Choix de contes et nouvelles traduits du chinois. Various
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Les deux vieillards, Hou-Kong et Tan-Lao, vinrent au-devant de leur ami pour savoir ce qui s'était passé au tribunal. Quand ils en furent informés, ils lui dirent: C'est évidemment une injustice dont vous êtes victime, mais cela n'aura pas de suite; demain, nous tous habitants du village, nous signerons une pétition en votre faveur, et nous nous porterons caution; rassurez-vous!
Ce que vous désirez faire serait bien utile, répondit Tsieou-Sien en gémissant … et les geôliers l'interrompirent par des injures: Allons, canaille de prisonnier, tu pleures au lieu d'avancer! – Et le vieillard arrêtant ses larmes, entra dans le cachot. Les voisins allèrent chercher du vin et des mets qu'ils déposèrent à la porte de la prison; mais qui d'entre les geôliers aurait eu la complaisance de lui faire passer ces vivres? Il les prirent pour eux, et s'en régalèrent.
A la nuit, le pauvre jardinier fut étendu sur la planche qui sert de lit aux prisonniers; là, plus mort que vif, garrotté de manière à ne pouvoir allonger les pieds ni les mains, dans l'amertume de sa douleur il se livrait à ces pensées. Aurais-je pu prévoir qu'en rendant la vie à mes fleurs, cette jeune immortelle donnait à mon cruel ennemi l'occasion de me tyranniser ainsi? O jeune immortelle, si tu as pitié de Tsieou-Sien, viens donc, viens sauver ses jours en péril; je suis résolu à quitter le monde pour entrer dans la vie religieuse.
Ces paroles l'agitaient encore lorsqu'il vit la même immortelle qui s'avançait doucement devant lui. Aussitôt il crie vers elle: Puissante immortelle, sauvez votre jeune frère, sauvez-le, en grâce! Tu veux donc que je t'arrache à ce danger, répondit la jeune fille; et à un signe de sa main, la cangue se défit et tomba d'elle-même.
Le prisonnier se glissa en rampant jusqu'aux pieds de sa libératrice, et frappant la terre de son front: Quel est le nom de la puissante immortelle? lui demanda-t-il. Je suis, répondit celle-ci, le génie qui préside aux jardins, sous les ordres de la reine Tchy-Wan-Mou. Elle a eu pitié de toi en faveur de ta tendresse pour les fleurs; et c'est ce qui l'a engagée à rétablir les pivoines sur leurs tiges, bien éloignée de croire que des gens pervers dussent tirer de là occasion de te calomnier. Puisque cette infortune vient fondre sur toi au milieu de ta carrière, dès demain Tchang-Oey, qui détruit les plantes et nuit aux hommes, sera enlevé du milieu des vivants. L'esprit qui préside aux fleurs en a fait un rapport au maître du ciel, et il a retranché la somme des jours que ce méchant avait à vivre. Les compagnons qui secondaient ses vues éprouveront aussi de grands malheurs. Pour toi, pratique avec zèle les vertus qui conduisent à prendre place parmi les immortels, et, dans quelques années, je te ferai passer dans une autre condition d'existence.
Le vieux jardinier frappait la terre de son front: Oserais-je, dit-il, demander à Mademoiselle quelle est cette pratique de vertu qui rend immortel? – Les voies sont diverses, répondit la jeune fille céleste, il faut au moins que tu en connaisses les bases. Par ta profonde tendresse envers les fleurs tu as acquis des mérites, et désormais c'est par les fleurs que tu arriveras à l'accomplissement de cette voie, c'est-à-dire, au perfectionnement qui rend immortel. Nourris-toi de fleurs, et tu pourras avec ton propre corps t'élever dans les airs. – Et elle lui enseigna la manière dont il devait se vêtir et se nourrir.
