Rome. Emile Zola
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Nani lui-même s'était levé, plein d'un sourd respect devant cet homme effacé et terrible, qui avait les mains partout, aux coins les plus reculés de la terre, sans être jamais sorti de son bureau. Il le savait, dans son apparente nullité, dans son lent travail de conquête méthodique et organisée, d'une puissance à bouleverser les empires.
– Est-ce que Votre Éminence est remise de ce rhume, qui nous a désolés?
– Non, non, je tousse toujours… Il y a un couloir pernicieux. J'ai le dos glacé, dès que je sors de mon cabinet.
A partir de ce moment, Pierre se sentit tout petit et perdu. On oubliait même de le présenter au cardinal. Et il dut rester là pendant près d'une heure encore, regardant, observant. Ce monde vieilli lui parut alors enfantin, retourné à une enfance triste. Sous la morgue, la réserve hautaine, il devinait maintenant une réelle timidité, la méfiance inavouée d'une grande ignorance. Si la conversation ne devenait pas générale, c'était que personne n'osait; et il entendait, dans les coins, des bavardages puérils et sans fin, les menues histoires de la semaine, les petits bruits des sacristies et des salons. On se voyait fort peu, les moindres aventures prenaient des proportions énormes. Il finit par avoir la sensation nette qu'il se trouvait transporté dans un salon français du temps de Charles X, au fond d'une de nos grandes villes épiscopales de province. Aucun rafraîchissement n'était servi. La vieille tante de Celia venait de s'emparer du cardinal Sarno, qui ne répondait pas, hochant le menton de loin en loin. Don Vigilio n'avait pas desserré les dents de la soirée. Une longue conversation, à voix très basse, s'était engagée entre Nani et Morano, tandis que donna Serafina, qui se penchait pour les écouter, approuvait d'un lent signe de tête. Sans doute, ils causaient du divorce de Benedetta, car ils la regardaient de temps à autre, d'un air grave. Et, au milieu de la vaste pièce, dans la clarté dormante des lampes, il n'y avait que le groupe jeune, formé par Benedetta, Dario et Celia, qui semblât vivre, babillant à demi-voix, étouffant parfois des rires.
Tout d'un coup, Pierre fut frappé de la grande ressemblance qu'il y avait entre Benedetta et le portrait de Cassia, pendu au mur. C'était la même enfance délicate, la même bouche de passion et les mêmes grands yeux infinis, dans la même petite face ronde, raisonnable et saine. Il y avait là, certainement, une âme droite et un cœur de flamme. Puis, un souvenir lui revint, celui d'une peinture de Guido Reni, l'adorable et candide tête de Béatrice Cenci, dont le portrait de Cassia lui parut, à cet instant, être l'exacte reproduction. Cette double ressemblance l'émut, lui fit regarder Benedetta avec une inquiète sympathie, comme si toute une fatalité violente de pays et de race allait s'abattre sur elle. Mais elle était si calme, l'air si résolu et si patient! Et, depuis qu'il se trouvait dans ce salon, il n'avait surpris, entre elle et Dario, aucune tendresse qui ne fût fraternelle et gaie, surtout de sa part, à elle, dont le visage gardait la sérénité claire des grands amours avouables. Un moment, Dario lui avait pris les mains, en plaisantant, les avait serrées; et, s'il s'était mis à rire un peu nerveusement, avec de courtes flammes au bord des cils, elle, sans hâte, avait dégagé ses doigts, comme en un jeu de vieux camarades tendres. Elle l'aimait, visiblement, de tout son être, pour toute la vie.
