Le second rang du collier. Gautier Judith

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Le second rang du collier - Gautier Judith

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le respect, était cependant une des prétentions de Mlle Huet et nous nous efforcions d'être polies. Quelquefois, pourtant, après nous être longtemps contraintes, ma sœur et moi, nous pouffions de rire, au milieu de la leçon, parce que Honorine, au retour de quelque course, avait oublié, en ôtant son chapeau, de retirer son tour-de-tête!.. C'était une affreuse ruche de tulle qui, en ce temps-là, se plaçait sous les capotes pour encadrer coquettement le visage; elle était ordinairement cousue au chapeau, mais souvent aussi indépendante; on la posait alors autour de la figure en l'attachant sous le menton par un petit ruban, puis on mettait le chapeau, et cela se rejoignait tant bien que mal. Mlle Huet oubliait toujours de retirer son tour-de-tête et cela nuisait beaucoup à son prestige; elle traînait, comme toujours, des robes très longues, en dandinant sa vaste corpulence et en redressant la tête d'un air digne; mais la diable de ruche, derrière laquelle les oreilles s'étalaient, larges et rougies, lui donnait l'air d'une poule effarée, et notre respect s'éparpillait sous le fou rire.

      –Té! mon tour-de-tête!.. s'écriait Honorine, en l'enlevant d'un mouvement brusque, il n'y a pas tant de quoi rire.

      Mon père, lui, qui n'aimait guère la contrainte, ni les règlements sévères, se tenait à quatre pour ne pas être de notre parti et garder son sérieux, quand nous répétions quelque sentence péremptoire de mademoiselle, en imitant son accent marseillais. Cependant il lui fallait bien soutenir l'autorité et affirmer les bienfaits de la discipline.

      Même nos jeux étaient surveillés; Mlle Huet croyait peut-être les rendre plus attrayants en y prenant part.

      Notre jouet de prédilection était un théâtre, dans lequel s'enrôlait une troupe toujours grossissante de poupées à ressorts. Honorine feignait de s'intéresser beaucoup aux folles pièces que nous improvisions. Tout en faisant des trous au poinçon dans sa broderie anglaise, tendue sur une bande de toile cirée verte; elle écoutait, critiquait, donnait des conseils et s'efforçait de nous diriger vers un art théâtral moralisateur et instructif: l'histoire de France; les héros célèbres; des résumés des tragédies classiques. Mais nous préférions de beaucoup les évocations des contes de Perrault ou les échos fantaisistes du répertoire italien. Pourtant, un jour, elle nous suggéra une idée, qui nous séduisit tout de suite et dont la réalisation nous occupa longtemps. Il s'agissait de faire une surprise à notre père, en tirant une pièce d'un de ses romans pour la jouer sur notre théâtre.

      Le choix s'arrêta sur Avatar, dans lequel Mlle Huet découpa un scénario rapide. Je ne me souviens guère de ce que furent les mérites de cette adaptation. J'ai retenu seulement que, afin d'être plus pittoresque, au lieu du vêtement moderne, on adopta le costume du temps de Henri III, pour les poupées, ce qui permit de leur poser sur l'épaule un petit manteau de velours et de leur attacher au côté une petite épée taillée dans une allumette. L'Avatar des âmes, entre les deux héros, se faisait au moyen de deux houppettes d'ouate, attachées chacune a un fil, trempées dans l'alcool et enflammées, ce qui nous parut admirable.

      Mon père, le monocle à l'œil, écouta la pièce avec beaucoup de patience et mit une complaisance charmante à s'émerveiller. Il complimenta Honorine sur l'ingéniosité de l'adaptation, bien qu'elle affirmât, mollement, n'y être pour rien, afin de nous en laisser toute la gloire.

      Je lui gardai longtemps une rancune particulière pour une méchanceté qu'elle me fit, qui m'avait extrêmement mortifiée: un soir d'hiver où, pelotonnée dans mon lit, je ne pouvais m'endormir, tant j'avais froid, j'eus l'idée d'aller décrocher dans la garde-robe tous mes vêtements pour m'en faire des couvertures. Cela forma un monceau inégal et chancelant, sur lequel, pour lui donner de la stabilité, je couchai une chaise; puis, avec beaucoup de précautions, je me glissai entre mes draps.

