Nana. Emile Zola

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Nana - Emile Zola

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tout de suite; seulement, il lui fit promettre d'amener Clarisse; et comme la Faloise affectait de montrer des scrupules, il le tranquillisa en disant:

      – Puisque je vous invite! Ça suffit.

      La Faloise aurait pourtant bien voulu savoir le nom de la femme. Mais la comtesse avait rappelé Vandeuvres, qu'elle interrogeait sur la façon dont les Anglais faisaient le thé. Il se rendait souvent en Angleterre, où ses chevaux couraient. Selon lui, les Russes seuls savaient faire le thé; et il indiqua leur recette. Puis, comme s'il eût continué tout un travail intérieur pendant qu'il parlait, il s'interrompit pour demander:

      – A propos, et le marquis? Est-ce que nous ne devions pas le voir?

      – Mais si, mon père m'avait promis formellement, répondit la comtesse. Je commence à être inquiète… Ses travaux l'auront retenu.

      Vandeuvres eut un sourire discret. Lui aussi paraissait se douter de quelle nature étaient les travaux du marquis de Chouard. Il avait songé à une belle personne que le marquis menait parfois à la campagne. Peut-être pourrait-on l'avoir.

      Cependant, Fauchery jugea que le moment était arrivé de risquer l'invitation au comte Muffat. La soirée s'avançait.

      – Sérieusement? demanda Vandeuvres, qui croyait à une plaisanterie.

      – Très sérieusement… Si je ne fais pas ma commission, elle m'arrachera les yeux. Une toquade, vous savez.

      – Alors, je vais vous aider, mon cher.

      Onze heures sonnaient. La comtesse, aidée de sa fille, servait le thé. Comme il n'était guère venu que des intimes, les tasses et les assiettes de petits gâteaux circulaient familièrement. Même les dames ne quittaient pas leurs fauteuils, devant le feu, buvant à légères gorgées, croquant les gâteaux du bout des doigts. De la musique, la causerie était tombée aux fournisseurs. Il n'y avait que Boissier pour les fondants et que Catherine pour les glaces; cependant, madame Chantereau soutenait Latinville. Les paroles se faisaient plus lentes, une lassitude endormait le salon. Steiner s'était remis à travailler sourdement le député, qu'il tenait bloqué dans le coin d'une causeuse. M. Venot, dont les sucreries devaient avoir gâté les dents, mangeait des gâteaux secs, coup sur coup, avec un petit bruit de souris; tandis que le chef de bureau, le nez dans une tasse, n'en finissait plus. Et la comtesse, sans hâte, allait de l'un à l'autre, n'insistant pas, restant là quelques secondes à regarder les hommes d'un air d'interrogation muette, puis souriant et passant. Le grand feu l'avait rendue toute rose, elle semblait être la soeur de sa fille, si sèche et si gauche auprès d'elle. Comme elle s'approchait de Fauchery, qui causait avec son mari et Vandeuvres, elle remarqua qu'on se taisait; et elle ne s'arrêta pas, elle donna plus loin, à Georges Hugon, la tasse de thé qu'elle offrait.

      – C'est une dame qui désire vous avoir à souper, reprit gaiement le journaliste, en s'adressant au comte Muffat.

      Celui-ci, dont la face était restée grise toute la soirée, parut très surpris. Quelle dame?

      – Eh! Nana! dit Vandeuvres, pour brusquer l'invitation.

      Le comte devint plus grave. Il eut à peine un battement de paupières, pendant qu'un malaise, comme une ombre de migraine, passait sur son front.

      – Mais je ne connais pas cette dame, murmura-t-il.

      – Voyons, vous êtes allé chez elle, fit remarquer Vandeuvres.

      – Comment! je suis allé chez elle… Ah! oui, l'autre jour, pour le bureau de bienfaisance. Je n'y songeais plus… N'importe, je ne la connais pas, je ne puis accepter.

      Il avait pris un air glacé, pour leur faire entendre que cette plaisanterie lui semblait de mauvais goût. La place d'un homme de son rang n'était pas à la table d'une de ces femmes. Vandeuvres se récria: il s'agissait d'un souper d'artistes, le talent excusait tout. Mais, sans écouter davantage les arguments de Fauchery qui racontait un dîner où le prince d'Écosse, un fils de reine, s'était assis à côté d'une ancienne chanteuse de café-concert, le comte accentua son refus. Même il laissa échapper un geste d'irritation, malgré sa grande politesse.

      Georges et la Faloise, en train de boire leur tasse de thé, debout l'un devant l'autre, avaient entendu les quelques paroles échangées près d'eux.

      – Tiens! c'est donc chez Nana, murmura la Faloise, j'aurais dû m'en douter!

      Georges ne disait rien, mais il flambait, ses cheveux blonds envolés, ses yeux bleus luisant comme des chandelles, tant le vice où il marchait depuis quelques jours l'allumait et le soulevait. Enfin, il entrait donc dans tout ce qu'il avait rêvé!

      – C'est que je ne sais pas l'adresse, reprit la Faloise.

      – Boulevard Haussmann, entre la rue de l'Arcade et la rue Pasquier, au troisième étage, dit Georges tout d'un trait.

      Et, comme l'autre le regardait avec étonnement, il ajouta, très rouge, crevant de fatuité et d'embarras:

      – J'en suis, elle m'a invité ce matin.

      Mais un grand mouvement avait lieu dans le salon. Vandeuvres et Fauchery ne purent insister davantage auprès du comte. Le marquis de Chouard venait d'entrer, chacun s'empressait. Il s'était avancé péniblement, les jambes molles; et il restait au milieu de la pièce, blême, les yeux clignotants, comme s'il sortait de quelque ruelle sombre, aveuglé par la clarté des lampes.

      – Je n'espérais plus vous voir, mon père, dit la comtesse.

      J'aurais été inquiète jusqu'à demain.

      Il la regarda sans répondre, de l'air d'un homme qui ne comprend pas. Son nez, très gros dans sa face rasée, semblait la boursouflure d'un mal blanc; tandis que sa lèvre inférieure pendait. Madame Hugon, en le voyant si accablé, le plaignit, pleine de charité.

      – Vous travaillez trop. Vous devriez vous reposer… A nos âges, il faut laisser le travail aux jeunes gens.

      – Le travail, ah! oui, le travail, bégaya-t-il enfin. Toujours beaucoup de travail…

      Il se remettait, il redressait sa taille voûtée, passant la main, d'un geste qui lui était familier, sur ses cheveux blancs, dont les rares boucles flottaient derrière ses oreilles.

      – A quoi travaillez-vous donc si tard? demanda madame Du Joncquoy. Je vous croyais à la réception du ministre des Finances.

      Mais la comtesse intervint.

      – Mon père avait à étudier un projet de loi.

      – Oui, un projet de loi, dit-il, un projet de loi, précisément… Je m'étais enfermé… C'est au sujet des fabriques, je voudrais qu'on observât le repos dominical. Il est vraiment honteux que le gouvernement ne veuille pas agir avec vigueur. Les églises se vident, nous allons à des catastrophes.

      Vandeuvres avait regardé Fauchery. Tous deux se trouvaient derrière le marquis, et ils le flairaient. Lorsque Vandeuvres put le prendre à part, pour lui parler de cette belle personne qu'il menait à la campagne, le vieillard affecta une grande surprise. Peut-être l'avait-on vu avec la baronne Decker, chez laquelle il passait parfois quelques jours, à Viroflay. Vandeuvres, pour seule vengeance, lui demanda brusquement:

      – Dites donc, où avez-vous passé? Votre coude est plein de toiles d'araignée et de plâtre.

      – Mon

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