Mais Dario ayant étouffé un léger bâillement, en regardant sa montre, et s'étant esquivé, pour rejoindre des amis qui jouaient chez une dame, Benedetta et Celia vinrent s'asseoir sur un canapé, près de la chaise de Pierre; et ce dernier surprit, sans le vouloir, quelques mots de leurs confidences. La petite princesse était l'aînée du prince Matteo Buongiovanni, père de cinq enfants déjà, marié à une Mortimer, une Anglaise qui lui avait apporté cinq millions. D'ailleurs, on citait les Buongiovanni comme une des rares familles du patriciat de Rome riches encore, debout au milieu des ruines du passé croulant de toutes parts. Eux aussi avaient compté deux papes, ce qui n'empêchait pas le prince Matteo de s'être rallié au Quirinal, sans toutefois se fâcher avec le Vatican. Fils lui-même d'une Américaine, n'ayant plus dans les veines le pur sang romain, il était d'une politique plus souple, fort avare, disait-on, luttant pour garder un des derniers la richesse et la toute-puissance de jadis, qu'il sentait condamnée à l'inévitable mort. Et c'était dans cette famille, d'orgueil superbe, dont l'éclat continuait à emplir la ville, qu'une aventure venait d'éclater, soulevant des commérages sans fin: l'amour brusque de Celia pour un jeune lieutenant, à qui elle n'avait jamais parlé; l'entente passionnée des deux amants qui se voyaient chaque jour au Corso, n'ayant pour tout se dire que l'échange d'un regard; la volonté tenace de la jeune fille qui, après avoir déclaré à son père qu'elle n'aurait pas d'autre mari, attendait inébranlable, certaine qu'on lui donnerait l'homme de son choix. Le pis était que ce lieutenant, Attilio Sacco, se trouvait être le fils du député Sacco, un parvenu, que le monde noir méprisait, comme vendu au Quirinal, capable des plus laides besognes.
– C'est pour moi que Morano a parlé tout à l'heure, murmurait Celia à l'oreille de Benedetta. Oui, oui, quand il a maltraité le père d'Attilio, à propos de ce ministère dont on s'occupe… Il a voulu m'infliger une leçon.
Toutes deux s'étaient juré une éternelle tendresse, dès le Sacré-Cœur, et Benedetta, son aînée de cinq ans, se montrait maternelle.
– Alors, tu n'es pas plus raisonnable, tu penses toujours à ce jeune homme?
– Oh! chère, vas-tu me faire de la peine, toi aussi!.. Attilio me plaît, et je le veux. Lui, entends-tu! et pas un autre. Je le veux, je l'aurai, parce qu'il m'aime et que je l'aime… C'est tout simple.
Pierre, saisi, la regarda. Elle était un lis candide et fermé, avec sa douce figure de vierge. Un front et un nez d'une pureté de fleur, une bouche d'innocence aux lèvres closes sur les dents blanches, des yeux d'eau de source, clairs et sans fond. Et pas un frisson sur les joues d'une fraîcheur de satin, pas une inquiétude ni une curiosité dans le regard ingénu. Pensait-elle? Savait-elle? Qui aurait pu le dire! Elle était la vierge dans tout son inconnu redoutable.
– Ah! chère, reprit Benedetta, ne recommence pas ma triste histoire. Ça ne réussit guère, de marier le pape et le roi.
– Mais, dit Celia avec tranquillité, tu n'aimais pas Prada, tandis que moi j'aime Attilio. La vie est là, il faut aimer.
Cette parole, prononcée si naturellement par cette enfant ignorante, troubla Pierre à un tel point, qu'il sentit des larmes lui monter aux yeux. L'amour, oui! c'était la solution à toutes les querelles, l'alliance entre les peuples, la paix et la joie dans le monde entier. Mais donna Serafina s'était levée, en se doutant du sujet de conversation qui animait les deux amies. Et elle jeta un coup d'œil à don Vigilio, que celui-ci comprit, car il vint dire tout bas à Pierre que l'heure était venue de se retirer. Onze heures sonnaient, Celia partait avec sa tante, sans doute l'avocat Morano voulait garder un instant le cardinal Sarno et Nani pour causer en famille de quelque difficulté qui se présentait, entravant l'affaire du divorce. Dans le premier salon, lorsque Benedetta eut baisé Celia sur les deux joues, elle prit congé de Pierre avec beaucoup de bonne grâce.
– Demain matin, en répondant au vicomte,