La Conquête de Plassans. Emile Zola

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La Conquête de Plassans - Emile Zola

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discutait avec les enfants, passait ses après-midi au dehors à conclure pour le plaisir des affaires dont il ne parlait jamais, mangeait et dormait en homme pour qui l'existence est une pente douce, sans secousses ni surprises d'aucune sorte. Le logis semblait mort de nouveau. Marthe était à sa place accoutumée, sur la terrasse, devant la petite table à ouvrage. Désirée jouait, à son côté. Les deux garçons ramenaient aux mêmes heures la même turbulence. Et Rose, la cuisinière, se fâchait, grondait contre tout le monde; tandis que le jardin et la salle à manger gardaient leur paix endormie.

      – Ce n'est pas pour dire, répétait Mouret à sa femme, mais tu vois bien que tu te trompais en croyant que cela dérangerait notre existence, de louer le second. Nous sommes plus tranquilles qu'auparavant, la maison est plus petite et plus heureuse.

      Et il levait parfois les yeux vers les fenêtres du second étage, que madame Faujas, dès le deuxième jour, avait garnies de gros rideaux de coton. Pas un pli de ces rideaux ne bougeait Ils avaient un air béat, une de ces pudeurs de sacristie, rigides et froides. Derrière eux, semblaient s'épaissir un silence, une immobilité de cloître. De loin en loin, les fenêtres étaient entr'ouvertes, laissant voir, entre les blancheurs des rideaux, l'ombre des hauts plafonds. Mais Mouret avait beau se mettre aux aguets, jamais il n'apercevait la main qui ouvrait et qui fermait; il n'entendait même pas le grincement de l'espagnolette. Aucun bruit humain ne descendait de l'appartement.

      Au bout de la première semaine, Mouret n'avait pas encore revu l'abbé Faujas. Cet homme qui vivait à côté de lui, sans qu'il pût seulement apercevoir son ombre, finissait par lui donner une sorte d'inquiétude nerveuse. Malgré les efforts qu'il faisait pour paraître indifférent, il retomba dans ses interrogations, il commença une enquête.

      – Tu ne le vois donc pas, toi? demanda-t-il à sa femme.

      – J'ai cru l'apercevoir hier, quand il est rentré; mais je ne suis pas bien sûre… Sa mère porte toujours une robe noire; c'était peut-être elle.

      Et comme il la pressait de questions, elle lui dit ce qu'elle savait.

      – Rose assure qu'il sort tous les jours; il reste même longtemps dehors… Quant à la mère, elle est réglée comme une horloge; elle descend le matin, à sept heures, pour faire ses provisions. Elle a un grand panier, toujours fermé, dans lequel elle doit tout apporter: le charbon, le pain, le vin, la nourriture, car on ne voit jamais aucun fournisseur venir chez eux… Ils sont très-polis, d'ailleurs. Rose dit qu'ils la saluent, lorsqu'ils la rencontrent. Mais, le plus souvent, elle ne les entend seulement pas descendre l'escalier.

      – Ils doivent faire une drôle de cuisine, là-haut, murmura Mouret, auquel ces renseignements n'apprenaient rien. Un autre soir, Octave ayant dit qu'il avait vu l'abbé Faujas entrer à Saint-Saturnin, son père lui demanda quelle tournure il avait, comment les passants le regardaient, ce qu'il devait aller faire à l'église.

      – Ah! vous êtes trop curieux, s'écria le jeune homme en riant… Il n'était pas beau au soleil, avec sa soutane toute rouge, voilà ce que je sais. J'ai même remarqué qu'il marchait le long des maisons, dans le filet d'ombre, où la soutane semblait plus noire. Allez, il n'a pas l'air fier, il baisse la tête, il trotte vite… Il y a deux filles qui se sont mises à rire, quand il a traversé la place. Lui, levant la tête, les a regardées avec beaucoup de douceur, n'est-ce pas, Serge?

      Serge raconta à son tour que plusieurs fois, en rentrant du collège, il avait accompagné de loin l'abbé Faujas, qui revenait de Saint-Saturnin. Il traversait les rues sans parler à personne; il semblait ne pas connaître âme qui vive, et avoir quelque honte de la sourde moquerie qu'il sentait autour de lui.

      – Mais on cause donc de lui dans la ville? demanda Mouret, au comble de l'intérêt.

