Son Excellence Eugène Rougon. Emile Zola
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Et elle le lui arracha. Elle pleurait comme une enfant.
«Là, là, disait M. de Plouguern riant toujours. Voyez-vous ma dévote! L'autre matin, elle a failli me crever les yeux, parce qu'en apercevant un rameau de buis au fond de son alcôve, je lui demandais ce qu'elle balayait avec ce petit balai-là… Ne pleure plus, grosse bête! Je ne lui ai rien cassé, au Bon Dieu.
– Si, si cria-t-elle, vous lui avez fait du mal!» Elle ne le tutoyait plus. De ses mains tremblantes, elle achevait d'enlever la perle de verre. Puis, avec un redoublement de sanglots, elle voulut arranger la croix.
Elle l'essuyait du bout des doigts, comme si elle avait vu des gouttes de sang perler sur le métal. Elle murmurait:
«C'est le pape qui m'en a fait cadeau, la première fois que je suis allée le voir avec maman. Il me connaît bien, le pape; il m'appelle "son bel apôtre", parce que je lui ai dit un jour que je serais contente de mourir pour lui… Un chapelet qui me portait bonheur. Maintenant, il n'aura plus de vertu, il attirera le diable…
– Voyons, donne-le-moi, interrompit M. de Plouguern. Tu vas t'abîmer les ongles, à vouloir raccommoder ça… L'argent, c'est dur, mignonne.» Il avait repris le chapelet, il tâchait de déplier le bras de la croix, délicatement, de façon à ne pas le casser.
Clorinde ne pleurait plus, les yeux fixes, très attentive.
Rougon, lui aussi, avançait la tête, avec un sourire; il était d'une irréligion déplorable, à ce point que la jeune fille avait failli rompre deux fois avec lui pour des plaisanteries déplacées.
«Fichtre! disait à demi-voix M. de Plouguern, il n'est pas tendre, le Bon Dieu. C'est que j'ai peur de le couper en deux… Tu aurais un Bon Dieu de rechange, petite.» Il fit un nouvel effort. La croix se rompit net.
«Ah! tant pis! s'écria-t-il. Cette fois, il est cassé.» Rougon s'était mis à rire. Alors, Clorinde, les yeux très noirs, la face convulsée, se recula, les regarda en face, puis de ses poings fermés les repoussa furieusement; comme si elle avait voulu les jeter à la porte. Elle les injuriait en italien, la tête perdue.
«Elle nous bat, elle nous bat, répéta gaiement M. de Plouguern.
– Voilà les fruits de la superstition», dit Rougon entre ses dents.
Le vieillard cessa de plaisanter, la mine subitement grave; et, comme le grand homme continuait à lancer des phrases toutes faites sur l'influence détestable du clergé, sur l'éducation déplorable des femmes catholiques, sur l'abaissement de l'Italie livrée aux prêtres, il déclara de sa voix sèche:
«La religion fait la grandeur des États.
– Quand elle ne les ronge pas comme un ulcère, répliqua Rougon. L'histoire est là. Que l'empereur ne tienne pas les évêques en respect, il les aura bientôt tous sur les bras.» Alors, M. de Plouguern se fâcha à son tour. Il défendit Rome. Il parla des convictions de toute sa vie. Sans religion, les hommes retournaient à l'état de brutes. Et il en vint à plaider la grande cause de la famille. L'époque tournait à l'abomination: jamais le vice ne s'était étalé plus impudemment, jamais l'impiété n'avait jeté un pareil trouble dans les consciences.
«Ne me parlez pas de votre empire! finit-il par crier.
C'est un fils bâtard de la révolution… Oh! nous le savons, votre empire rêve l'humiliation de l'Église. Mais nous sommes là, nous ne nous laisserons pas égorger comme des moutons… Essayez un peu, mon cher monsieur Rougon, d'avouer vos doctrines au Sénat.
– Eh! ne lui répondez plus, dit Clorinde. Si vous le poussiez, il finirait par cracher sur le Christ. C'est un damné.» Rougon, accablé, s'inclina. Il y eut un silence. La jeune fille cherchait sur le parquet le petit fragment détaché de la croix: quand elle l'eut trouvé, elle le plia soigneusement avec le chapelet, dans un morceau de journal. Elle se calmait.
