La Conquête de Plassans. Emile Zola
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Читать онлайн книгу La Conquête de Plassans - Emile Zola страница 17
L'abbé Faujas avait cru devoir prendre une mine grave pour recevoir de pareilles confidences; il fermait complètement les paupières; il semblait ne plus entendre. M. de Condamin reprit, comme pour se justifier:
– Si je me permets de parler ainsi de Delangre, c'est que je le connais beaucoup. Il est diantrement fort, ce diable d'homme! Je crois que son père était maçon. Il y a une quinzaine d'années, il plaidait les petits procès dont les autres avocats ne voulaient pas. Madame Rastoil l'a positivement tiré de la misère; elle lui envoyait jusqu'à du bois l'hiver, pour qu'il eût bien chaud. C'est par elle qu'il a gagné ses premières causes… Remarquez que Delangre avait alors l'habileté de ne montrer aucune opinion politique. Aussi, en 52, lorsqu'on a cherché un maire, a-t-on immédiatement songé à lui; lui seul pouvait accepter une pareille situation sans effrayer aucun des trois quartiers de la ville. Depuis ce temps, tout lui a réussi. Il a le plus bel avenir. Le malheur est qu'il ne s'entend guère avec Péqueur; ils discutent toujours ensemble sur des bêtises.
Il s'arrêta, en voyant revenir le grand jeune homme avec lequel il causait un instant auparavant.
– Monsieur Guillaume Porquier, dit-il en le présentant à l'abbé, le fils du docteur Porquier.
Puis, lorsque Guillaume se fut assis, il lui demanda en ricanant:
– Eh bien! qu'avez-vous vu de beau, là, à côté?
– Rien assurément, répondit le jeune homme d'un ton plaisant. J'ai vu les Paloque. Madame Rougon tâche toujours de les mettre derrière un rideau, pour éviter des malheurs. Une femme grosse qui les a aperçus un jour, sur le cours, a failli avorter… Paloque ne quitte pas des yeux le président Rastoil, espérant sans doute le tuer d'une peur rentrée. Vous savez que ce monstre de Paloque compte mourir président.
Tous deux s'égayèrent. La laideur des Paloque était un sujet d'éternelles moqueries, dans le petit monde des fonctionnaires. Le fils Porquier continua, en baissant la voix:
– J'ai vu aussi monsieur de Bourdeu. Ne trouvez-vous pas que le personnage a encore maigri, depuis l'élection du marquis de Lagrifoul? Jamais Bourdeu ne se consolera de n'être plus préfet; il a mis sa rancune d'orléaniste au service des légitimistes, dans l'espoir que cela le mènerait droit à la Chambre, où il rattraperait la préfecture tant regrettée… Aussi est-il horriblement blessé de ce qu'on lui a préféré le marquis, un sot, un âne bâté, qui ne sait pas trois mots de politique; tandis que lui, Bourdeu, est très-fort, tout à fait fort.
– Il est assommant, Bourdeu, avec sa redingote boutonnée et son chapeau plat de doctrinaire, dit M. de Condamin en haussant les épaules. Si on les laissait aller, ces gens-là feraient de la France une Sorbonne d'avocats et de diplomates, où l'on s'ennuierait ferme, je vous assure … Ah! je voulais vous dire, Guillaume; on m'a parlé de vous, il paraît que vous menez une jolie vie.
– Moi! s'écria le jeune homme en riant.
– Vous-même, mon brave; et remarquez que je tiens les choses de votre père. Il est désolé, il vous accuse de jouer, de passer la nuit au cercle et ailleurs … Est-il vrai que vous ayez découvert un café borgne, derrière les prisons, où vous allez, avec toute une bande de chenapans, faire un train d'enfer? On m'a même raconté…
M. de Condamin, voyant entrer deux dames, continua tout bas à l'oreille de Guillaume, qui faisait des signes affirmatifs, en pouffant de rire. Celui-ci, pour ajouter sans doute quelques détails, se pencha à son tour. Et tous deux, se rapprochant, les yeux allumés, se régalèrent longtemps de cette anecdote, qu'on ne pouvait risquer devant les dames.
