Une page d'amour. Emile Zola

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Une page d'amour - Emile Zola

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maman, demanda Jeanne le soir, après une longue réflexion, le cousin de Rosalie ne l'embrasse jamais, pourquoi donc?

      – Et pourquoi veux-tu qu'ils s'embrassent? répondit Hélène. Ils s'embrasseront le jour de leur fête.

      II

      Après le potage, ce mardi-là, Hélène tendit l'oreille, en disant:

      – Quel déluge, entendez-vous?.. Mes pauvres amis, vous allez être trempés, ce soir.

      – Oh! quelques gouttes, murmura l'abbé, dont la vieille soutane était déjà mouillée aux épaules.

      – Moi, j'ai une bonne trotte, dit M. Rambaud; mais je rentrerai à pied tout de même; j'aime ça… D'ailleurs, j'ai mon parapluie.

      Jeanne réfléchissait, en regardant sérieusement sa dernière cuillerée de vermicelle. Puis, elle parla lentement:

      – Rosalie disait que vous ne viendriez pas, à cause du mauvais temps… Maman disait que vous viendriez… Vous êtes bien gentil, vous venez toujours.

      On sourit autour de la table. Hélène eut un hochement de tête affectueux, à l'adresse des deux frères. Dehors, l'averse continuait avec un roulement sourd, et de brusques coups de vent faisaient craquer les persiennes. L'hiver semblait revenu. Rosalie avait tiré soigneusement les rideaux de reps rouge; la petite salle à manger, bien close, éclairée par la calme lueur de la suspension, qui pendait toute blanche, prenait, au milieu des secousses de l'ouragan, une douceur d'intimité attendrie. Sur le buffet d'acajou, des porcelaines reflétaient la lumière tranquille. Et, dans cette paix, les quatre convives causaient sans hâte, attendant le bon plaisir de la bonne, en lace de la belle propreté bourgeoise du couvert.

      – Ah! vous attendiez, tant pis! dit familièrement Rosalie en entrant avec un plat. Ce sont des filets de sole au gratin pour monsieur Rambaud, et ça demande à être saisi au dernier moment.

      M. Rambaud affectait d'être gourmand, pour amuser Jeanne et faire Plaisir à Rosalie, qui était très-orgueilleuse de son talent de cuisinière. Il se tourna vers elle, en demandant:

      – Voyons, qu'avez-vous mis aujourd'hui?.. Vous apportez toujours des surprises quand je n'ai plus faim.

      – Oh! répondit-elle, il y a trois plats, comme toujours; pas davantage… Après les filets de sole, vous allez avoir un gigot et des choux de Bruxelles… Bien vrai, pas davantage.

      Mais M. Rambaud regardait Jeanne du coin de l'oeil. L'enfant s'égayait beaucoup, étouffant des rires dans ses mains jointes, secouant la tête comme pour dire que la bonne mentait. Alors, il fit claquer la langue d'un air de doute, et Rosalie feignit de se fâcher.

      – Vous ne me croyez pas, reprit-elle, parce que mademoiselle est en train de rire… Eh bien! fiez-vous à ça, restez sur votre appétit, et vous verrez si vous n'êtes pas forcé de vous remettre à table, en rentrant chez vous.

      Quand la bonne ne fut plus là, Jeanne, qui riait plus fort, eut une terrible démangeaison de parler.

      – Tu es trop gourmand, commença-t-elle; moi, je suis allée dans la cuisine…

      Mais elle s'interrompit.

      – Ah! non, il ne faut pas le lui dira, n'est-ce pas, maman?.. Il n'y a rien, rien du tout. C'est pour t'attraper que je riais.

      Cette scène recommençait tous les mardis et avait toujours le même succès. Hélène était touchée de la bonne grâce avec laquelle M. Rambaud se prêtait à ce jeu, car elle n'ignorait pas qu'il avait longtemps vécu, avec une frugalité provençale, d'un anchois et d'une demi-douzaine d'olives par jour. Quant à l'abbé Jouve, il ne savait jamais ce qu'il mangeait; on le plaisantait même souvent sur son ignorance et ses distractions. Jeanne le guettait de ses yeux luisants. Lorsqu'on fut servi:

      – C'est très-bon, le merlan, dit-elle en s'adressant au prêtre.