      – Moi, personne ne m'a parlé de l'abbé, répondit Octave.

      – Si, reprit Serge, on cause de lui. Le neveu de l'abbé Bourrette m'a dit qu'il n'était pas très-bien vu à l'église; on n'aime pas ces prêtres qui viennent de loin. Puis, il a l'air si malheureux… Quand on sera habitué à lui, on le laissera tranquille, ce pauvre homme. Dans les premiers temps, il faut bien qu'on sache.

      Alors, Marthe recommanda aux deux jeunes gens de ne pas répondre, si on les interrogeait au dehors sur le compte de l'abbé.

      – Ah! ils peuvent répondre, s'écria Mouret. Ce n'est bien sûr pas ce que nous savons sur lui qui le compromettra. A partir de ce moment, avec la meilleure foi du monde et sans songer à mal, il fit de ses enfants des espions qu'il attacha aux talons de l'abbé. Octave et Serge durent lui répéter tout ce qui se disait dans la ville, ils reçurent aussi l'ordre de suivre le prêtre, quand ils le rencontreraient. Mais cette source de renseignements fut vite tarie. La sourde rumeur occasionnée par la venue d'un vicaire étranger au diocèse, s'était apaisée. La ville semblait avoir fait grâce «au pauvre homme», à cette soutane râpée qui se glissait dans l'ombre de ses ruelles; elle ne gardait pour lui qu'un grand dédain. D'autre part, le prêtre se rendait directement à la cathédrale, et en revenait, en passant toujours par les mêmes rues. Octave disait en riant qu'il comptait les pavés.

      A la maison, Mouret voulut utiliser Désirée, qui ne sortait jamais. Il l'emmenait, le soir, au fond du jardin, l'écoutant bavarder sur ce qu'elle avait fait, sur ce qu'elle avait vu, dans la journée; il tâchait de la mettre sur le chapitre des gens du second.

      – Écoute, lui dit-il un jour, demain, quand la fenêtre sera ouverte, tu jetteras ta balle dans la chambre, et tu monteras la demander.

      Le lendemain, elle jeta sa balle; mais elle n'était pas au perron que la balle, renvoyée par une main invisible, vint rebondir sur la terrasse. Son père, qui avait compté sur la gentillesse de l'enfant pour renouer des relations rompues dès le premier jour, désespéra alors de la partie; il se heurtait évidemment à une volonté bien nette prise par l'abbé de se tenir barricadé chez lui. Cette lutte ne faisait que rendre su curiosité plus ardente. Il en vint à commérer dans les coins avec la cuisinière, au vif déplaisir de Marthe, qui lui fit des reproches sur son peu de dignité; mais il s'emporta, il mentit. Comme il se sentait dans son tort, il ne causa plus des Faujas avec Rose qu'en cachette. Un matin, Rosé lui fit signe de la suivre dans sa cuisine.

      – Ah bien! monsieur, dit-elle enfermant la porte, il y a plus d'une heure que je vous guette descendre de votre chambre.

      – Est-ce que tu as appris quelque chose?

      – Vous allez voir… Hier soir, j'ai causé plus d'une heure avec madame Faujas.

      Mouret eut un tressaillement de joie. Il s'assit sur une chaise dépaillée de la cuisine, au milieu des torchons et des épluchures de la veille.

      – Dis vite, dis vite, murmura-t-il.

      – Donc, reprit la cuisinière, j'étais sur la porte de la rue à dire bonsoir à la bonne de monsieur Rastoil, lorsque madame Faujas est descendue pour vider un seau d'eau sale dans le ruisseau. Au lieu de remonter tout de suite sans tourner la tête, comme elle fait d'habitude, elle est restée là, un instant, à me regarder. Alors j'ai cru comprendre qu'elle voulait causer; je lui ai dit qu'il avait fait beau dans la journée, que le vin serait bon… Elle répondait: «Oui, oui,» sans se presser, de la voix indifférente d'une femme qui n'a pas de terre et que ces choses-là n'intéressent point. Mais elle avait posé son seau, elle ne s'en allait point; elle s'était même adossée contre le mur, à côté de moi…

      – Enfin, qu'est-ce qu'elle t'a conté? demanda Mouret, que l'impatience torturait.

      – Vous comprenez, je n'ai pas été assez bête pour l'interroger; elle aurait filé… Sans en avoir l'air, je l'ai mise

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