      Le lendemain matin je fus éveillée, en sursaut, par des cris d'orfraie. C'était Honorine, en pâmoison devant ce tableau imprévu. Ses grands bras levés exprimaient la stupéfaction et l'horreur.

      – Sa robe de popeline! Son paletot de velours! Son col en vison d'Amérique!..

      Ses bras se refermèrent, empoignant la chaise et une grande partie des pièces à conviction, puis elle sortit de la chambre.

      Mon père était au salon, avec un visiteur; Mlle Huet poussa du pied la porte à deux battants et apparut aux regards hébétés des deux causeurs interrompus. Elle jeta devant eux, sur le parquet, tout le tas qu'elle portait, plus la chaise; puis, du même beau mouvement tragique, elle revint à mon lit, emporta le reste, qu'elle éparpilla de la même façon.

      – Voici ce que Mlle Judith avait sur son lit, cria-t-elle d'un ton qui réclamait vengeance.

      Assez inquiète, je tendais l'oreille, mais je reconnus bientôt que l'indignation de mon père n'était pas à la hauteur du forfait. Je l'entendis éclater de rire, et Honorine eut beau s'efforcer d'attiser sa colère, il refusa de punir et décréta seulement que le jour même il fallait m'acheter un édredon.

      Subitement, je pris une importance extraordinaire aux yeux de Mlle Huet. Il m'arrivait quelquefois la nuit de me lever dans de légers accès de somnambulisme. J'ouvrais la fenêtre et les persiennes, ce qui était assez grave au cinquième; puis j'errais dans l'appartement, mon oreiller sous le bras, et j'allais souvent le jeter sur le lit de l'institutrice, qui s'éveillait, très effrayée. Mais lorsqu'elle eut compris que je dormais, que j'étais un sujet, peut-être lucide, elle fut vivement intéressée et m'interrogea, avec méthode, sur les mystères de l'avenir. En général, je m'éveillais dès qu'on me parlait, et je ne pus rien dévoiler. Ce fut mademoiselle qui nous découvrit alors tout une partie de son état d'âme qu'elle avait jusque-là tenue secrète. Elle s'occupait de spiritisme, de tables tournantes, d'occultisme et de magnétisme!.. C'était là sa vie inconnue, sa passion cachée. Elle était affiliée à toutes sortes de Sociétés singulières, à des êtres inspirés, qui fréquentaient chez les esprits et ne voyaient que le monde invisible.

      Honorine ne put s'empêcher de parler à ses amis du jeune sujet qu'elle avait en sa puissance, ni résister au désir de me présenter à eux. Ma sœur et moi, nous fûmes alors adroitement initiées aux mystères du spiritisme, et incitées à ne pas parler à nos parents du grand honneur qu'elle voulait bien nous faire, de nous présenter à l'un des maîtres les plus fameux.

      Ce maître était un personnage très cocasse, qu'on appelait le comte d'Ourch. Court, trapu, avec une petite tête ronde où floconnaient des cheveux et des favoris jaunes pâles mêlés de blancs, il avait un air à la fois jovial et inquiet; il s'agitait, se retournait, riait sans cause apparente; en vous parlant il semblait écouter d'autres interlocuteurs, quelquefois s'interrompait au milieu d'une phrase et s'enfuyait.

      Chez lui, on butait toujours contre deux lévriers couchés de tout leur long sur le parquet, qui se laissaient marcher dessus plutôt que de se déranger, et tenaient une place énorme.

      Le comte d'Ourch accueillait, le plus souvent, Mlle Huet par le récit d'aventures extraordinaires, dites avec des éclats de voix retenus, des mines effarées et de longs points d'exclamations.

      – Eh bien, il y en a de bonnes! s'écriait-il dès notre entrée, en s'agitant sur son fauteuil, où souvent le clouait la goutte. Regardez mon bahut en chêne sculpté… Qu'en dites-vous?..

      – Je ne vois rien, disait Mlle Huet.

      – Vous ne voyez rien? Il est fendu en zig-zag, regardez, on dirait la foudre. Des esprits forcenés se sont battus là-dedans cette nuit, frappant des coups à réveiller tout le quartier. Ils m'en veulent, mais je les ai domptés, ils n'ont pas pu sortir.

      Ou bien c'était pire encore. Étant couché il avait été enlevé

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