Ivanhoe. 4. Le retour du croisé. Вальтер Скотт
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Chapitre XXXV
A exciter le tigre d'Hyrcanie ou à disputer sa proie au lion affamé, il y a moins de péril qu'à rallumer le feu mal éteint du Fanatisme sauvage.
Revenons maintenant sur les traces d'Isaac d'York. – Monté sur une mule, présent de l'Outlaw, et accompagé de deux robustes yeomen pour le guider et le protéger, le juif était parti pour la comanderie de Templestowe dans l'intention de négocier la rançon de sa fille. La comanderie n'était située qu'à une journée de marche du château en ruine de Torquilstone, et le juif espérait y arriver avant la nuit; au sortir du bois, il congédia ses guides dont il compensa le zèle, en donnant à chacun une pièce d'argent, et reprit sa route avec toute la diligence que lui permettait la fatigue qu'il éprouvait: mais il avait encore quatre milles à faire pour arriver à Templestowe, lorsque ses forces l'abandonnèrent complétement; des douleurs aiguës se firent sentir dans tous ses membres, ce qui, joint aux angoisses auxquelles son esprit se trouvait en proie, le força à s'arrêter dans une petite ville où demeurait un rabbin de sa tribu, habile médecin, et dont il était connu. Nathan Ben Israël accueillit son corréligionnaire souffrant avec ce sentiment d'hospitalité que sa loi lui commandait, et que les juifs exerçaient les uns envers les autres. Il insista sur la nécessité de prendre du repos, et lui donna les remèdes regardés alors comme les plus propres à arrêter les progrès d'une fièvre occasionnée par la terreur, la fatigue et le chagrin que le pauvre juif ressentait vivement.
Le lendemain matin, lorsque Isaac parla de se lever et de continuer sa route, Nathan chercha à s'opposer à ce dessein, non seulement comme ami, mais encore comme médecin, lui disant qu'il s'exposait à perdre la vie; mais Isaac répondit qu'il fallait absolument qu'il se rendît ce jour-là même à Templestowe, et qu'il y allait pour lui plus que de la vie.
«À Templestowe!» s'écria son hôte étonné: puis, lui tâtant de nouveau le pouls, il se dit à lui-même: «Sa fièvre n'est plus aussi forte, mais son esprit paraît troublé et même égaré.» – «Et pourquoi pas à Templestowe? répondit le malade. Je conviens avec toi, Nathan, que c'est la demeure de ceux pour qui les enfans de la Promesse, accablés de mépris, sont une pierre d'achoppement, et qui ont notre peuple en abomination. Tu sais néanmoins que des affaires pressantes de commerce nous amènent quelquefois parmi ces nazaréens altérés de sang, et que nous visitons parfois les préceptoreries des templiers, et les commanderies des chevaliers hospitaliers, comme on les appelle1.»
«Je sais cela, dit Nathan; mais toi, ignores-tu que Lucas de Beaumanoir, le chef, ou comme ils l'appellent, le grand-maître de l'ordre, est lui-même en ce moment à Templestowe?» – «Je l'ignorais, répondit Isaac; car les dernières lettres de nos frères de Paris annonçaient qu'il était dans cette capitale, sollicitant auprès de Philippe des secours contre Saladin.»
«Il est venu depuis en Angleterre, sans être attendu par ses frères, dit le rabbin; et il s'est présenté avec l'intention bien prononcée de châtier et de punir, en un mot, de faire sentir les effets de son courroux à ceux qui ont violé les sermens qu'ils avaient faits: aussi les enfans de Bélial sont-ils dans la plus grande consternation. Tu dois avoir entendu parler de lui?»
«Son nom m'est bien connu, répondit Isaac; ce Lucas de Beaumanoir passe, dit-on, pour un homme zélé au point de faire égorger sans miséricorde tout individu qui s'écarte de la loi du Nazaréen. Nos frères l'ont nommé le féroce destructeur des Sarrasins, et le cruel tyran des enfans de la terre de Promission.»
«Parfaitement nommé, s'écria Nathan. D'autres templiers se laisseront détourner de leurs projets sanguinaires par l'appât du plaisir ou par la promesse d'une somme d'argent; mais Beaumanoir est d'un caractère bien différent. Ennemi de toute sensualité, méprisant les trésors, il marche, il se presse, il se hâte d'atteindre à ce qu'on appelle la couronne du martyre. Puisse le Dieu de Jacob la lui envoyer promptement, aussi bien qu'à tous ceux qui recherchent les moyens de s'en rendre dignes. Mais c'est plus particulièrement sur les enfans de Juda que cet orgueilleux a étendu son gantelet, comme le saint roi David sur Édom, regardant le meurtre d'un juif comme une offrande aussi douce et aussi agréable que la destruction d'un Sarrasin. Que de faussetés, que d'impiétés n'a-t-il pas proférées même contre les vertus de nos remèdes, comme si c'étaient des inventions de Satan? Que le Seigneur l'en punisse!»
