La Curée. Emile Zola

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La Curée - Emile Zola

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à la députation, se carrait en face du préfet, auquel il faisait les yeux doux. Quant à M. d'Espanet, il n'accompagnait jamais sa femme dans le monde. Les dames de la famille étaient placées entre les plus marquants de ces personnages. Saccard avait cependant réservé sa sœur Sidonie, qu'il avait mise plus loin, entre les deux entrepreneurs, le sieur Charrier à droite, le sieur Mignon à gauche, comme à un poste de confiance où il s'agissait de vaincre. Mme Michelin, la femme du chef de bureau, une jolie brune, toute potelée, se trouvait à côté de M. de Saffré, avec lequel elle causait vivement à voix basse. Puis, aux deux bouts de la table, était la jeunesse: des auditeurs au Conseil d'État, des fils de pères puissants, des petits millionnaires en herbe, M. de Mussy, qui jetait à Renée des regards désespérés, Maxime, ayant à sa droite Louise de Mareuil, et dont sa voisine semblait faire la conquête. Peu à peu, ils s'étaient mis à rire très haut. Ce furent de là que partirent les premiers éclats de gaieté.

      Cependant, M. Hupel de la Noue demanda galamment:

      – Aurons-nous le plaisir de voir Son Excellence, ce soir!?

      – Je ne crois pas, répondit Saccard d'un air important qui cachait une contrariété secrète. Mon frère est si occupé!.. Il nous a envoyé son secrétaire, M. de Saffré, pour nous présenter ses excuses.

      Le jeune secrétaire, que Mme Michelin accaparait décidément, leva la tête en entendant prononcer son nom, et s'écria à tout hasard, croyant qu'on s'était adressé à lui:

      – Oui, oui, il doit y avoir une réunion des ministres à neuf heures chez le garde des sceaux.

      Pendant ce temps, M. Toutin-Laroche, qu'on avait interrompu, continuait gravement, comme s'il eût péroré dans le silence attentif du conseil municipal:

      – Les résultats sont superbes. Cet emprunt de la Ville restera comme une des plus belles opérations financières de l'époque. Ah! messieurs…

      Mais, ici, sa voix fut de nouveau couverte par des rires qui éclatèrent brusquement à l'un des bouts de la table. On entendait, au milieu de ce souffle de gaieté, la voix de Maxime, qui achevait une anecdote: «Attendez donc, je n'ai pas fini. La pauvre amazone fut relevée par un cantonnier. On dit qu'elle lui fait donner une brillante éducation pour l'épouser plus tard. Elle ne veut pas qu'un homme autre que son mari puisse se flatter d'avoir vu certain signe noir placé au-dessus de son genou.» Les rires reprirent de plus belle; Louise riait franchement, plus haut que les hommes. Et doucement, au milieu de ces rires, comme sourd, un laquais allongeait en ce moment, entre chaque convive, sa tête grave et blême, offrant des aiguillettes de canard sauvage, à voix basse.

      Aristide Saccard fut fâché du peu d'attention qu'on accordait à M. Toutin-Laroche. Il reprit, pour lui montrer qu'il l'avait écouté:

      – L'emprunt de la Ville…

      Mais M. Toutin-Laroche n'était pas homme à perdre le fil d'une idée:

      – Ah! messieurs, continua-t-il quand les rires jurent calmés, la journée d'hier a été une grande consolation pour nous, dont l'administration est en butte à tant d'ignobles attaques. On accuse le Conseil de conduire la Ville à sa ruine, et, vous le voyez, dès que la Ville ouvre un emprunt, tout le monde nous apporte son argent, même ceux qui crient.

      – Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris est devenu la capitale du monde.

      – Oui, c'est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupel de la Noue. Imaginez-vous que moi, qui suis un vieux Parisien, je ne reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller de l'Hôtel de Ville au Luxembourg. C'est prodigieux, prodigieux!

      Il y eut un silence. Tous les hommes graves écoutaient maintenant.

      – La transformation de Paris, continua M. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. Le peuple est ingrat, il devrait baiser les pieds de l'empereur. Je le disais ce matin au Conseil, où l'on parlait du grand succès de l'emprunt: «Messieurs, laissons dire ces braillards de l'opposition: bouleverser Paris, c'est le fertiliser.» Saccard sourit en fermant les yeux, comme pour mieux savourer la finesse du mot. Il se pencha derrière le dos de Mme d'Espanet, et dit à M. Hupel de la Noue, assez haut pour être entendu:

      – Il a un esprit adorable.

      Cependant, depuis qu'on parlait des travaux de Paris, le sieur Charrier tendait le cou, comme pour se mêler à la conversation. Son associé Mignon n'était occupé que de Mme Sidonie, qui lui donnait fort à faire. Saccard, depuis le commencement du dîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l'œil.

      – L'administration, dit-il, a rencontré tant de dévouement! Tout le monde a voulu contribuer à la grande œuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, la Ville n'aurait jamais pu faire si bien ni si vite.

      Il se tourna, et avec une sorte de brutalité flatteuse:

      – MM. Mignon et Charrier en savent quelque chose, eux qui ont eu leur part de peine, et qui auront leur part de gloire.

      Les maçons enrichis reçurent béatement cette phrase en pleine poitrine. Mignon, auquel Mme Sidonie disait en minaudant: «Ah! monsieur, vous me flattez; non, le rose serait trop jeune pour moi…», la laissa au milieu de sa phrase pour répondre à Saccard:

      – Vous êtes trop bon, nous avons fait nos affaires.

      Mais Charrier était plus dégrossi! Il acheva son verre de Pommard et trouva le moyen de faire une phrase:

      – Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivre l'ouvrier.

      – Dites aussi, reprit M. Toutin-Laroche, qu'ils ont donné un magnifique élan aux affaires financières et industrielles.

      – Et n'oubliez pas le côté artistique; les nouvelles voies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue, qui se piquait d'avoir du goût.

      – Oui, oui, c'est un beau travail, murmura M. de Mareuil, pour dire quelque chose.

      – Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner, qui n'ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la paieront, et rien ne sera plus juste.

      Et, comme, en disant cela, il regardait M. de Saffré, que la jolie Mme Michelin semblait bouder depuis un instant, le jeune secrétaire, pour paraître au courant de ce qu'on disait, répéta:

      – Rien ne sera plus juste, en effet.

      Tout le monde avait dit son mot, dans le groupe que les hommes graves formaient au milieu de la table.

      M. Michelin, le chef de bureau, souriait, dodelinait de la tête; c'était, d'ordinaire, sa façon de prendre part à une conversation; il avait des sourires pour saluer, pour répondre, pour approuver, pour remercier, pour prendre congé, toute une jolie collection de sourires qui le dispensaient presque de jamais se servir de la parole, ce qu'il jugeait sans doute plus poli et plus favorable à son avancement.

      Un autre personnage était également resté muet, le baron Gouraud, qui mâchait lentement comme un bœuf aux paupières lourdes. Jusque-là, il avait paru absorbé dans le spectacle de son assiette. Renée, aux petits soins pour lui, n'en obtenait que de légers grognements de satisfaction. Aussi lut-on surpris de le voir lever la tête et de l'entendre dire, en essuyant ses lèvres grasses:

      – Moi qui suis propriétaire, lorsque je fais réparer et décorer un appartement, j'augmente mon locataire.

      La phrase de M. Haffner: «Nos

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