Après avoir incliné son front jusque dans la poussière pour remercier l'envoyé céleste, Tsieou se leva, mais il ne vit plus la jeune fille. Il allonge la tête, il regarde: elle est sur le mur de la prison, et lui fait signe de la main. Viens, dit-elle, monte et suis-moi, nous sortirons d'ici. Le vieillard se met donc à grimper; mais toute la puissance de son élan ne le conduit qu'à moitié de la muraille. Il reprend haleine et arrive peu à peu jusqu'au sommet; puis au-dessous de lui il entend le tam-tam des soldats en patrouille et des voix qui crient: Le magicien est échappé, arrêtez-le, arrêtez-le! – Tsieou est saisi d'effroi, il se trouble, ses mains ont perdu leurs forces, ses jambes fléchissent, il tombe à terre; et revenu de son trouble, il s'éveille sur son lit de douleur! Cependant ces paroles entendues dans le rêve sont gravées dans son esprit, nettes et intelligibles, il se voit tiré d'affaire, son cœur se dilate; car on dit:
«Celui qui ne nourrit en son cœur aucun sentiment d'égoïsme, comprend clairement que les immortels sont les arbitres des événements. »
Ce fut une grande joie pour Tchang-Oey de voir que le magistrat avait reconnu le vieux jardinier coupable de sorcellerie. Ce vieillard, dit-il avec ironie, à des bizarreries bien étranges: il a la bonté de passer toute cette nuit entière sur le lit de douleur, tout exprès pour nous laisser libres de nous réjouir dans son jardin. Ces jours passés, ajoutèrent ses amis, l'enclos appartenait encore au vieux jardinier, nous n'avons pas pu y prendre complètement nos ébats; mais aujourd'hui il est devenu la propriété de votre noble Seigneurie, il faut nous y livrer à l'ivresse du plaisir.
Tchang-Oey goûta leur avis: toute la troupe sortit de la ville; et après avoir ordonné aux domestiques de préparer un festin, ils s'acheminèrent vers le but de leur promenade. La porte est ouverte, on entre; les voisins, loin d'être rassurés en voyant Tchang-Oey, restent silencieux et n'osent dire mot. La bande joyeuse, précédée de son chef, arrive devant la cabane;… pas une seule pivoine n'est restée sur sa tige; c'est comme au jour où ils les ont brisées, elles sont répandues à terre en désordre et jonchent le sol.
Tous les jeunes gens crient au miracle. Mais Tchang-Oey prend la parole; D'après ce que je vois, ce misérable possède évidemment des secrets magiques, autrement, comment en moins de douze heures aurait-il pu opérer une transformation si complète. Est-ce que ce seraient les immortels qui les auraient abattues? Certainement, répondit un de ces jeunes gens, il a su que votre Seigneurie voulait se récréer parmi les fleurs, voilà pourquoi il s'est amusé à nous jouer ce mauvais tour. Puisqu'il lui a plu de nous faire des tours de magie, ajouta Tchang, hé bien! nous nous réjouirons au milieu des fleurs tombées. – Aussitôt on étend à terre des tapis, on place les nattes, et chacun s'étant assis, on s'abandonne à la joie et aux excès de l'orgie. Insensiblement le repas s'était prolongé jusqu'à l'heure où le soleil pâlit dans l'ouest. Il n'y avait personne qui ne fût à moitié ivre, lorsque tout-à-coup il s'élève un tourbillon impétueux. Or, ce tourbillon
Agite et secoue les plantes choisies qui se sont multipliées
devant le vestibule,
Et ces herbes flottantes qui s'épanouissent à la surface des
eaux,
La tempête hurle comme une troupe de tigres affamés,
Et siffle à travers les pins de la forêt.
Cette terrible trombe soufflant sur les fleurs éparses, elles se relevèrent en une seconde, mais transformées en petites demoiselles hautes d'un pied. Quel prodige! s'écrièrent les amis de Tchang singulièrement effrayés. Ils parlaient encore, quand ces petites apparitions s'étant agitées à la rencontre du vent, devinrent subitement de grandes demoiselles au visage gracieux, belles à voir, portant sur leurs vêtements tout l'éclat des fleurs; elles errent réunies en troupe en face des jeunes gens, qu'un tel miracle plonge dans une muette stupeur.
Parmi ces jeunes filles, il y en avait une habillée de rouge, qui prit la parole: Nous toutes, qui sommes sœurs, habitons ce lieu depuis plus de dix ans: montrons-nous reconnaissantes de la tendresse que nous a témoignée Tsieou-Sien en nous défendant toujours. Quoi donc! il a été en butte aux oppressions de quelques vils esclaves et cruellement tyrannisé par eux; ils l'ont même, par leurs calomnies, jeté dans un péril où ses jours sont menacés, et cela dans le criminel espoir de s'emparer de ce jardin: nos ennemis et les siens sont devant nos yeux. Mes sœurs, ne réunirons-nous pas nos efforts pour les châtier; et en faveur de notre vieil ami, ne laverons-nous pas aussi la honte de l'injure dont ces impies l'ont abreuvé! Que vous en semble, mes sœurs? Toutes les jeunes filles témoignèrent leur assentiment: