Choix de contes et nouvelles traduits du chinois. Various
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Mais revenons à notre vieillard: il n'avait pu s'éloigner de ses fleurs mortes; courant vers elles, il les recueillit dans sa main et se mit à les examiner avec soin. Il les vit foulées aux pieds, flétries, maltraitées, arrachées de leur tige, salies, souillées de boue. Accablé de douleur, il s'écria: O fleurs que j'ai toute ma vie tant aimées et si bien protégées! Moi qui n'eusse pas voulu toucher une seule de vos feuilles, pouvais-je prévoir le malheur qui vient de fondre sur vous!
Ainsi il se lamentait, lorsque derrière lui se fit entendre une voix humaine qui disait: Tsieou-Sien, qu'as-tu donc à te désoler ainsi? Tsieou-Sien se détourne, et il voit devant lui une jeune fille de seize ans environ, gracieuse et belle, vêtue avec goût et simplicité. Le vieux jardinier ne connaissait nullement cette jeune personne. Il suspend le cours de ses larmes et lui adresse cette question: Qui êtes-vous donc, Mademoiselle, et qu'est-ce qui vous amène ici?
Je suis, répond la jeune fille, votre proche voisine; j'ai appris que vous avez dans votre jardin de magnifiques pivoines en pleine fleur, et je viens tout exprès pour les admirer: il est à croire qu'elles ne sont pas encore fanées. A ce mot de pivoines, Tsieou-Sien se mit à sangloter de nouveau. Quelle triste aventure vous est donc arrivée, demanda la jeune fille, que vous vous désolez ainsi? Et le pauvre jardinier lui raconte les violences exercées par le jeune seigneur. C'est là, reprend-elle en souriant, la cause de vos chagrins! vous serait-il agréable que les fleurs reparussent sur leur tige? Mademoiselle, répond Tsieou, ne vous jouez pas de moi: quand la fleur a quitté la branche, est-il un moyen de l'y replacer? Mes ancêtres, ajouta la jeune inconnue, m'ont transmis un art magique au moyen duquel je puis opérer ce prodige; j'ai réussi toutes les fois que j'en ai fait l'essai.
A ces mots la douleur de Tsieou se changea en joie; et il s'écria; Quoi! est-il bien vrai que vous possédiez cet art surnaturel? Et pourquoi pas, répond la jeune fille? Le vieillard était tombé à ses pieds et lui exprimait ainsi sa reconnaissance: Mademoiselle, daignez employer cet art magique; il sera au-dessus des forces du vieux Chinois de vous en témoigner sa gratitude, mais à chaque fleur qui s'épanouira il ira vous inviter à la venir voir.
A lieu de me remercier ainsi, reprit l'inconnue, allez puiser un peu d'eau. Le vieillard s'empresse d'obéir, mais il lui revient à l'esprit ces pensées: Possède-t-elle cette magique puissance? ah! non – Voyant mes larmes et ma douleur, cette jeune fille est venue se rire de moi: pourtant, elle m'est tout à fait étrangère; qui l'a donc amenée près de moi? Non, elle mérite toute confiance… Et il se hâte d'emplir sa cruche d'une eau limpide, puis retourne la tête; – cependant, la jeune fille a disparu, et toutes les fleurs ont repris leur place sur les tiges, il n'en est pas resté une seule oubliée à terre.
Précédemment, chacune d'elles avait une couleur distincte, et maintenant, il y a cela de changé que la rouge est marbrée, celle d'une nuance plus pâle porte au fond de son disque une teinte foncée; chaque pied réunit les cinq couleurs, et les voilà toutes plus brillantes, plus étincelantes qu'auparavant.
Il y a des vers qui en ont perpétué la mémoire:
On dit que ces fleurs ayant été mutilées et traînées dans la
boue,
Une jeune immortelle lui apparut, qui connaissait l'art de
les ressusciter;
Il était plein de foi, il était avancé dans la vertu: aussi
il a su concilier l'affection des objets inanimés.
Les imbéciles, qui se riaient du Fou des fleurs!
Partagé entre la joie et une surprise mêlée de crainte, Tsieou s'écrie: Je ne croyais pas que cette jeune demoiselle fût une si habile magicienne! Il faut que je retourne dans le parterre; et, laissant là son eau, il s'avance pour lui adresser ses remerciements. Il fait le tour du jardin, cherche par ici, cherche par là. – Aucune trace de la jeune inconnue! Par où s'en est-elle donc allée, se dit-il à lui-même? – Décidément je vais retourner à la porte, l'attendre au passage, pour lui demander de me communiquer cet art magique. Et il prend sa course vers la porte, mais elle était fermée; et tandis qu il l'ouvre, il aperçoit, assis à l'entrée même, ses deux voisins de droite, Hou-Kong et Tan-Lao, occupés à regarder les pêcheurs du village qui faisaient sécher leurs filets au soleil.