«Ah! çà, mignonne, reprit tout d'un coup M. de Plouguern, je ne t'ai pas encore dit pourquoi je suis monté.
J'ai une loge au Palais-Royal ce soir, et je vous emmène.
– Ce parrain! s'écria Clorinde, redevenue toute rose de plaisir. On va réveiller maman.».
Elle l'embrassa «pour la peine», disait-elle. Elle se tourna vers Rougon, souriante, la main tendue, en disant avec une moue exquise:
«Vous ne m'en voulez pas, vous! Ne me faites donc plus enrager avec vos idées de païen… Je deviens bête, lorsqu'on me taquine sur la religion. Je compromettrais mes meilleures amitiés.» Luigi, cependant, avait poussé son chevalet dans un coin, voyant qu'il ne pourrait finir l'oreille, ce jour-là. Il prit son chapeau, il vint toucher la jeune fille à l'épaule, pour l'avertir qu'il partait. Et elle l'accompagna jusque sur le palier, elle tira elle-même la porte sur eux; mais ils se firent leurs adieux si bruyamment, qu'on entendit un léger cri de Clorinde, qui se perdit dans un rire étouffé. Quand elle rentra, elle dit:
«Je vais me déshabiller, à moins que parrain ne veuille m'emmener comme ça au Palais-Royal.» Et Ils s'égayèrent tous les trois, à cette idée. Le crépuscule était tombé. Quand Rougon se retira, Clorinde descendit avec lui, laissant M. de Plouguern seul un instant, le temps de passer une robe. Il faisait déjà tout noir dans l'escalier. Elle marchait la première, sans dire un mot, si lentement, qu'il sentait le frôlement de sa tunique de gaze sur ses genoux. Puis, arrivée devant la porte de la chambre, elle entra; elle fit deux pas, avant de se retourner. Lui, l'avait suivie. Là, les deux fenêtres éclairaient d'une poussière blanche le lit défait, la cuvette oubliée, le chat toujours endormi sur le paquet de vêtements.
«Vous ne m'en voulez pas?» répéta-t-elle à voix presque basse, en lui tendant les mains.
Il jura que non. Il avait pris ses mains, il remonta le long des bras jusqu'au-dessus des coudes, fouillant doucement dans a dentelle noire, pour que ses gros doigts pussent passer sans rien déchirer. Elle haussait légèrement les bras, comme désireuse de lui faciliter cette besogne. Ils étaient dans l'ombre du paravent, ils ne se voyaient point la face. Et lui, au milieu de cette chambre dont l'air renfermé le suffoquait un peu, retrouvait l'odeur d'une rudesse presque sucrée qui l'avait déjà grisé. Mais, dès qu'il eut dépassé les coudes, ses mains devenant brutales, il sentit Clorinde lui échapper, et il l'entendit crier, par la porte restée ouverte derrière eux:
«Antonia! de la lumière, et donne-moi ma robe grise!»
Quand Rougon se trouva sur l'avenue des Champs-Élysées, il demeura un moment étourdi, à respirer l'air frais qui soufflait des hauteurs de l'Arc de Triomphe.
L'avenue, vide de voitures, allumait un à un ses becs de gaz, dont les clartés brusques piquaient l'ombre d'une traînée d'étincelles vives. Il venait d'avoir comme un coup de sang, il se passait les mains sur la face.
«Ah! non, dit-il tout haut, ce serait trop bête!»
IV
Le cortège du baptême devait partir du pavillon de l'Horloge, à cinq heures. L'itinéraire était la grande allée du jardin des Tuileries, la place de la Concorde, la rue de Rivoli, la place de l'Hôtel-de-Ville, le pont d'Arcole, la rue d'Arcole et la place du Parvis.
Dès quatre heures, la foule fut immense au pont d'Arcole. Là, dans la trouée que la rivière faisait au milieu de la ville, un peuple pouvait tenir. C'était un élargissement brusque de l'horizon, avec