Nana. Emile Zola

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Nana - Emile Zola

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soupe donc chez une femme, demain soir?.. Chez qui, hein?

      chez qui?

      Fauchery fit signe qu'on les écoutait; il fallait être convenable. De nouveau, la porte venait de s'ouvrir, et une vieille dame entrait, suivie d'un jeune homme, dans lequel le journaliste reconnut l'échappé de collège, qui, le soir de la Blonde Vénus, avait lancé le fameux «très chic!» dont on causait encore. L'arrivée de cette dame remuait le salon. Vivement, la comtesse Sabine s'était levée, pour s'avancer à sa rencontre; et elle lui avait pris les deux mains, elle la nommait sa chère madame Hugon. Voyant son cousin regarder curieusement cette scène, la Faloise, afin de le toucher, le mit au courant, en quelques mots brefs: madame Hugon, veuve d'un notaire, retirée aux Fondettes, une ancienne propriété de sa famille, près d'Orléans, conservait un pied-à-terre à Paris, dans une maison qu'elle possédait, rue de Richelieu; y passait en ce moment quelques semaines pour installer son plus jeune fils, qui faisait sa première année de droit; était autrefois une grande amie de la marquise de Chouard et avait vu naître la comtesse, qu'elle gardait des mois entiers chez elle, avant son mariage, et qu'elle tutoyait même encore.

      – Je t'ai amené Georges, disait madame Hugon à Sabine. Il a grandi, j'espère!

      Le jeune homme, avec ses yeux clairs et ses frisures blondes de fille déguisée en garçon, saluait la comtesse sans embarras, lui rappelait une partie de volant qu'ils avaient faite ensemble, deux ans plus tôt, aux Fondettes.

      – Philippe n'est pas à Paris? demanda le comte Muffat.

      – Oh! non, répondit la vieille dame. Il est toujours en garnison à Bourges.

      Elle s'était assise, elle parlait orgueilleusement de son fils aîné, un grand gaillard qui, après s'être engagé dans un coup de tête, venait d'arriver très vite au grade de lieutenant. Toutes ces dames l'entouraient d'une respectueuse sympathie. La conversation reprit, plus aimable et plus délicate. Et Fauchery, à voir là cette respectable madame Hugon, cette figure maternelle éclairée d'un si bon sourire, entre ses larges bandeaux de cheveux blancs, se trouva ridicule d'avoir soupçonné un instant la comtesse Sabine.

      Pourtant, la grande chaise de soie rouge capitonnée, où la comtesse s'asseyait, venait d'attirer son attention. Il la trouvait d'un ton brutal, d'une fantaisie troublante, dans ce salon enfumé. A coup sûr, ce n'était pas le comte qui avait introduit ce meuble de voluptueuse paresse. On aurait dit un essai, le commencement d'un désir et d'une jouissance. Alors, il s'oublia, rêvant, revenant quand même à cette confidence vague, reçue un soir dans le cabinet d'un restaurant. Il avait désiré s'introduire chez les Muffat, poussé par une curiosité sensuelle; puisque son ami était resté au Mexique, qui sait? il fallait voir. C'était une bêtise sans doute; seulement, l'idée le tourmentait, il se sentait attiré, son vice mis en éveil. La grande chaise avait une mine chiffonnée, un renversement de dossier qui l'amusaient, maintenant.

      – Eh bien! partons-nous? demanda la Faloise, en se promettant d'obtenir dehors le nom de la femme chez qui on soupait.

      – Tout à l'heure, répondit Fauchery.

      Et il ne se pressa plus, il se donna pour prétexte l'invitation qu'on l'avait chargé de faire et qui n'était pas commode à présenter. Les dames causaient d'une prise de voile, une cérémonie très touchante, dont le Paris mondain restait tout ému depuis trois jours. C'était la fille aînée de la baronne de Fougeray qui venait d'entrer aux Carmélites, par une vocation irrésistible. Madame Chantereau, un peu cousine des Fougeray, racontait que la baronne avait dû se mettre au lit, le lendemain, tellement les larmes l'étouffaient.

      – Moi, j'étais très bien placée, déclara Léonide. J'ai trouvé ça curieux.

      Cependant, madame Hugon plaignait la pauvre mère. Quelle douleur de perdre ainsi sa fille!

