Histoire littéraire d'Italie (3. Pierre Loius Ginguené
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Thomas de Pisan, autre astrologue, jouissait à Bologne d'une grande réputation lorsqu'il fut appelé à Paris par Charles V. Ce roi, qu'on appela le Sage, n'eut cependant pas la sagesse de se garantir des rêveries de l'astrologie judiciaire. Thomas fut traité à sa cour avec distinction, payé avec magnificence et créé conseiller du roi. Il avait prédit l'heure de sa propre mort, et fit à sa science l'honneur de mourir à l'heure qu'il avait fixée. C'est sa fille Christine de Pisan qui l'atteste dans l'histoire de Charles V, qu'elle a écrite en français 161. Christine fut, comme on sait, un des prodiges de son siècle et de son sexe. Elle a laissé, outre cette histoire, le Trésor de la cité des dames 162, et quelques autres ouvrages français en prose et en vers 163. Elle tient à l'Italie par sa naissance, et à la France par ses écrits.
On l'a dit avec vérité,
Quand un roi veut le crime, il est trop obéi.
Il est aussi vrai, et presque aussi triste que, quand il récompense la folie, il augmente le nombre des fous. La faveur dont jouissait l'astrologie auprès de Charles-le-Sage excita une grande ardeur pour cette prétendue science, non-seulement dans ses états, mais en Italie, d'où vinrent, à l'exemple de Thomas de Pisan, beaucoup d'autres astrologues, dans l'espoir d'obtenir pour eux-mêmes la bonne aventure qu'ils prédisaient aux autres 164. Leurs noms ont été soigneusement recueillis 165, et l'on a tenu registre de leurs découvertes et de leurs prédictions; telles que celle de Nicolas de Paganica, médecin et dominicain, qui prédit, jour pour jour, la naissance d'un fils du duc de Bourgogne, en 1371, et découvrit, disent ces vieilles chroniques, plusieurs grands empoisonneurs en France, qui avaient intoxiqué plusieurs grands personnages 166, telles encore que les prédictions faites par un certain Marc, de Gênes, de la mort d'Édouard III, roi d'Angleterre, et de la victoire de Rosebecq, remportée sur les Flamands, en 1382, par les Français, que commandait le duc de Bourgogne 167; mais on n'a pas tenu aussi exactement compte de leurs charlataneries et de leurs bévues.
On est encore forcé de compter parmi les astrologues le fameux Paul le géomètre, né à Prado, en Toscane, à qui son savoir en arithmétique, fit aussi donner le nom de Paul de l'Abbaco. Il ne se bornait pas à connaître les astres et à en tirer des pronostics; il construisait de ses propres mains des machines ingénieuses où tous leurs mouvements étaient fidèlement représentés. Sa réputation fut encore plus grande en France, en Angleterre, en Espagne, et jusque parmi les Arabes, que dans son pays même 168. Philippe Villani l'a fait mourir en 1365 169; et cependant on cite de lui un testament fait l'année suivante 170. Par ce testament, il ordonna que ses ouvrages astrologiques fussent déposés dans un couvent de Florence 171, que les moines en eussent une clef, sa famille une autre, et qu'on les y conservât jusqu'à ce qu'il se trouvât un astrologue florentin qui fût jugé, par quatre maîtres dans cet art, digne de les posséder. On ne dit pas ce que sont devenus ces clefs et ce dépôt, ni si, dans le grand nombre d'astrologues qui existaient alors, il y en eut qui se soucièrent de subir ce jugement 172.
Ni leur nombre, ni leur succès n'en imposaient à Pétrarque, que l'on trouve toujours à cette époque répandant les lumières ou combattant l'erreur; loin de se laisser entraîner au torrent, il ne cessa de se moquer de l'astrologie et des astrologues, soit dans ses ouvrages publiés, soit dans ses lettres 173. Mais c'étaient des paroles jetées au vent. L'ignorance était trop générale et le préjugé trop enraciné, pour que les efforts d'un seul homme, quelque supérieur qu'il fût, pussent réussir à l'abattre. Il ne se moqua pas moins des alchimistes 174 que des astrologues, et il ne diminua ni leur nombre, très-grand dans ce siècle, ni celui de leurs dupes.
