La Conquête de Plassans. Emile Zola

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La Conquête de Plassans - Emile Zola

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s'y attendait, une impression de misère; au contraire, elle lui produisait un effet qu'il avait ressenti autrefois, un jour qu'il était entré dans le salon très-richement meublé d'un préfet de Marseille. Le grand christ semblait l'emplir de ses bras noirs.

      Il fallut pourtant qu'il se décidât à s'approcher de l'encoignure où l'abbé Faujas l'appelait.

      – Vous voyez la tache, n'est-ce pas? reprit celui-ci. Elle s'est un peu effacée depuis hier.

      Mouret se haussait sur les pieds, clignait les yeux, sans rien voir. Le prêtre ayant tiré les rideaux, il finit par apercevoir une légère teinte de rouille.

      – Ce n'est pas bien grave, murmura-t-il.

      – Sans doute; mais j'ai cru devoir vous prévenir… L'infiltration a dû avoir lieu au bord du toit. – Oui, vous avez raison, au bord du toit.

      Mouret ne répondait plus; il regardait la chambre, éclairée par la lumière crue du plein jour. Elle était moins solennelle, mais elle gardait son silence absolu. Décidément, pas un grain dépoussière n'y contait la vie de l'abbé.

      – D'ailleurs, continuait ce dernier, nous pourrions peut-être voir par la fenêtre… Attendez.

      Et il ouvrit la fenêtre. Mais Mouret s'écria qu'il n'entendait pas le déranger davantage, que c'était une misère, que les ouvriers sauraient bien trouver le trou.

      – Vous ne me dérangez nullement, je vous assure, dit l'abbé en insistant d'une façon aimable. Je sais que les propriétaires aiment à se rendre compte… Je vous en prie, examinez tout en détail… La maison est à vous.

      Il sourit même en prononçant cette dernière phrase, ce qui lui arrivait rarement; puis, quand Mouret se fut penché avec lui sur la barre d'appui, levant tous deux les yeux vers la gouttière, il entra dans des explications d'architecte, disant comment la tache avait pu se produire.

      – Voyez-vous, je crois à un léger affaissement des tuiles, peut-être même y en a-t-il une de brisée; à moins que ce ne soit cette lézarde que vous apercevez là, le long de la corniche, qui se prolonge dans le mur de soutènement.

      – Oui, c'est bien possible, répondit Mouret. Je vous avoue, monsieur l'abbé, que je n'y entends rien. Le maçon verra.

      Alors, le prêtre ne causa plus réparations. Il resta là, tranquillement, regardant les jardins, au-dessous de lui. Mouret, accoudé à son côté, n'osa se retirer, par politesse. Il fut tout à fait gagné, lorsque son locataire lui dit de sa voix douce, au bout d'un silence:

      – Vous avez un joli jardin, monsieur.

      – Oh! bien ordinaire, répondit-il. Il y avait quelques beaux arbres que j'ai dû faire couper, car rien ne poussait à leur ombre. Que voulez-vous? il faut songer à l'utile. Ce coin nous suffit, nous avons des légumes pour toute la saison.

      L'abbé s'étonna, se fit donner des détails. Le jardin était un de ces vieux jardins de province, entourés de tonnelles, divisés en quatre carrés réguliers par de grands buis. Au milieu, se trouvait un étroit bassin sans eau. Un seul carré était réservé aux fleurs. Dans les trois autres, plantés à leurs angles d'arbres fruitiers, poussaient des choux magnifiques, des salades superbes. Les allées, sablées de jaune, étaient tenues bourgeoisement.

      – C'est un petit paradis, répétait l'abbé Faujas.

      – Il y a bien des inconvénients, allez, dit Mouret, plaidant contre la vive satisfaction qu'il éprouvait à entendre si bien parler de sa propriété. Par exemple, vous avez dû remarquer que nous sommes ici sur une côte. Les jardins sont étagés. Ainsi celui de monsieur Rastoil est plus bas que le mien, qui est également plus bas que celui de la sous-préfecture. Souvent, les eaux de pluie font des dégâts. Puis, ce qui est encore moins agréable, les gens de la sous-préfecture voient chez moi, d'autant plus qu'ils ont établi cette terrasse qui domine mon mur. Il est vrai que je vois chez monsieur Rastoil, un pauvre dédommagement, je vous assure, car je ne m'occupe jamais de ce que font les autres.