      – On m'accuse d'être dévote, dit-elle avec sa tranquille franchise; cela ne m'empêche pas de trouver bien cruelles les enfants qui s'entêtent dans un pareil suicide.

      – Oui, c'est une terrible chose, murmura la comtesse, avec un petit grelottement de frileuse, en se pelotonnant davantage au fond de sa grande chaise, devant le feu.

      Alors, ces dames discutèrent. Mais leurs voix demeuraient discrètes, de légers rires par moments coupaient la gravité de la conversation. Les deux lampes de la cheminée, recouvertes d'une dentelle rose, les éclairaient faiblement; et il n'y avait, sur des meubles éloignés, que trois autres lampes, qui laissaient le vaste salon dans une ombre douce.

      Steiner s'ennuyait. Il racontait à Fauchery une aventure de cette petite madame de Chezelles, qu'il appelait Léonide tout court; une bougresse, disait-il en baissant la voix, derrière les fauteuils des dames. Fauchery la regardait, dans sa grande robe de satin bleu pâle, drôlement posée sur un coin de son fauteuil, mince et hardie comme un garçon, et il finissait par être surpris de la voir là; on se tenait mieux chez Caroline Héquet, dont la mère avait sérieusement monté la maison. C'était tout un sujet d'article. Quel singulier monde que ce monde parisien! Les salons les plus rigides se trouvaient envahis. Évidemment, ce silencieux Théophile Venot, qui se contentait de sourire en montrant ses dents mauvaises, devait être un legs de la défunte comtesse, ainsi que les dames d'âge mûr, madame Chantereau, madame Du Joncquoy, et quatre ou cinq vieillards, immobiles dans les angles. Le comte Muffat amenait des fonctionnaires ayant cette correction de tenue qu'on aimait chez les hommes aux Tuileries; entre autres, le chef de bureau, toujours seul au milieu de la pièce, la face rasée et les regards éteints, sanglé dans son habit, au point de ne pouvoir risquer un geste. Presque tous les jeunes gens et quelques personnages de hautes manières venaient du marquis de Chouard, qui avait gardé des relations suivies dans le parti légitimiste, après s'être rallié en entrant au Conseil d'État. Restaient Léonide de Chezelles, Steiner, tout un coin louche, sur lequel madame Hugon tranchait avec sa sérénité de vieille femme aimable. Et Fauchery, qui voyait son article, appelait ça le coin de la comtesse Sabine.

      – Une autre fois, continuait Steiner plus bas, Léonide a fait venir son ténor à Montauban. Elle habitait le château de Beaurecueil, deux lieues plus loin, et elle arrivait tous les jours, dans une calèche attelée de deux chevaux, pour le voir au Lion-d'Or, où il était descendu… La voiture attendait à la porte, Léonide restait des heures, pendant que le monde se rassemblait et regardait les chevaux.

      Un silence s'était fait, quelques secondes solennelles passèrent sous le haut plafond. Deux jeunes chuchotaient, mais ils se turent à leur tour; et l'on n'entendit plus que le pas étouffé du comte Muffat, qui traversait la pièce. Les lampes semblaient avoir pâli, le feu s'éteignait, une ombre sévère noyait les vieux amis de la maison, dans les fauteuils qu'ils occupaient là depuis quarante ans. Ce fut comme si, entre deux phrases échangées, les invités eussent senti revenir la mère du comte, avec son grand air glacial. Déjà la comtesse Sabine reprenait:

      – Enfin, le bruit en a couru… Le jeune homme serait mort, et cela expliquerait l'entrée en religion de cette pauvre enfant. On dit, d'ailleurs, que jamais monsieur de Fougeray n'aurait consenti au mariage.

      – On dit bien d'autres choses, s'écria Léonide étourdiment.

      Elle se mit à rire, tout en refusant de parler. Sabine, gagnée par cette gaieté, porta son mouchoir à ses lèvres. Et ces rires, dans la solennité de la vaste pièce, prenaient un son dont Fauchery resta frappé; ils sonnaient le cristal qui se brise. Certainement, il y avait là un commencement de fêlure. Toutes les voix repartirent; madame Du Joncquoy protestait, madame Chantereau savait qu'on avait projeté un mariage, mais que les choses en étaient restées là; les hommes eux-mêmes risquaient leur avis. Ce fut, pendant quelques minutes, une confusion de jugements où les divers éléments du salon, les bonapartistes et les

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