      – Très-bon, ma chérie, murmura-t-il. Tiens, c'est vrai, c'est du merlan; je croyais que c'était du turbot.

      Et, comme tout le monde riait, il demanda naïvement pourquoi. Rosalie, qui venait de rentrer, paraissait très-blessée. Ah! bien, monsieur le curé, dans son pays, connaissait joliment mieux la nourriture; il disait l'âge d'une volaille, à huit jours près, rien qu'en la découpant; il n'avait pas besoin d'entrer dans la cuisine pour connaître à l'avance son dîner, l'odeur suffisait. Bon Dieu! si elle avait servi chez un curé comme monsieur l'abbé, elle ne saurait seulement pas à cette heure retourner une omelette. Et le prêtre s'excusait d'un air embarrassé, comme si le manque absolu du sens de la gourmandise fût chez lui un défaut dont il désespérait de se corriger. Mais, vraiment, il avait trop d'autres choses en tête.

      – Ça, c'est un gigot, déclara Rosalie en posant le gigot sur la table.

      Tout le monde, de nouveau, se mit à rire, l'abbé Jouve le premier. Il avança sa grosse tête, en clignant ses yeux minces.

      – Oui, pour sûr, c'est un gigot, dit-il. Je crois que je l'aurais reconnu.

      Ce jour-la, d'ailleurs, l'abbé était encore plus distrait que de coutume. Il mangeait vite, avec la hâte d'un homme que la table ennuie, et qui chez lui déjeune debout; puis, il attendait les autres, absorbé, répondant simplement par des sourires. Toutes les minutes, il jetait sur son frère un regard dans lequel il y avait de l'encouragement et de l'inquiétude. M. Rambaud, lui non plus, ne semblait pas avoir son calme habituel; mais son trouble se trahissait par un besoin de parler et de se remuer sur sa chaise, qui n'était point dans sa nature réfléchie. Après les choux de Bruxelles, comme Rosalie tardait à apporter le dessert, il y eut un silence. Au dehors, l'averse tombait avec plus de violence, un grand ruissellement battait la maison. Dans la salle à manger, on étouffait un peu. Alors, Hélène eut conscience que l'air n'était pas le même, qu'il y avait entre les deux frères quelque chose qu'ils ne disaient point. Elle les regarda avec sollicitude, elle finit par murmurer:

      – Mon Dieu! quelle pluie affreuse!.. N'est-ce pas? cela vous retourne, vous paraissez souffrants tous les deux?

      Mais ils diront que non, ils s'empressèrent de la rassurer. Et comme Rosalie arrivait, portant un immense plat, M. Rambaud s'écria, pour cacher son émotion:

      – Qu'est-ce que je disais! encore une surprise!

      La surprise, ce jour-la, était une crème à la vanille, un des triomphes de la cuisinière. Aussi fallait-il voir le rire large et muet avec lequel elle la posa sur la table. Jeanne battait des mains, en répétant:

      – Je le savais, je le savais!.. J'avais vu les oeufs dans la cuisine.

      – Mais je n'ai plus faim! reprit M. Rambaud d'un air désespéré. Il m'est impossible d'en manger.

      Alors, Rosalie devint grave, pleine d'un courroux contenu. Elle dit simplement, l'air digne:

      – Comment! une crème que j'ai faite pour vous!.. Eh bien! essayez de ne pas en manger… Oui, essayez…

      Il se résigna, prit une grosse part de crème. L'abbé restait distrait. Il roula sa serviette, se leva avant la fin du dessert, comme cela lui arrivait souvent. Un instant, il marcha, la tête penchée sur une épaule; puis, quand Hélène quitta la table à son tour, il lança à M. Rambaud un coup d'oeil d'intelligence, et emmena la jeune femme dans la chambre à coucher. Derrière eux, par la porte laissée ouverte, on entendit presque aussitôt leurs voix lentes, sans distinguer les paroles.

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