Son Excellence Eugène Rougon. Emile Zola

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Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola

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style="font-size:15px;">      «Votre bougie a l'air d'un cierge, dit encore Du Poizat en ricanant. Hein! quel enterrement, mon pauvre ami! comme on a des morts à coucher dans la cendre!» Rougon allait répondre, lorsqu'un nouveau bruit vint de l'anti-chambre. Merle, une seconde fois, défendait la porte. Et, comme les voix grandissaient: «Delestang, ayez donc l'obligeance de voir ce qui se passe, dit Rougon. Si je me montre, nous allons être envahis.» Delestang ouvrit prudemment la porte, qu'il referma derrière lui. Mais il passa presque aussitôt la tête, en murmurant:

      «C'est Kahn qui est là.

      – Eh bien, qu'il entre, dit Rougon. Mais lui seulement, entendez-vous!» Et il appela Merle pour lui renouveler ses ordres.

      «Je vous demande pardon, mon cher ami, reprit-il en se tournant vers M. Kahn, quand l'huissier fut sorti.

      Mais je suis si occupé… Asseyez-vous à côté de Du Poizat, et ne bougez plus; autrement, je vous flanque à la porte tous les deux.» Le député ne parut pas ému le moins du monde de cet accueil brutal. Il était fait au caractère de Rougon. Il prit un fauteuil, s'assit à côté de Du Poizat, qui allumait un second cigare. Puis, après avoir soufflé:

      «Il fait déjà chaud… Je viens de la rue Marbeuf, je croyais vous trouver encore chez vous.» Rougon ne répondit rien, il y eut un silence. Il froissait des papiers, les jetait dans une corbeille, qu'il avait attirée près de lui.

      «J'ai à causer avec vous, reprit M. Kahn.

      – Causez, causez, dit Rougon. Je vous écoute.» Mais le député sembla tout d'un coup s'apercevoir du désordre qui régnait dans la pièce.

      «Que faites-vous donc? demanda-t-il, avec une surprise parfaitement jouée. Vous changez de cabinet?» La voix était si juste, que Delestang eut la complaisance de se déranger pour mettre un Moniteur sous les yeux de M. Kahn.

      «Ah! mon Dieu! cria ce dernier, dès qu'il eut jeté un regard sur le journal. Je croyais la chose arrangée d'hier soir. C'est un vrai coup de foudre… Mon cher ami…» Il s'était levé, il serrait les mains de Rougon. Celui-ci se taisait, en le regardant; sur sa grosse face, deux grands plis moqueurs coupaient les coins des lèvres. Et, comme Du Poizat prenait des airs indifférents, il les soupçonna de s'être vus le matin; d'autant plus que M. Kahn avait négligé de paraître étonné en apercevant le sous-préfet. L'un devait être venu au Conseil d'État, tandis que l'autre courait rue Marbeuf. De cette façon, ils étaient certains de ne pas le manquer.

      «Alors, vous aviez quelque chose à me dire? reprit Rougon de son air paisible.

      – Ne parlons plus de ça, mon cher ami! s'écria le député. Vous avez assez de tracas. Je n'irai bien sûr pas, dans un jour pareil, vous tourmenter encore avec mes misères.

      – Non, ne vous gênez pas, dites toujours.

      – Eh bien, c'est pour mon affaire, vous savez, pour cette maudite concession… Je suis même content que Du Poizat soit là. Il pourra nous fournir certains renseignements.» Et, longuement, il exposa le point où en était son affaire. Il s'agissait d'un chemin de fer de Niort à Angers, dont il caressait le projet depuis trois ans. La vérité était que cette voie ferrée passait à Bressuire, où il possédait des hauts fourneaux, dont elle devait décupler la valeur; jusque-là, les transports restaient difficiles, l'entreprise végétait. Puis, il y avait dans la mise en action du projet tout un espoir de pêche en eau trouble des plus productives. Aussi M. Kahn déployait-il une activité prodigieuse pour obtenir la concession; Rougon l'appuyait énergiquement, et la concession allait être accordée, lorsque M. de Marsy, ministre de l'Intérieur, fâché de n'être pas dans l'affaire, où il flairait des tripotages superbes, très désireux d'autre part d'être désagréable à Rougon, avait employé toute sa haute influence à combattre le projet. Il venait même, avec l'audace qui le rendait si redoutable, de faire offrir la concession par le ministre des Travaux Publics au directeur de la Compagnie de l'Ouest; et il répandait le bruit que la Compagnie seule pouvait mener à bien un embranchement dont les travaux demandaient des garanties sérieuses. M. Kahn allait être dépouillé. La chute de Rougon consommait sa ruine.