      Le prêtre semblait écouter par complaisance, hochant la tête, n'adressant aucune question. Il suivait des yeux les explications que son propriétaire lui donnait de la main.

      – Tenez, il y a encore un ennui, continua ce dernier, en montrant une ruelle longeant le fond du jardin. Vous voyez ce petit chemin pris entre deux murailles? C'est l'impasse des Chevilottes, qui aboutit à une porte charretière ouvrant sur les terrains de la sous-préfecture. Toutes les propriétés voisines ont une petite porte de sortie sur l'impasse, et il y a sans cesse des allées et venues mystérieuses… Moi qui ai des enfants, j'ai fait condamner ma porte avec deux bons clous.

      Il cligna les yeux en regardant l'abbé, espérant peut-être que celui-ci allait lui demander quelles étaient ces allées et venues mystérieuses. Mais l'abbé ne broncha pas; il examina l'impasse des Chevilottes, sans plus de curiosité, il ramena paisiblement ses regards dans le jardin des Mouret. En bas, au bord de la terrasse, à sa place ordinaire, Marthe ourlait des serviettes. Elle avait d'abord brusquement levé la tête en entendant les voix; puis, étonnée de reconnaître son mari en compagnie du prêtre à une fenêtre du second étage, elle s'était remise au travail. Elle semblait ne plus savoir qu'ils étaient là. Mouret avait pourtant haussé le ton, par une sorte de vantardise inconsciente, heureux de montrer qu'il venait enfin de pénétrer dans cet appartement obstinément fermé. Et le prêtre par instants arrêtait ses yeux tranquilles sur elle, sur cette femme dont il ne voyait que la nuque baissée, avec la masse noire du chignon.

      Il y eut un silence. L'abbé Faujas ne semblait toujours pas disposé à quitter la fenêtre. Il paraissait maintenant étudier les plates-bandes du voisin. Le jardin de M. Rastoil était disposé à l'anglaise, avec de petites allées, de petites pelouses, coupées de petites corbeilles. Au fond, il y avait une rotonde d'arbres, où se trouvaient une table et des chaises rustiques.

      – Monsieur Rastoil est fort riche, reprit Mouret, qui avait suivi la direction des yeux de l'abbé. Son jardin lui coûte bon; la cascade que vous ne voyez pas, là-bas, derrière les arbres, lui est revenue à plus de trois cents francs. Et pas un légume, rien que des fleurs. Un moment, les dames avaient même parlé de faire couper les arbres fruitiers; c'eût été un véritable meurtre, car les poiriers sont superbes. Bah! il a raison d'arranger son jardin à sa convenance. Quand on a les moyens! Et comme l'abbé se taisait toujours:

      – Vous connaissez monsieur Rastoil, n'est-ce pas? continua-t-il en se tournant vers lui. Tous les matins, il se promène sous ses arbres, de huit à neuf heures. Un gros homme, un peu court, chauve, sans barbe, la tête ronde comme une boule. Il a atteint la soixantaine dans les premiers jours d'août, je crois. Voilà près de vingt ans qu'il est président de notre tribunal civil. On le dit bonhomme. Moi, je ne le fréquente pas. Bonjour, bonsoir, et c'est tout.

      Il s'arrêta, en voyant plusieurs personnes descendre le perron de la maison voisine et se diriger vers la rotonde.

      – Eh! mais, dit-il en baissant la voix, c'est mardi, aujourd'hui …

      On dîne, chez les Rastoil.

      L'abbé n'avait pu retenir un léger mouvement. Il s'était penché, pour mieux voir. Deux prêtres, qui marchaient aux côtés de deux grandes filles, paraissaient particulièrement l'intéresser.

      – Vous savez qui sont ces messieurs? demanda Mouret.

      Et, sur un geste vague de Faujas:

      – Ils traversaient la rue Balande, au moment où nous nous sommes rencontrés…

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