps encore cependant il put voir la chambre éclairée; mais bientôt toute lueur s'éteignit. Quant à la chambre du cinquième étage, depuis plus de deux heures elle était dans la plus parfaite obscurité.

      D'Harmental se coucha à son tour, tout joyeux de penser qu'il existait un point de contact si direct entre lui et sa belle voisine.

      Le lendemain, l'abbé Brigaud entra dans sa chambre avec son exactitude ordinaire. Le chevalier était déjà levé depuis une heure, et s'était vingt fois approché de sa fenêtre sans avoir pu apercevoir sa voisine, quoiqu'il fût évident qu'elle s'était levée, même avant lui. En effet, par les carreaux supérieurs, il avait vu en se réveillant les grands rideaux remis à leurs patères. Aussi tout disposé qu'il était à faire tomber son commencement de mauvaise humeur sur quelqu'un:

      – Ah! pardieu! Mon cher abbé, lui dit-il aussitôt que la porte fut refermée, félicitez de ma part le prince sur sa police: elle est parfaitement faite, ma foi!

      – Qu'est-ce que vous avez contre elle? demanda l'abbé Brigaud avec le demi-sourire qui lui était habituel.

      – Ce que j'ai? J'ai que, voulant juger par moi-même, hier, de sa fidélité, je suis allé m'embusquer rue de Tournon, que j'y suis resté quatre heures, et que ce n'est pas le régent qui est venu chez sa fille, mais madame la duchesse de Berry qui a été chez son père.

      – Eh bien! nous savons cela.

      – Ah! vous savez cela? dit d'Harmental.

      – Oui, à telles enseignes qu'elle est sortie à huit heures moins cinq minutes du Luxembourg, avec madame de Mouchy et madame de Pons, et qu'elle y est rentrée à neuf heures et demie en ramenant Broglie, qui est venu prendre à table la place du régent, qu'on avait attendu inutilement.

      – Et le régent, où est-il, lui?

      – Le régent?

      – Oui.

      – Ceci est une autre histoire; vous allez le savoir. Écoutez et ne perdez pas un mot, puis nous verrons si vous dites encore que la police du prince est mal faite.

      – J'écoute.

      – Notre rapport annonçait que le duc-régent, devait hier, à trois heures aller faire une partie de courte paume rue de Seine?

      – Oui.

      – Il y est allé. Au bout d'une demi-heure il en est sorti, tenant son mouchoir sur ses yeux; il s'était donné lui-même un coup de raquette sur le sourcil avec tant de violence qu'il s'était ouvert la peau du front.

      – Ah! voilà donc l'accident?

      – Attendez. Alors le régent, au lieu de rentrer au Palais-Royal, s'est fait conduire chez madame de Sabran. Vous savez où demeure madame de Sabran?

      – Elle demeurait rue de Tournon; mais depuis que son mari est maître d'hôtel du régent, ne demeure-t-elle pas rue des Bons-Enfants, tout près du Palais Royal?

      – Justement. Or, il paraît que madame de Sabran, qui jusque-là avait fait de la fidélité à Richelieu, touchée enfin de l'état pitoyable où elle a vu le pauvre prince, a voulu justifier le proverbe: Malheureux au jeu, heureux en amour. Le prince, à sept heures et demie, par un petit mot daté de la salle à manger de madame de Sabran, qui lui donnait à souper, a annoncé à Broglie qu'il n'irait pas au Luxembourg, et l'a chargé d'y aller à sa place, et de faire ses excuses à la duchesse de Berry.

      – Ah! voilà donc l'histoire que racontait

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