L'alchimie était l'abus de la chimie qui était alors peu avancée, comme l'astrologie l'était de l'astronomie qui était aussi dans son enfance. La médecine empruntait trop souvent les visions de l'une et de l'autre; mais souvent aussi elle s'en tenait à ses propres études, et elle dut à ce siècle quelques progrès. Jacques Dondi et Jean son fils, médecins et amis de Pétrarque, qui pourtant n'aimait pas les médecins, ne furent ni alchimistes, ni astrologues, mais joignirent tous deux à leur profession l'étude de l'astronomie et de la mécanique. Padoue, leur patrie, dut au premier et Pavie au second, deux horloges qui furent généralement admirées 175. Padoue et Pavie avaient, comme Bologne, Florence, Pise, Pérouse et toutes les universités des chaires de médecine. Elles produisaient de savants élèves, qui devenaient à leur tour de célèbres professeurs. La plupart s'en tenaient à l'enseignement et à la pratique. Quelques uns, cependant, écrivaient, et c'est dans ceux de leurs ouvrages qui se sont conservés qu'on peut apprendre ce que l'art était de leur temps. Mais et leurs ouvrages et leurs noms mêmes appartiennent à l'histoire de cette science. Je ne nommerai ici qu'un médecin, qui paraît s'être élevé dans le quatorzième siècle au-dessus de tous les autres; c'est le célèbre Mondinus, regardé encore aujourd'hui comme le restaurateur de l'anatomie, dont il a laissé un Traité, le premier qui ait été écrit depuis les anciens 176. Ce traité servait encore de texte et presque de loi dans les universités, deux cents ans après sa mort. Milan, Bologne, Forli et d'autres villes se disputent l'honneur d'avoir donné naissance à Mondinus; mais il suffit, pour la gloire de l'Italie, qu'il soit né, qu'il ait étudié, exercé, enseigné, fait ses belles expériences, et écrit dans son sein 177.
Un art moins conjectural que la médecine, avait eu, dès le commencement de ce siècle, un écrivain qui a joui et jouit encore d'une grande réputation. Pierre Crezcenzio écrivit, dans un âge fort avancé, sur le premier des arts, l'agriculture. Sa vie active appartient plus au treizième siècle qu'au quatorzième. Né à Bologne d'une famille honnête et aisée, après y avoir fait ses premières études en philosophie, en médecine et dans les sciences naturelles, il se livra plus particulièrement à l'étude des lois. Il ne prit cependant point le degré de docteur et se borna au titre de juge, qui était alors celui des simples jurisconsultes. Ils avaient le pouvoir de traiter, de débattre et de défendre les causes; mais ils ne pouvaient pas occuper les chaires publiques et y donner des leçons, privilége réservé aux seuls docteurs.
Crezcenzio s'éloigna de sa patrie, quand il la vit déchirée par des dissensions civiles, où il ne lui convint pas de prendre parti. Les villes d'Italie, qui étaient alors presque toutes indépendantes, étaient dans l'usage de choisir hors de leur sein des gouverneurs civils et militaires, sous le titre de capitaines ou de podestà. Elles exigeaient qu'ils amenassent avec eux, et à leurs frais, des hommes de loi qui leur servaient d'assesseurs dans le jugement des causes, et qui jugeaient eux-mêmes dans les tribunaux, suivant les coutumes de chaque pays. Un grand nombre de nobles bolonais furent appelés à ces magistratures temporaires, mais suprêmes. L'Université de Bologne, fertile en savants jurisconsultes, leur fournissait facilement des assesseurs,
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Voy. Mémoire de Boivin le cadet, dans le
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Imprimé à Paris en 1497.
163
J'ai parlé du
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Tiraboschi, t. V, l. II, p. 170.
165
Voy.
166
Ibid., p. 451.
167
Voy.
168
Tiraboschi,
169
170
Mehus,
171
: La Sainte-Trinité.
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Manni,
173
Voy. surtout une Lettre à Boccace,
174
Voy.
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J'ai parlé de ces horloges et de leurs deux auteurs, t. II, p. 446, note 2. Falconnet a fait sur ce sujet une Dissertation,
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Voy. Freind,
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Le