Cependant, l'abbé Faujas était resté là. Il n'écoutait plus; il suivait les mouvements de M. Delangre, qui s'agitait fort dans le salon vert, prodiguant les amabilités. Ce spectacle l'absorbait au point qu'il ne vit pas l'abbé Bourrette l'appelant de la main. L'abbé dut venir le toucher au bras, en le priant de le suivre. Il le mena jusque dans la pièce où l'on jouait, avec les précautions d'un homme qui aquelque chose de délicat à dire.
– Mon ami, murmura-t-il, quand ils furent seuls dans un coin, vous êtes excusable, c'est la première fois que vous venez ici; mais je dois vous avertir, vous vous êtes compromis beaucoup en causant si longtemps avec les personnes que vous quittez.
Et, comme l'abbé Faujas le regardait, très-surpris:
– Ces personnes ne sont pas bien vues… Certes, je n'entends pas les juger, je ne veux entrer dans aucune médisance. Par amitié pour vous, je vous avertis, voilà tout.
Il voulait s'éloigner, mais l'autre le retint, en lui disant vivement:
– Vous m'inquiétez, cher monsieur Bourrette; expliquez-vous, je vous en prie. Il me semble que, sans médire, vous pouvez me fournir des éclaircissements.
– Eh bien! reprit le vieux prêtre après une hésitation, le jeune homme, le fils du docteur Porquier, fait la désolation de son honorable père et donne les plus mauvais exemples à la jeunesse studieuse de Plassans. Il n'a laissé que des dettes à Paris, il met ici la ville sens dessus dessous… Quant à monsieur de Condamin… Il s'arrêta de nouveau, embarrassé par les choses énormes qu'il avait raconter; puis, baissant les paupières:
– Monsieur de Condamin est leste en paroles, et je crains qu'il n'ait pas de sens moral. Il ne ménage personne, il scandalise toutes les âmes honnêtes… Enfin, je ne sais trop comment vous apprendre cela, il aurait fait, dit-on, un mariage peu honorable. Vous voyez cette jeune femme qui n'a pas trente ans, celle qui est si entourée. Eh bien! il nous l'a ramenée un jour à Plassans, on ne sait trop d'où: Dès le lendemain de son arrivée, elle était toute-puissante ici. C'est elle qui a fait décorer son mari et le docteur Porquier. Elle a des amis, à Paris… Je vous en prie, ne répétez point ces choses. Madame de Condamin est très-aimable, très-charitable. Je vais quelquefois chez elle, je serais désolé qu'elle me crût son ennemi. Si elle a des fautes à se faire pardonner, notre devoir, n'est-ce pas? est de l'aider à revenir au bien. Quant au mari, entre nous, c'est un vilain homme. Soyez froid avec lui.
L'abbé Faujas regardait le digne Bourrette dans les yeux. Il venait, de remarquer que madame Rougon suivait de loin leur entretien, d'un air préoccupé.
– Est-ce que ce n'est pas madame Rougon qui vous a prié de me donner un bon avis? demanda-t-il brusquement au vieux prêtre.
– Tiens! comment savez-vous cela? s'écria celui-ci, très-étonné. Elle m'avait prié de ne pas parler d'elle; mais, puisque vous avez deviné … C'est une bonne personne, qui serait bien chagrine de voir un prêtre faire mauvaise figure chez elle. Elle est malheureusement forcée de recevoir toutes sortes de gens. L'abbé Faujas remercia, en promettant d'être prudent. Les joueurs, autour d'eux, n'avaient pas levé la tête. Il rentra dans le grand salon, où il se sentit de nouveau dans un milieu hostile; il constata même plus de froideur, plus de mépris muet. Les jupes s'écartaient sur son passage, comme s'il avait dû les salir; les habits noirs se détournaient, avec de légers ricanements. Lui, garda une sérénité superbe. Ayant cru entendre prononcer avec affectation le mot de Besançon, dans le coin de la pièce où trônait madame de Condamin, il marcha droit au groupe formé autour d'elle; mais, à son approche, la conversation tomba net, et tous les yeux le dévisagèrent, luisant d'une curiosité méchante. On parlait sûrement de lui, on racontait quelque vilaine histoire. Alors, comme il se tenait debout,