      «J'ai appris hier, dit-il, qu'un ingénieur de la Compagnie était chargé d'étudier un nouveau tracé… Avez-vous eu vent de la chose, Du Poizat?

      – Parfaitement, répondit le sous-préfet. Les études sont même commencées… On cherche à éviter le coude que vous faisiez, pour venir passer à Bressuire. La ligne filerait droit par Parthenay et par Thouars.» Le député eut un geste de découragement.

      «C'est de la persécution, murmura-t-il. Qu'est-ce que ça leur ferait de passer devant mon usine?.. Mais je protesterai; j'écrirai un mémoire contre leur tracé… Je retourne à Bressuire avec vous.

      – Non, ne m'attendez pas, dit Du Poizat en souriant.

      Il paraît que je vais donner ma démission.»

      M. Kahn se laissa aller dans un fauteuil, comme sous le coup d'une dernière catastrophe. Il frottait son collier de barbe à deux mains, il regardait Rougon d'un air suppliant. Celui-ci avait lâché ses dossiers. Les coudes sur le bureau, il écoutait.

      «Vous voulez un conseil, n'est-ce pas? dit-il enfin d'une voix rude. Eh bien, faites les morts, mes bons amis; tâchez que les choses restent en l'état, et attendez que nous soyons les maîtres… Du Poizat va donner sa démission, parce que, s'il ne la donnait pas, il la recevrait avant quinze jours. Quant à vous, Kahn, écrivez à l'empereur, empêchez par tous les moyens que la concession ne soit accordée à la Compagnie de l'Ouest.

      Vous ne l'obtiendrez certes pas, mais tant qu'elle ne sera à personne, elle pourra être à vous, plus tard.» Et, comme les deux hommes hochaient la tête:

      «C'est tout ce que je puis pour vous, reprit-il plus brutalement. Je suis par terre, laissez-moi le temps de me relever. Est-ce que j'ai la mine triste? Non, n'est-ce pas? Eh bien, faites-moi le plaisir de ne plus avoir l'air de suivre mon convoi… Moi, je suis ravi de rentrer dans la vie privée. Enfin, je vais donc pouvoir me reposer un peu!» Il respira fortement, croisant les bras, berçant son grand corps. Et M. Kahn ne parla plus de son affaire. Il affecta l'air dégagé de Du Poizat, tenant à montrer une liberté d'esprit complète. Delestang avait attaqué un autre cartonnier; il faisait, derrière les fauteuils, un si petit bruit, qu'on eût dit, par instants; le bruit discret d'une bande de souris lâchées au milieu des dossiers.

      Le soleil, qui marchait sur le tapis rouge, écornait le bureau d'un angle de lumière blonde, dans lequel la bougie continuait à brûler, toute pâle.

      Cependant, une causerie intime s'était engagée. Rougon, qui ficelait de nouveau ses paquets, assurait que la politique n'était pas son affaire. Il souriait, d'un air bonhomme, tandis que ses paupières, comme lasses, retombaient sur la flamme de ses yeux. Lui, aurait voulu avoir d'immenses terres à cultiver, avec des champs qu'il creuserait à sa guise, avec des troupeaux de bêtes, des chevaux, des bœufs, des moutons, des chiens, dont il serait le roi absolu. Et il racontait qu'autrefois, à Plassans, lorsqu'il n'était encore qu'un petit avocat de province, sa grande joie consistait à partir en blouse, à chasser pendant des journées dans les gorges de la Seille, où il abattait des aigles. Il se disait paysan, son grand-père avait pioché la terre. Puis, il en vint à faire l'homme dégoûté du monde. Le pouvoir l'ennuyait. Il allait passer l'été à la campagne. Jamais il ne s'était senti plus léger que depuis le matin; et il imprimait à ses fortes épaules un haussement formidable, comme s'il avait jeté bas un fardeau.

      «Qu'aviez-vous ici comme président? quatre-vingt mille francs?» demanda M. Kahn.

      Il dit oui,

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