Dès qu'ils voient le jardinier, les deux vieillards se lèvent et le saluent, en disant: Nous avons appris l'injustice que Tchang-Oey a commise à votre égard; comme nous nous rendions aux champs, nous n'avons pas pu nous informer des détails de cette affaire.
Oh! n'en parlons plus, reprit Tsieou-Sien; j'ai eu à souffrir les mauvais traitements d'une troupe de débauchés insolents, mais il est venu une jeune demoiselle qui, à l'aide d'un secret magique, a su tout rétablir; et elle est partie avant que j'aie pu lui adresser une parole de remerciement. Vous avez dû voir, vous autres, de quel côté elle est passée.
Ces paroles étonnèrent singulièrement les deux voisins: A-t-il jamais existé de moyen d'opérer un pareil prodige, s'écrièrent-ils? Et quand dites-vous que cette jeune fille s'en est allée? – A l'instant même, répondit Tsieou. – Nous étions très bien placés pour la voir sortir, et personne n'a remué par ici: quelle jeune fille avez-vous donc vue? Cette réponse jeta quelque hésitation dans l'esprit du vieux jardinier. Puisque c'est ainsi, pensa-t-il, ce ne peut être qu'un esprit immortel qui est descendu du ciel. Mais comment donc a-t-elle remis vos fleurs sur leur tige, demandèrent les deux amis? Tsieou-Sien leur raconta ponctuellement tout ce qui était arrivé; et ceux-ci, avouant qu'il y avait là-dedans quelque chose de surnaturel, demandèrent à aller s'assurer du prodige par leur propres yeux.
Ils s'avancent donc et leur stupeur redouble. Cette jeune fille est bien un esprit, car quel mortel peut jamais opérer de si grands miracles par le secours de la magie.
Tsieou avait allumé du feu et brûlait des parfums choisis pour remercier le ciel; pendant qu'il se prosternait humblement, ses deux amis lui dirent: L'ardente affection que vous avez toujours témoignée aux fleurs est ce qui a déterminé les immortels à descendre vers vous. Si demain on faisait en sorte que les mauvais sujets de la compagnie de Tchang-Oey, informés de ce qui s'est passé, vinssent ici, ils en mourraient de honte! Non, non, répartit le vieillard, ces gens-là sont comme des chiens hargneux, qu'il faut fuir du plus loin qu'on les voit; à quel propos les attirer encore ici? Et les deux voisins trouvèrent qu'il avait grandement raison.
Dans l'excès de sa joie, Tsieou-Sien fit chauffer de nouveau le vin qu'il avait apporté, et retint près de lui ses deux amis, qui, après avoir joui du spectacle des fleurs jusqu'au soir, s'en retournèrent au village, racontant l'événement du jour. Tout le monde en fut promptement informé, et le lendemain bien des gens avaient envie de venir voir, mais ils craignaient de ne pas obtenir la permission d'entrer; car ils ignoraient que Tsieou était un homme d'un sens profond. S'étant vu ainsi favorisé des immortels, sa pensée prit son vol au-dessus des choses de la terre. Assis pendant toute la nuit à côté de ses pivoines, il repassa plusieurs fois dans son souvenir l'aventure de Tchang-Oey, et son esprit ayant été soudainement éclairé, il se dit: Je gardais toutes ces choses renfermées dans mon sein, je les couvais des yeux depuis bien des années; c'est là sans doute ce qui a attiré sur elles ce malheur arrivé du dehors. Mais si les immortels les protègent, eux dont le pouvoir est immense, sans bornes, il n'y a plus de motifs pour fermer ma porte. Et dès le lendemain matin il l'ouvrit à deux battants.
Ceux qui étaient déjà venus pour savoir quelque nouvelle, trouvèrent le vieillard assis devant ses fleurs; et ils furent accueillis par lui avec ces paroles: Entrez, Messieurs, entrez, venez voir, mais gardez-vous de toucher à rien. Ceux-ci se hâtèrent de faire connaître partout les bonnes dispositions de Tsieou, et les habitants du village, hommes et femmes, se rendirent tous jusqu'au dernier dans son enclos.
Mais