Fort comme la mort. Guy de Maupassant
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Il fallait affermir cette gloire trop jeune, dansante et sportive, et après un mariage riche, très riche, remplacer les succès mondains par des succès politiques. Dès qu'il serait député, le marquis deviendrait, par ce seul fait, une des colonnes du trône futur, un des conseillers du roi, un des chefs du parti.
La duchesse, bien renseignée, connaissait l'énorme fortune du comte de Guilleroy, thésaurisateur prudent logé dans un simple appartement quand il aurait pu vivre en grand seigneur dans un des plus beaux hôtels de Paris. Elle savait ses spéculations toujours heureuses, son flair subtil de financier, sa participation aux affaires les plus fructueuses lancées depuis dix ans, et elle avait eu la pensée de faire épouser à son neveu la fille du député normand à qui ce mariage donnerait une influence prépondérante dans la société aristocratique de l'entourage des princes. Guilleroy, qui avait fait un mariage riche et multiplié par son adresse une belle fortune personnelle, couvait maintenant d'autres ambitions.
Il croyait au retour du roi et voulait, ce jour-là, être en mesure de profiter de cet événement de la façon la plus complète.
Simple député, il ne comptait pas pour grand'-chose. Beau-père du marquis de Farandal, dont les aïeux avaient été les familiers fidèles et préférés de la maison royale de France, il montait au premier rang.
L'amitié de la duchesse pour sa femme prêtait en outre à cette union un caractère d'intimité très précieux, et par crainte qu'une autre jeune fille se rencontrât qui plût subitement au marquis, il avait fait revenir la sienne afin de hâter les événements.
Mme de Mortemain, pressentant ses projets et les devinant, y prêtait une complicité silencieuse, et, ce jour-là même, bien qu'elle n'eût pas été prévenue du brusque retour de la jeune fille, elle avait engagé son neveu à venir chez les Guilleroy, afin de l'habituer, peu à peu, à entrer souvent dans cette maison.
Pour la première fois, le comte et la duchesse parlèrent à mots couverts de leurs désirs, et en se quittant, un traité d'alliance était conclu.
On riait à l'autre bout du salon. M. de Musadieu racontait à la baronne de Corbelle la présentation d'une ambassade nègre au Président de la République, quand le marquis de Farandal fut annoncé.
Il parut sur la porte et s'arrêta. Par un geste du bras rapide et familier, il posa un monocle sur son oeil droit, et l'y laissa comme pour reconnaître le salon où il pénétrait, mais pour donner, peut-être, aux gens qui s'y trouvaient, le temps de le voir, et pour marquer son entrée. Puis, par un imperceptible mouvement de la joue et du sourcil, il laissa retomber le morceau de verre au bout d'un cheveu de soie noire, et s'avança vivement vers Mme de Guilleroy dont il baisa la main tendue, en s'inclinant très bas. Il en fit autant pour sa tante, puis il salua en serrant les autres mains, allant de l'un à l'autre avec une élégante aisance.
C'était un grand garçon à moustaches rousses, un peu chauve déjà, taillé en officier, avec des allures anglaises de sportsman. On sentait, à le voir, un de ces hommes dont tous les membres sont plus exercés que la tête, et qui n'ont d'amour que pour les choses où se développent la force et l'activité physiques. Il était instruit pourtant, car il avait appris et il apprenait encore chaque jour, avec une grande tension d'esprit, tout ce qu'il lui serait utile de savoir plus tard: l'histoire, en s'acharnant sur les dates et en se méprenant sur les enseignements des faits, et les notions élémentaires d'économie politique nécessaires à un député, l'A B C de la sociologie à l'usage des classes dirigeantes.
Musadieu l'estimait, disant: «Ce sera un homme de valeur.» Bertin appréciait son adresse et sa vigueur. Ils allaient à la même salle d'armes, chassaient ensemble souvent, et se rencontraient à cheval dans les allées du bois. Entre eux était donc née une sympathie de goûts communs, cette franc-maçonnerie instinctive que crée entre deux hommes un sujet de conversation tout trouvé, agréable à l'un comme à l'autre.
Quand on présenta le marquis à Annette de Guilleroy, il eut brusquement le soupçon des combinaisons de sa tante, et, après s'être incliné, il la parcourut d'un regard rapide d'amateur.
Il la jugea gentille, et surtout pleine de promesses, car il avait tant conduit de cotillons qu'il s'y connaissait en jeunes filles et pouvait prédire presque à coup sûr l'avenir de leur beauté, comme un expert qui goûte un vin trop vert.
Il échangea seulement avec elle quelques phrases insignifiantes, puis s'assit auprès de la baronne de Corbelle, afin de potiner à mi-voix.
On se retira de bonne heure, et quand tout le monde fut parti, l'enfant couchée, les lampes éteintes, les domestiques remontés en leurs chambres, le comte de Guilleroy, marchant à travers le salon, éclairé seulement par deux bougies, retint longtemps la comtesse ensommeillée sur un fauteuil, pour développer ses espérances, détailler l'attitude à garder, prévoir toutes les combinaisons, les chances et les précautions à prendre.
Il était tard quand il se retira, ravi d'ailleurs de sa soirée, et murmurant:
– Je crois bien que c'est une affaire faite.
III
«Quand viendrez-vous, mon ami? Je ne vous ai pas aperçu depuis trois jours, et cela me semble long. Ma fille m'occupe beaucoup, mais vous savez que je ne peux plus me passer de vous.»
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