«Quoi qu'il en soit, dit Isaac, il faut que je me rende à Templestowe, dût son visage devenir aussi enflammé qu'une fournaise sept fois chauffée au blanc.» Alors il expliqua à Nathan le motif pressant de son voyage. Le rabbin l'écouta avec intérêt, et, à la manière de sa nation, lui témoigna toute la part qu'il prenait à son malheur, en déchirant ses vêtemens, et s'écriant: «Ah, ma fille! ma fille! où est la fille de Sion? Quand viendra la fin de la captivité d'Israël?»
«Tu vois, dit Isaac, quelle est ma position; tu vois que je ne puis m'arrêter plus long-temps. Il est possible que la présence de ce Lucas de Beaumanoir, le chef de l'ordre, empêche Brian de Bois-Guilbert d'accomplir le mal qu'il médite, et l'engage à me rendre Rébecca, ma fille.
«Eh bien donc, pars! dit Nathan Ben Israël, mais sois sage et prudent; car ce fut à sa sagesse et à sa prudence que Daniel dut la conservation de sa vie dans la fosse aux lions, où il avait été jeté; puisses-tu réussir au gré de tes désirs! Cependant, évite autant qu'il te sera possible la présence du grand-maître, car son plus grand plaisir, soit le matin, soit le soir, est de donner quelque preuve de son féroce mépris pour notre nation. Il me semble que, si tu pouvais avoir une conversation particulière avec Bois-Guilbert, tu t'en trouverais beaucoup mieux; car on dit que ces maudits nazaréens ne s'accordent pas toujours très bien entre eux à la préceptorerie. Que Dieu confonde leurs projets et les couvre d'une honte éternelle! Mais, je t'en prie, mon ami, reviens ici comme tu le ferais chez ton père, et instruis-moi de ce qui te sera arrivé. J'espère que tu ramèneras Rébecca, cette digne élève de Miriam, dont les cures ont été calomniées par les gentils, comme si elles eussent été opérées par la nécromancie.»
En conséquence Isaac prit congé de son ami, et au bout d'une heure de chemin arriva devant la porte de la préceptorerie de Templestowe. Cet établissement des Templiers était situé au milieu de belles prairies et de gras pâturages, dont la dévotion des anciens précepteurs avait fait donation à l'ordre. Le château était solidement bâti et bien fortifié, précaution que ces chevaliers ne négligeaient jamais et que l'état de trouble où se trouvait l'Angleterre, rendait particulièrement nécessaire. Deux hallebardiers, vêtus de noir, gardaient le pont-levis, tandis que d'autres, portant la même livrée de la tristesse, allaient et venaient sur les remparts, avec une démarche lugubre, et ressemblaient plutôt à des sceptres qu'à des soldats. C'est ainsi qu'étaient habillés les officiers inférieurs de l'ordre, depuis que l'usage de porter des vêtemens blancs semblables à ceux des chevaliers et des écuyers, avait donné naissance dans les montagnes de la Palestine à une association de faux frères qui avaient pris le nom de templiers et qui avaient jeté beaucoup de déshonneur sur l'ordre. On voyait de temps en temps un chevalier, traverser la cour, couvert de son long manteau blanc, les bras croisés et la tête penchée sur la poitrine. Si deux chevaliers se rencontraient, ils passaient à côté l'un de l'autre, marchant d'un pas grave et solennel, et se faisant un salut silencieux; car telle était la règle établie dans les statuts de l'ordre, et fondée sur le texte sacré qui y était rapporté: «En disant plusieurs paroles, tu n'éviteras pas le péché;» et encore: «La vie et la mort sont au pouvoir de la langue.» En un mot, la rigueur sévère et ascétique de la discipline du Temple, qui avait pendant si long-temps fait place à la prodigalité et à la licence, semblait avoir tout à coup repris son empire à Templestowe, ou demeure du Temple, sous l'oeil sévère de Lucas de Beaumanoir.
Isaac s'arrêta à la porte pour considérer comment il pourrait se procurer l'entrée du château, de manière à se concilier la faveur des habitans; car il n'ignorait pas que le fanatisme, renaissant de l'ordre, n'était pas moins dangereux pour sa malheureuse race, que la licence effrénée qui régnait précédemment, et que sa religion serait maintenant l'objet
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Les établissemens des chevaliers du Temple étaient, dit Walter Scott, appelés préceptoreries, et le président prenait le titre de précepteur, de même que les chefs de l'ordre des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem s'appelaient commandeurs, et les lieux de leur résidence commanderies. Il parait, au reste, ajoute-t-il par erreur, que ces termes étaient fréquemment employés indistinctement l'un pour l'autre. Les